Inscrit aux barreaux de Guinée et de Paris, Baba Hady Thiam a débuté sa carrière au sein du prestigieux cabinet français Gide Loyrette Nouel, avant de rejoindre en janvier 2015 le cabinet américain Dechert LLP. Depuis janvier 2017, il est l’associé gérant du cabinet d’avocats Thiam & Associés, basé à Conakry, qui est régulièrement classé parmi les cabinets de référence en Afrique.
Monsieur Thiam, comment se présente le cabinet Thiam & Associés dans ses différentes lignes de métier ?
Le cabinet Thiam & Associés est né d’une idée simple : mettre en place un cabinet indépendant ancré localement et offrant des services totalement en ligne avec les standards internationaux des grands cabinets d’avocats à travers le monde. L’objectif était également d’offrir sur place le meilleur service juridique aux investisseurs étrangers et africains désireux d’investir sur le continent. Nous avons débuté l’aventure à trois en 2017 et aujourd’hui nous sommes une quinzaine d’avocats et juristes dotés d’une formation et d’une expérience professionnelle dans des universités et cabinets d’affaires internationaux.
Nous intervenons dans les différentes disciplines du droit des affaires avec nos départements Conseil et Contentieux/Arbitrage et dans tous les secteurs clés de l’économie. Ainsi, sur l’année 2019, nous avons notamment conseillé HPX, membre du Groupe Ivanhoe, dans le cadre de l’acquisition d’une participation de 95 % dans le gisement du minerai de fer de Nimba pour un investissement estimé à 3,7 milliards de dollars US, les prêteurs (notamment la Société Financière Internationale (SFI), l’U.S. International Development Finance Corporation (DFC), BNP Paribas et Société Générale) dans le cadre du financement de l’extension des infrastructures minières de la Compagnie des Bauxites de Guinée pour un montant de 873 millions de dollars US, le Groupe Aéroports de Paris et Africa50 dans le cadre de la nouvelle concession de l’aéroport international de Conakry ou encore Oryx Energies dans le cadre de la concession et de la construction du dépôt pétrolier du Port de Bargny-Sendou, au Sénégal.
La Covid-19 a un impact important sur l’activité économique. Comment les secteurs miniers que vous suivez vivent-ils la situation ?
La pandémie a effectivement bouleversé tous les pans de l’économie et le monde d’après dans le secteur minier est déjà là. Si on prend l’exemple de la République de Guinée, ses revenus miniers n’ont cessé d’augmenter ces dernières années et ont même connu un bond de 46 % entre 2016 et 2017, s’établissant à 505 millions de dollars US, d’après les données de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE). La limitation de l’impact de la pandémie a donc été, dès le départ, une priorité étatique, d’autant plus que l’épidémie a débuté en Chine, principal débouché et partenaire minier du pays. Trois mois et demi après le premier cas de Covid-19 dans le pays, nous notons que les projets matures en phase d’exploitation ne sont globalement pas impactés dans leur production et leurs exportations. De même, le principe et les modalités de leur financement acquis avant le début de la pandémie n’ont pas été remis en cause.
En ce qui concerne les projets en phase de recherche ou dans le processus d’obtention de leur premier financement, ils sont généralement les plus touchés, allant du ralentissement du projet au report voire à l’annulation de leur financement à ce stade. Enfin, il est intéressant de noter que cette période est propice à l’émergence d’un nombre plus important de nouveaux projets, comparativement à la période pré-Covid-19. Il sera intéressant de voir comment ces projets évoluent, en termes de pourcentage de réalisation, notamment dans la phase de financement. Cette évolution dépendra inéluctablement de facteurs externes comme l’importance et l’efficacité de la réaction des pouvoirs publics et des régulateurs pour rassurer le marché, les investisseurs et les banques et impulser le redémarrage de l’activité économique.
La Guinée fait partie de l’espace OHADA, une zone d’harmonisation de la règle de droit mais avec différents codes miniers parfois divergents. Comment dans ce contexte peut-on développer une approche minière commune au niveau de la CEDEAO et de l’Union Africaine ?
Le secteur minier, du fait notamment des recettes et des retombées qu’il est susceptible d’engendrer, est un domaine sensible du point de vue politico-économique dans nos États. Ainsi, ce secteur n’est pas régi par les actes OHADA et chaque pays dispose de sa propre législation en la matière. Cette situation s’explique en grande partie par le fait que les pays africains sont souvent en compétition pour attirer les investisseurs dans ce secteur. Or, la CEDEAO, que vous mentionnez, est composée de 15 pays dont quelques grands pays miniers comme la République de Guinée, le Ghana, le Mali et le Burkina Faso, ainsi que des destinations minières émergentes telles que le Nigeria, le Sénégal, ou la Côte d’Ivoire.
