Par Darwis Khudori, Architecte et historien indonésien, directeur du Master Echanges avec l’Asie à l’Université Le Havre Normandie, France.
Lundi 20 juillet 2020, j’ai reçu un lien Internet d’un de mes étudiants algériens: «La stèle consacrée au Président Soekarno témoigne des relations algéro-indonésiennes». La stèle en question a été inaugurée le samedi 18 juillet 2020, à Ben Aknoun, un quartier d’Alger, la capitale de l’Algérie, par un représentant diplomatique de l’Indonésie (SE l’Ambassadrice Madame Safira Machrusah) et le directeur général Asie-Océanie du Ministère algérien des Affaires étrangères (Monsieur Boumediene Guenad). Voir http://www.aps.dz/algerie/107578-algerie-indonesie-la-stele-dediee-au-president-soekarno-a-alger-temoigne-des-relations-historiques-entre-les-deux-pays (vérifié le 29/07/2020).
Pendant ce temps, en Occident, en particulier dans les anciens pays colonialistes-impérialistes, foyers de conquérants colonialistes ainsi que de marchands et propriétaires d’esclaves (USA, Royaume-Uni, France, Pays-Bas, Belgique, Australie…), protestations sociales et mouvements collectifs contre le racisme, l’impérialisme, le colonialisme et l’esclavage se sont développés de façon inattendue. Certains mouvements dans différents pays sont allés plus loin pour détruire ou déboulonner des statues de personnages historiques symbolisant la conquête occidentale et la domination du monde, des statues représentant le racisme, l’impérialisme, le colonialisme et l’esclavage, des statues caractérisant les espaces publics des villes occidentales, comme Christophe Colomb (le premier venu européen en Amérique) aux USA, Jan Pieterszoon Coen (pionnier néerlandais de la colonisation de l’Indonésie) aux Pays-Bas, Edward Colston (marchand d’esclaves) au Royaume-Uni, le roi Lepolod II (maître colonisateur du Congo) en Belgique, le capitaine James Cook (le premier venu européen en Australie) en Australie, Jean-Baptiste Colbert (initiateur du Code Noir) en France… Alors, pourquoi l’Algérie a-t-elle installé une stèle représentant un personnage historique qui n’est pas de son propre peuple.
Racisme, colonialisme, esclavage, Black Lives Matter
Le racisme et l’esclavage existaient dans diverses sociétés traditionnelles. Mais c’est la « Galaxie occidentale » du capitalisme, du colonialisme et de l’impérialisme qui les a systématiquement utilisés comme outil d’exploitation économique au profit du métropole (Europe de l’Ouest : Espagne, Portugal, France, Pays-Bas, Royaume-Uni …). Le racisme était pratiqué pour affirmer la supériorité du peuple occidental (peau blanche) sur le colonisé (peau noire ou colorée), pour déposséder les colonisés et / ou les esclaves de leur propre personnalité, pour les diviser en petites entités, pour les contrôler et les exploiter facilement. Suite à la conquête occidentale de l’Amérique et au génocide des peuples autochtones, la Galaxie occidentale a développé l’esclavage et utilisé des esclaves d’Afrique pour exploiter les ressources naturelles de l’Amérique. Après l’abolition de l’esclavage, la Galaxie occidentale a utilisé des « coolies » (travailleurs contractuels) venus d’Asie, principalement de Chine, puis des travailleurs migrants d’Inde et d’Indonésie, dans leurs diverses colonies d’Amérique, d’Hawaï, des Caraïbes… mais aussi de l’Afrique de l’Est et de la Péninsule malaise (colonies britanniques), en Indonésie et au Surinam (colonie néerlandaise), en Nouvelle-Calédonie (colonie française) etc. Leurs conditions n’étaient pas si différentes de celles des esclaves. En Amérique latine, le colonialisme espagnol a créé un système de castes et développé des nomenclatures racistes telles que « mulatto », « mestizo », « zambo »…
En Indonésie, les Néerlandais ont classé les populations de la colonie en première classe (les Néerlandais, Européens, blancs), seconde classe (les Orientaux: Arabes, Chinois, Indiens) et de troisième classe (les « Inlanders » : populations locales, autochtones, indigènes). En Algérie, la loi coloniale de 1865 ne permettait aux Algériens arabes et berbères de demander la citoyenneté française que s’ils abandonnaient leur identité musulmane. Dans différents pays colonisés, la ségrégation raciale était appliquée dans les écoles, les zones urbaines, les transports publics, les domaines professionnels, etc.
