Par Johan D’Haene*
Le marché mondial du diamant, un récit hors normes … (partie 2)
Les diamants sont brillants, mystérieux et rares. Il y a de cela des milliards d’années, à plus de 300 km dans le manteau terrestre, du carbone pur s’est cristallisé sous des pressions et températures extrêmes. Les diamants ont été découverts en Inde, au Brésil et, à la fin du XIXe siècle, en Afrique du Sud. Aujourd’hui, les diamants sont extraits en Russie, au Canada, en Australie, ainsi que dans 16 pays africains comme au Botswana. La production mondiale de diamants a triplé depuis les années 80, mais les diamants restent une ressource rare.
Plus de 12000 gisements de kimberlite ont été découverts dans le monde au cours des 25 dernières années, mais moins de 1% d’entre eux se sont avérées économiquement viables. Les données minières les plus récentes (2019) indiquent que la Russie possède les plus grandes réserves, soit 650 millions de carats de diamants (52 %), suivie de la RDC avec 150 millions de carats (13 %) et du Botswana avec 90 millions de carats de diamants. Au total, les réserves mondiales de diamants s’élèvent à environ 1,1 milliard de carats. (source: learnbonds.com).
Après sa découverte en 1866 en Afrique du Sud, un cartel de diamants a rapidement vu le jour. En 1888, la société De Beers Consolidated Mines fut créée. À ses débuts, le « syndicat » du diamant contrôlait avec succès l’approvisionnement mondial en diamants en réglementant la production minière et en achetant des droits miniers exclusifs aux nations africaines. Au début du XXe siècle, De Beers contrôlait près de 90 % du commerce international de diamants. Le prix des diamants a été artificiellement manipulé par De Beers. Cela remonte aux années 30, au début de l’ère d’Ernest Oppenheimer, fondateur du groupe minier sud-africain Anglo American impliqué dans le contrôle de De Beers, et de sa philosophie. Les diamants sont extraits à un coût variable selon la nature de l’environnement d’exploitation et des difficultés d’extraction. 80% de tous les diamants bruts sont des diamants industriels, 20% de qualité gemme.
Il était vital pour l’industrie que les diamants industriels soient disponibles au meilleur prix, au prix le plus bas possible – ce qui ne pouvait se faire que si le meilleur prix possible, le prix le plus élevé, était atteint par les diamants de qualité gemme. De Beers a effectivement utilisé sa position dominante pour façonner le marché international du diamant. Il persuada ainsi les producteurs indépendants à rejoindre son monopole à canal unique, en achetant et en stockant des diamants afin de mieux contrôler les prix au niveau international et de limiter l’offre.
Aujourd’hui, la situation a profondément changé. La production de poudres de diamant synthétique surpasse largement les diamants industriels. De Beers avait partiellement compensé cette situation par la création d’un nouveau marché, celui des ‘near-gem’ (72 % en poids de sa production), en particulier pour les tailleurs indiens (avec des prix entre 4 et 30 $/carat). Il a ouvert son marché unique aux Australiens ainsi qu’à d’autres producteurs et a rendu les diamants abordables pour tout le monde.
Néanmoins, De Beers s’est créé des concurrents pour ses propres diamants industriels. En 2000, le modèle commercial a de nouveau changé, les producteurs canadiens et australiens ayant décidé de distribuer leur production en dehors de la Central Selling Organization, canal de vente de De Beers. La société, qui jusqu’au milieu des années 1990 contrôlait 70 à 80 % du marché des diamants bruts, a vu sa part se réduire pour ne plus représenter que 40 %. Depuis les années cinquante, De Beers avait stimulé les ventes de diamants dans le monde entier. Cette stratégie publicitaire très coûteuse qui visait les futurs fiancés, en leur inculquant l’idée qu’une bague en diamant était la seule déclaration d’amour acceptable, était l’idée de Harry Oppenheimer.