En dépit du fait que les intérêts des différents pays ne sont pas forcément alignés, des démarches sont en cours en vue de cette harmonisation. Ainsi, ont notamment vu le jour la Directive de la CEDEAO de 2009, le projet de loi-modèle de la CEDEAO, ou encore le Code Minier Communautaire de l’UEMOA qui ouvrent la voie à une possible harmonisation des Codes Miniers à terme. Par ailleurs, bon nombre de législations africaines s’inspirent aujourd’hui des textes de l’ITIE. Ces efforts doivent être poursuivis avec l’objectif final, bien que lointain à cette date, d’un Code Minier commun, qui pourrait conduire à une réduction de l’évasion fiscale, une meilleure prise en compte de l’environnement et des communautés et une plus grande transparence dans la gouvernance minière.
En ce sens, il convient de louer à nouveau l’avènement de la zone OHADA et de continuer à encourager les États membres à mettre en œuvre les efforts nécessaires pour l’améliorer. La pandémie a mis en lumière le fait que certaines dispositions des actes uniformes pourraient constituer un frein ou une cause de retard du développement de certains projets, tout particulièrement dans les nouvelles conditions du monde d’après. Par exemple, l’exigence de présence physique d’au moins un tiers des administrateurs pour la validité des réunions du conseil d’administration ou l’exigence de tenue de l’assemblée générale annuelle dans les six mois de la clôture de l’exercice. Il est important que les États membres apportent rapidement davantage de souplesse et de pragmatisme à ces dispositions.
Dans beaucoup de pays, il y a un débat intense sur les incitations fiscales considérées comme de l’évasion fiscale. Quel regard portez-vous sur cette question ?
Dans un contexte généralisé de baisse des recettes fiscales pour les États africains, ce débat revêt une vraie acuité et il est légitime qu’il soit remis sur la table. C’est un fait que les investisseurs sont généralement gourmands en termes d’incitations fiscales afin d’améliorer la rentabilité de leurs projets. D’un autre côté, il est dans l’intérêt des pays hôtes de bien négocier ces incitations fiscales, au risque de perdre plus d’argent qu’ils n’en reçoivent au titre de ces investissements. Historiquement, les incitations fiscales sont octroyées pour encourager à investir dans les pays dits à risque. C’est donc quelque part la rétribution du risque. Tant que nos États resteront dans cette catégorie, les investisseurs seront enclins à réclamer ces incitations. En l’état actuel, trois éléments simples sont essentiels du côté étatique afin de contrôler efficacement ces incitations. Tout d’abord, réformer la législation pour réduire l’éventail des incitations fiscales susceptibles d’être octroyées. Ensuite, disposer d’une équipe de négociation compétente sur les aspects fondamentaux, notamment le juridique et le financier. Enfin, l’intervention d’une assemblée nationale indépendante ou à tout le moins outillée pour contrôler et ratifier les dispositifs incitatifs octroyés et s’assurer de leur caractère raisonnable.
Bien naturellement, ces préalables ne pourront produire les effets escomptés qu’à la condition de disposer d’une administration compétente et efficace pour contrôler l’exécution et sanctionner les manquements. En tout état de cause, ces incitations ne doivent pas se doubler de flux financiers illicites ou abusifs qui constituent la vraie évasion fiscale. Selon les statistiques, l’Afrique perdrait chaque année plus de 50 milliards de dollars US du fait de ces flux financiers. Je l’évoquais tout à l’heure mais l’absence d’harmonisation des législations des pays africains constituent un vecteur incitatif à cette évasion.
Les décisions juridiques et politiques pour lutter contre l’évasion fiscale se prennent, à ce jour, au niveau national. Or, il est aujourd’hui plus que nécessaire de mettre en place, au sein des structures communautaires à l’instar de l’UEMOA ou de la CEDEAO, un échange effectif d’informations et des organes permettant l’application d’un ensemble de règles contre l’évasion fiscale, assorties de sanctions effectives.
En ce sens, la prochaine mise en place de la ZLECA pourrait accélérer ce mouvement d’harmonisation et de mise en cohérence avec pour corollaire, une réduction de cette évasion. Par ailleurs, les décisions juridiques et politiques pour lutter contre l’évasion fiscale se prennent, à ce jour, au niveau national. Or, il est aujourd’hui plus que nécessaire de mettre en place, au sein des structures communautaires à l’instar de l’UEMOA ou de la CEDEAO, un échange effectif d’informations et des organes permettant l’application d’un ensemble de règles contre l’évasion fiscale, assorties de sanctions effectives. Il existe donc des outils à réfléchir, à l’instar de la taxation des recettes, ou d’ores et déjà à disposition afin que ces incitations demeurent des incitations et ne rentrent pas dans la catégorie de l’évasion fiscale. Il s’agit là du vrai enjeu à mon avis. Ce débat remet par ailleurs sur la table toute l’importance d’une plus grande mobilisation des ressources domestiques que les autorités africaines doivent également considérer comme une priorité en ces temps de restrictions, et de leur utilisation, avec un besoin toujours accru de mise en place de processus efficaces de lutte contre la corruption.
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