Le racisme et l’esclavage ont été appliqués en synergie avec d’autres outils du colonialisme, à savoir le contrôle territorial, le peuplement et l’imposition d’un modèle culturel, économique et politique aux personnes ciblées. Tout le colonialisme occidental est passé par la conquête militaire. Du conquistador espagnol Pizzaro au Pérou au XVIe siècle au tortionnaire français Aussaresses en Algérie au milieu du XXe siècle, il s’agissait du contrôle militaire d’un territoire. Il y avait parfois des négociations entre les représentants locaux ou nationaux du pouvoir et les agences occidentales, mais derrière les négociations se trouvait le facteur déterminant de la suprématie militaire occidentale. Une fois le territoire sous contrôle, les colonialistes occidentaux ont envoyé des gens du métropole pour occuper le territoire, par la force si nécessaire, notamment en expulsant ou en tuant les habitants locaux ou autochtones. Cela peut se faire à différentes échelles : à une petite échelle (implantation de zones administratives ou résidentielles coloniales dans une structure existante comme les Britanniques en Inde et les Néerlandais en Indonésie), à une plus grande échelle (fondation de villes nouvelles comme les Français en Algérie, les Néerlandais et les Britanniques en Afrique du Sud, en Amérique, en Australie), à la plus grande échelle (remplacement de l’ensemble des habitants d’un pays, d’une région ou d’un continent par des personnes du métropole impliquant le génocide des autochtones comme les Espagnols en Amérique centrale et du Sud, les Britanniques en Amérique du Nord et en Australie).
Le contrôle territorial et le peuplement ont atteint leurs pleins effets grâce au changement de pensée des personnes ciblées de leur première à une nouvelle propre à l’exploitation. Au nom de la « mission civilisatrice » (jargon français) ou « White’s Skin Burden » (jargon britannique), nourris par une conviction de supériorité de leur mode de vie, les puissances colonialistes-impérialistes occidentales ont imposé aux peuples colonisés leur modèle culturel (éducation, langue, religion, rapports sociaux, habillement, architecture, gastronomie…), modèle économique (système monétaire, agriculture à exportation, extraction de matières premières, maintien de la main-d’œuvre bon marché…) et modèle politique (gouvernance, administration, partis politiques…). C’est ainsi que l’Afrique a été divisée en plusieurs États-Nations, regroupés en anglophones et francophones, et que les Africains et les esclaves ont été appelés avec des noms occidentaux: David, Françoise, George, Jacqueline, Joseph, Robert, Rosalie… Le meurtre cruel et ouvert d’un homme à la peau noire (George Floyd) par un policier à la peau blanche (Derek Chauvin) à Minneapolis, États-Unis, le 25 mai dernier, fait partie de ce racisme historico-structurel-systémique entretenu par l’oligarchie de la finance et de la suprématie blanche. Cependant, les sociétés changent.