Grâce à l’agence de publicité de De Beers, NW Ayer, le slogan « un diamant est éternel”, lancé en 1948 devint le slogan de vente mondial des bagues de fiançailles et bijoux. En tant que l’un des principaux acteurs, De Beers a dû s’adapter aujourd’hui à un nouvel environnement économique. De Beers aujourd’hui ne ressemble guère à celle de 1888 ou de 1988. En perdant son quasi-monopole, l’entreprise sud-africaine a pris la décision capitale de cesser de contrôler l’offre de diamants bruts et de devenir le champion de la concurrence vis à vis de ses propres clients. Peu de gens à l’époque se rendaient compte de l’impact dérégulateur que cette décision aurait sur l’industrie traditionnelle.
En juin 2003, De Beers annonce qu’elle révisait sa liste de clients, la réduisant d’un tiers, ne conservant que des sociétés soigneusement triées sur le volet, mettant l’accent sur leur plan marketing, en accord avec les objectifs de la nouvelle approche commerciale « Supplier of Choice » (SoC). Chacune d’entre elles reçut un contrat de deux ans, puis de six, avec obligation de lancer des programmes de promotion et vente de nouveaux produits de bijouterie en diamant. Le renouvellement ou non de leur contrat dépendait du succès de ces programmes. L’impact du changement de stratégie de De Beers s’est fait sentir dans toute l’industrie. Une consolidation des canaux de production et de distribution eut lieu, avec de nouvelles alliances entre acteurs de secteurs, auparavant distincts. Non seulement les tailleurs de diamants s’associaient à des créateurs de bijoux et à des chaînes de vente au détail, mais en plus, luttant pour s’approvisionner en diamants bruts, les négociants et les fabricants envisageaient désormais des partenariats miniers et d’exploration, comme Tiffany’s avec le mineur canadien Diavik.
En 2011, la famille Oppenheimer annonça son intention de vendre la totalité de ses 40% de participation restante dans De Beers à Anglo American. C’est le tournant.
De Beers pensait que sa politique de SoC allait revigorer l’industrie. Malgré les nouvelles initiatives de marketing et plus de 500 millions US$ de publicité, le changement de comportement des femmes, achetant des bijoux pour elles-mêmes, à l’instar du code vestimentaire pour les grandes occasions, la conception de la famille et du mariage, a provoqué une mutation radicale de comportement d’achat. De Beers a dû transposer tous ses messages, y compris son slogan omniprésent « Un diamant est éternel », vers sa propre marque Forevermark.
Jusqu’au début du XXIe siècle, De Beers était le dirigeant, le père bienveillant et le gardien de la confiance dans le monde du diamant. En 2011, la famille Oppenheimer annonça son intention de vendre la totalité de ses 40% de participation restante dans De Beers à Anglo American. Cette transaction mit fin à 80 ans de contrôle de De Beers par la dynastie Oppenheimer. Un réveil brutal s’annonçait. La crise financière de 2007/2008 a rendu les banques frileuses pour tout nouveau financement diamantaire, conduisant à un nouvel affaiblissement du commerce traditionnel de diamants naturels.
Enfin, l’explosion de la production de diamants créés en laboratoire (Laboratory Grown LGD, appelés à tort diamants synthétiques) finit d’aggraver la situation. Au cours des cinq dernières années, la qualité des diamants de laboratoire, produits pour la première fois dans les années cinquante pour des usages industriels tels que la taille et le polissage, a augmenté au point de devenir des diamants de bijouterie. Ils constituent aujourd’hui une sérieuse menace pour le diamant naturel. L’impact se fait sentir dans toute la filière du diamant. Pendant des années, l’attitude des diamantaires vis-à-vis des diamants LG était claire : ces pierres étaient réputées fausses. Mais leur mépris s’est vite transformé en peur, une fois que leurs diamants naturels ont été mélangés à des LG et qu’ils ne pouvaient plus distinguer le vrai du faux. Une panique s’est alors emparée des diamantaires quand les grosses pierres de plus d’un carat et les diamants de couleur LG sont apparus sur le marché. Un réveil plus brutal encore se fit sentir lorsque De Beers déclara qu’il allait devenir un important producteur de diamants LG (malgré tous ses démentis officiels).