En dehors des élites, la conscience de la justice, de la paix, du non-à-la-guerre, du non-aux-armes, du non-au-nucléaire, de l’égalité, de la solidarité, de l’amitié, de l’écologie, du changement climatique, du genre, des LGBT, du bien commun et de toutes les valeurs partagées au niveau mondial… grandissent parmi la population, en particulier la jeune génération née et élevée à l’ère de la mondialisation et des médias sociaux inspirés par Che Guevara, Martin Luther King, Thomas Sankara, The Beatles, Bob Marley, Bob Dylan, Joan Baez, Malala Yousafzai, Greta Thunberg… et bien d’autres personnalités publiques humanistes-écologistes-universalistes. Pour cette génération, le meurtre raciste, qui était un acte chronique d’impunité aux États-Unis, n’est plus acceptable. Ainsi, les mouvements sociaux initiés par Black Lives Matter rassemblent massivement non seulement des personnes à peau noire, mais aussi des personnes à peau blanche et à peau de couleur, ainsi que différents groupes ethniques et religieux. Ils réclament la justice, la fin du racisme, du colonialisme et de l’esclavage, la réparation des victimes du racisme, du colonialisme et de l’esclavage… Ils n’acceptent plus que les symboles de la conquête occidentale, du colonialisme, de l’impérialisme et de l’esclavage marquent leurs espaces publics.
Gandhi au Ghana
Le refus de la statue d’un personnage historique ne s’est pas produit uniquement sur des personnages à peau blanche symbolisant la supériorité occidentale dans les pays occidentaux, mais aussi sur des personnages à peau non blanche dans des pays non occidentaux. L’exemple est la statue du Mahatma Gandhi au Ghana, qui semble être un exemple unique du genre dans le monde, à ma connaissance. L’histoire remonte à 2016 lorsque le président de l’Inde a visité l’Université du Ghana avec un cadeau : la statue du Mahatma Gandhi. L’université a accepté la visite et le cadeau, notamment en raison du fait que le projet avait déjà été discuté et convenu avec le ministère des Affaires étrangères et le bureau du Président du Ghana. Le président de l’université lui-même (à l’époque le Professeur Ernest Aryeetey) avait étudié le profil de Gandhi et était conscient de la controverse possible de sa statue dans la cour de l’université. Gandhi avait 23 ans lorsqu’il s’est rendu en Afrique du Sud et y a vécu pendant de nombreuses années en tant que jeune avocat. Gandhi a qualifié les Noirs de « kaffirs » dans certains de ses premiers écrits. Il pourrait être facilement compris comme très raciste dans sa campagne pour obtenir plus de droits pour les Indiens en Afrique du Sud. Il s’intéressait très peu à la souffrance des personnes à la peau noire et pensait que le combat des personnes à la peau noire était différent de celui des Indiens. Avec le temps, sa personnalité a changé. Il s’est joint à certains groupes noirs pour résister à l’oppression blanche. Quand il a quitté l’Afrique du Sud et est retourné en Inde, et s’est retrouvé face à face avec le système des castes indiennes, il l’a vu comme étant aussi déshumanisant que ce que les Indiens et les Noirs ont vécu en Afrique du Sud. Il a trouvé que les pauvres Indiens n’étaient pas mieux lotis que les Indiens d’Afrique du Sud. À partir des années 1930, lorsqu’il a donné tant de maux de tête à l’Empire britannique, il était très différent du jeune avocat arrivé en Afrique du Sud quelques années après avoir quitté le Royaume-Uni. Gandhi a été célébré pour les choses qu’il a enseignées au monde dans ses dernières années, à travers ses écrits, ses idées et son style de vie. Il était célébré pour sa quête de la paix pour tous les peuples du monde. Dans ses écrits sur l’auto-gouvernement et l’indépendance, il a mis l’accent sur la coexistence pacifique avec toutes les races. Il a passé du temps à enseigner aux gens comment résister à l’oppression de manière pacifique. C’est cette poursuite de la coexistence pacifique des races qui a retenu le respect et l’attention du monde. C’est ce qui a attiré Martin Luther King vers ses idées. C’est ce même idéal qu’il partageait avec Nelson Mandela. C’est en effet ce qui a inspiré Kwame Nkrumah du Ghana à parler de ce qu’il a appris de Gandhi. Pour ces raisons, le président de l’université a défendu la statue de Gandhi installée dans une cour universitaire. Deux ans plus tard, lorsque le président de l’Université qui a défendu la statue a terminé son mandat, sous la pression des étudiants et du personnel, l’université a décidé de retirer la statue (Ernest Aryeetey, «The background story to a statue of Gandhi and the University of Ghana », The Conversation, 14 mai 2019, https://theconversation.com/the-background-story-to-a-statue-of-gandhi-and-the-university-of-ghana-117103 vérifié le 28 / 07/2020).