De Beers investit actuellement 94 millions US$ dans une usine de diamants LG dans l’Oregon, aux États-Unis, dont l’objectif est d’atteindre 500 000 carats de diamants bruts par an. De Beers a également choqué le monde de la joaillerie en lançant sa propre ligne de bijoux en diamants LG, appelée « Lightbox Jewelry”. Ainsi, De Beers trompa une fois de plus ses fournisseurs et clients. Dès la fin des années 70, il entra en concurrence à tous les niveaux, de la vente brute, au triage, puis à la taille, et commercialisa le produit final d’abord à ses propres clients, puis au grand public, montrant ainsi son pouvoir de monopole par son intégration verticale. Le programme SoC (Supplier of Choice) a aliéné encore davantage ses clients (ceux qui ont le droit de voir ou Sightholders) en les contraignant à un carcan d’obligations et d’exigences, loin du rôle traditionnel de négociant, courtier ou tailleur de diamants. Personne n’a mieux illustré la situation désastreuse de l’industrie du diamant que Chaim Even-Zohar, avec son article « The Year the Industry Lost Confidence in Its Future »(source : IDEX- 2014).
Les problèmes vitaux auxquels l’industrie diamantaire a été confrontée ces dernières années sont multiples : manque de trésorerie comprimée par les banques qui se détournent progressivement du financement des diamants; problèmes de crédit et grosses faillites de sociétés diamantaires, parmi lesquels certains clients importants de De Beers; effondrement du marché à Hong Kong durant les mois de conflit avec la Chine; pression sur les prix et augmentation des stocks soudainement surévalués; excédent encore aggravé par l’hésitation des acheteurs sur les principaux marchés de consommation (États-Unis, Chine) ; risques macroéconomiques liés au déclin structurel e l’économie mondiale et à une éventuelle guerre commerciale entre les États-Unis (année électorale) et la Chine (Hong Kong et lois sur la sécurité).
Avec la COVID-19, l’industrie diamantaire mondiale, de l’extraction au commerce de détail, est paralysée. Les Bourses diamantaires ont été fermées, les usines de taille ont licencié des milliers de travailleurs et seule la vente au détail de bijoux sur internet a pu perdurer. L’impact de la pandémie continuant de frapper les économies du monde entier, De Beers a été contraint d’annuler ses ventes, les acheteurs ne pouvant plus se déplacer « pour voir » la marchandise. De Beers et Alrosa n’ont pas eu d’autres choix que de prendre des mesures draconiennes pour protéger leur marché. Les mineurs ont refusé de réduire les prix, laissant au contraire aux acheteurs une liberté sans précédent pour revoir leurs contrats d’achat de pierres. Ils ont également réduit la production afin de mieux contrôler les stocks. Pour ce faire, les sociétés minières ont dû déployer toute leur
créativité afin de contrôler leur exploitation et leur solidité financière, en réduisant les coûts et en gérant la production de manière proactive. Aujourd’hui, les cinq plus gros producteurs sont probablement assis sur des stocks excédentaires d’une valeur d’environ 3,50 à 4 milliards US$ (source : Gemdax). La pandémie COVID-19 pourrait continuer de faire chuter les ventes de diamants bruts de l’ordre de 40 % à l’échelle mondiale, les stocks de diamants bruts continuant d’augmenter malgré la baisse volontaire des exploitations minières (source : Moody’s rating).
La seconde moitié de 2020 devra montrer, s’il y a lieu, un optimisme prudent si l’industrie mondiale du diamant démontre une réaction appropriée et positive face aux changements de comportement des consommateurs, notamment en s’adaptant au nouveau marché de la bijouterie. À la fin de 2020, le contrat de six ans avec les clients de Beers devra être renouvelé. Il reste à savoir comment De Beers compte redistribuer ses cartes.
L’avenir de l’exploitation des diamants naturels est actuellement en pleine mutation, car les anciennes mines approchent de leur fin de vie et peu de nouveaux projets voient le jour. On s’attend à ce que la diminution du nombre de mines en production entraîne une pénurie de l’offre à l’avenir, ce qui fera obligatoirement monter les prix pour certains segments de marché. Mais les producteurs de diamants sont clairement menacés. Il s’agit avant tout du Botswana et des autres pays producteurs de diamants en Afrique, mais aussi du Canada et de la Russie. L’ensemble de la filière « From Mine to Mistress » (pour reprendre le titre du livre de Chaim Even- Zohar) subira une lourde perte si l’industrie du diamant ne parvient pas à préserver la demande des consommateurs en diamants naturels et à permettre au segment des diamants LG de s’imposer. Le PDG de Diamond Foundry, un producteur de LG, a affirmé avec audace que les diamants LG dépasseront les ventes de diamants naturels – vraisemblablement en volume et non en valeur – d’ici 2030.
Les diamants ont toujours été perçus par le grand public comme ayant une valeur intrinsèque durable. Or, tout ce qui porte atteinte à la confiance nuit à la filière du diamant. Contrairement aux métaux précieux et aux autres ressources naturelles, qui peuvent compter sur de multiples sources de demande, l’industrie du diamant tire pratiquement toute sa valeur de la demande des clients de bijoux en diamant. Une industrie diamantaire rentable est donc intrinsèquement liée à la demande du client. La génération millénaire des clients potentiels en bijoux de diamants est beaucoup plus à l’écoute des produits dits équitables et remet en question la manière éthique et écologique avec laquelle les diamants naturels doivent être extraits. Il ne suffit plus de dire que le diamant qu’ils souhaitent acheter soit extrait de manière responsable. Des preuves tangibles de cette équité et de cette transparence seront exigées. Ce qui manque aujourd’hui à ces diamants est un véritable système de suivi (un passeport) permettant de garantir aux clients que « leur diamant provient de telle mine et qu’il a été extrait selon des règles éthiques ». C’est cette transparence dont les clients ont besoin pour se décider à faire un choix entre un diamant LG et un diamant naturel tracé et certifié. S’ils sont convaincus de l’importance des implications environnementales ou sociales pour extraire le diamant, ils doivent également comprendre que si la ressource diamantaire est correctement gérée, l’industrie minière pourra contribuer à créer des emplois, à octroyer plus de droits aux femmes, à financer l’éducation et les soins de santé dans certains des pays les plus pauvres d’Afrique.
Le système international de contrôle des diamants, connu sous le nom de « Processus de Certification de Kimberley », ne répond plus au besoin de nos contemporains et ce n’est surement pas une campagne publicitaire sur les « Diamants Equitables » qui convaincra les futures générations. La transparence à l’ensemble de la filière du diamant est donc essentielle. Ainsi donc, l’industrie du diamant doit faire l’effort d’adapter son approche marketing à ce segment de consommateurs, sous peine de le perdre. De même, l’industrie doit prouver que les diamants ont une valeur de revente et que cette dernière est possible. Pour rendre les diamants revendables, la seule et unique manière d’y arriver est la transparence. Transparence et traçabilité dans le processus d’extraction ainsi que dans celui de la taille, et transparence dans les prix selon une échelle de valeur standardisée, comme l’or ou d’autres matières précieuses. C’est à ce prix que le diamant naturel pourra perdurer.
A propos de Johan D’Haene
Juriste spécialisé en droit international et diplomatie, Johan D’Haene a débuté sa carrière chez De Beers Consolidated Mines Pty, et au sein de Diamond Trading Company (DTC). Il est devenu directeur des affaires extérieures du Diamond High Council, avant de lancer sa propre entreprise de diamants en 1986 avec des partenaires japonais. Il a acquis une vaste connaissance des affaires du diamant et est devenu consultant auprès de divers organismes et gouvernements.