Soekarno en Algérie
La relation entre l’Algérie et l’Indonésie a été caractérisée par la fraternité et la solidarité, en particulier pendant la période de lutte des peuples asiatiques et africains contre le colonialisme et pour l’indépendance, période connue sous le nom de « l’Ere de Bandung » entre 1955 et 1970. D’après des Archives diplomatiques françaises, l’annonce par l’ONU de l’indépendance de l’Indonésie le 27 décembre 1949, a été reçue avec joie et célébrée par des sociétés musulmanes dans le monde arabe. Le même jour, le roi Farouk d’Égypte a adressé ses félicitations au représentant diplomatique indonésien au Caire. Le lendemain, le gouvernement égyptien a reconnu officiellement l’indépendance de l’Indonésie. Le Premier ministre égyptien, Azzam Pacha, a déclaré dans son discours que «La victoire de l’Indonésie est la victoire du monde arabe du Moyen-Orient» et était «un présage pour l’indépendance des nations arabes d’Afrique du Nord», à savoir le Maroc, l’Algérie, la Tunisie et la Libye. Au Maroc, le premier vendredi suivant l’annonce historique, le 31 décembre 1949, l’indépendance de l’Indonésie a été célébrée dans des mosquées par des prières et la récitation du coran de la sourate de la Victoire. De plus, depuis trois mois, les journaux marocains publiaient en première page des informations quotidiennes sur la lutte héroïque du peuple indonésien pour son indépendance et un appel au peuple marocain à suivre l’exemple indonésien (c’était la guerre de l’indépendance indonésienne de 1945-1949). Quelques mois plus tard, les dirigeants des mouvements pour l’indépendance du Maroc, de la Tunisie et de l’Algérie sont venus l’un après l’autre rencontrer les dirigeants indonésiens pour des soutiens moraux et matériels de l’Indonésie. Parmi les plus importants d’entre eux figurait Habib Bourguiba qui devint plus tard le premier président de la Tunisie. Il a commencé à se rendre en Indonésie au début de 1951 et à rencontrer le président Soekarno, le vice-président Hatta, et d’autres dirigeants politiques de
l’Indonésie. La sympathie de Soekarno aux mouvements indépendantistes d’Afrique du Nord était telle qu’il a fourni des locaux à Jakarta pour le bureau de Neo-Destour, le parti politique de Bourguiba, comme base de leurs mouvements en Asie. D’Algérie, le premier délégué du mouvement indépendantiste en visite en Indonésie fut Saïd Fahri qui présenta en 1953 la dernière situation de soulèvement en Algérie, la reconnaissance envers le gouvernement indonésien et la demande de soutien indonésien. Lorsque la guerre d’indépendance éclate en Algérie en novembre 1954, l’Algérie fait la une des journaux indonésiens grâce aux informations diffusées par le bureau de Neo-Destour à Jakarta.
Un mois plus tard, sont venus en Indonésie deux délégués du mouvement indépendantiste algérien, Hussein Aït Ahmad et Mohammed Yazid, pour assister à la Conférence de Bogor (conférence préparatoire de la Conférence Asie-Afrique à Bogor, près de Jakarta) fin décembre 1954, où ils ont soumis un mémorandum sur la situation en Algérie. Avec le soutien du gouvernement indonésien et une base à Jakarta, les dirigeants des mouvements indépendantistes nord-africains se sont rendus dans différents pays d’Asie pour leur campagne en faveur de l’indépendance nord-africaine du colonialisme français. Leur objectif était de convaincre le gouvernement de différents pays d’Asie afin d’inscrire les questions nord-africaines à l’ordre du jour de la Conférence Asie-Afrique qui se tiendra à Bandung en 1955. Lors de la Conférence de Bandung, les dirigeants nord-africains des mouvements indépendantistes étaient autorisés à assister à la conférence en tant que « visiteurs ». Le résultat était prometteur : le Communiqué final de la Conférence de Bandung mentionnait les questions nord-africaines dans deux articles: 1) Dénonciation du colonialisme en Afrique du Nord où le droit fondamental des peuples d’étudier leur propre langue et culture a été bafoué ; 2) Exhorter le gouvernement français à régler sans délai les droits des peuples algérien, marocain et tunisien à l’autodétermination et à l’indépendance de manière pacifique (La Conférence Asie-Afrique de Bandung 1955, Communiqué final).
Grâce à la Conférence de Bandung, le Maroc et la Tunisie obtinrent leur indépendance en 1956. Pendant ce temps, l’Algérie devait encore lutter dans une guerre sanglante contre la France jusqu’à son indépendance en 1962. Entre la Conférence de Bandung de 1955 et l’indépendance de l’Algérie en 1962, l’Indonésie sous Soekarno soutiendra sans relâche la lutte algérienne en mettant sa diplomatie au service de la cause. Suite à la Conférence de Bandung, une Commission Asie-Afrique a été créée dans le cadre de l’ONU afin de s’occuper des questions Asie-Afrique dans les assemblées générales de l’ONU, y compris l’indépendance de l’Algérie et d’autres pays africains. Grâce à ce processus, une trentaine de pays africains ont obtenu leur indépendance entre 1955 et 1965. En 1956, l’Indonésie a facilité la mise en place à Jakarta d’une « Mission Sémi-Diplomatique et d’Information » du FLN (le Front algérien de Libération Nationale) sous la direction de Mohammed Yazid. En 1960, le film Djamilah Aldjazairiyah (Djamilah l’Algérienne) – réalisé par le cinéaste égyptien Yousef Chahine montrant les actions héroïques de Djamilah pendant la guerre d’indépendance en Algérie – a été projeté à Jakarta en présence de Magda, l’actrice égyptienne jouant le rôle de Djamilah, ce qui a suscité une sympathie populaire en Indonésie à l’égard de la lutte de libération nationale en Algérie et ce qui n’a pas plu le gouvernement français. Personnellement, Soekarno dénonce sans cesse le colonialisme et l’impérialisme dans ses discours, notamment lors de rencontres internationales. Il est allé plusieurs fois rencontrer le président français Général De Gaulle à Paris pour parler de l’indépendance de l’Algérie et d’autres questions internationales, dont la nécessité d’une réforme de l’ONU. La contribution la plus connue de Soekarno à la fin du colonialisme et de l’impérialisme a été son discours à l’Assemblée générale des Nations Unies de 1960 intitulé « Pour construire le monde à nouveau ». Dans ce discours, Soekarno a réclamé l’indépendance de l’Algérie et de tous les pays africains encore sous le colonialisme. Ce discours était une sorte d’introduction préliminaire à la Conférence de Belgrade des Nations Non-alignées en 1961 sous la direction de Nehru (Inde), Soekarno (Indonésie), Nasser (Egypte), Tito (Yougoslavie) et Nkrumah (Ghana). À cette conférence, l’Algérie a été invitée en tant que participant entier tout comme d’autres pays indépendants malgré le fait que l’Algérie était toujours sous l’occupation coloniale. L’Algérie était représentée par le Premier ministre Ben Youssef Ben Khedda du GPRA (Gouvernement provisoire de la République d’Algérie). Lors de la conférence de Belgrade, plusieurs pays participants dont l’Indonésie ont reconnu l’indépendance de l’Algérie. L’année suivante, 1962, la France cède sa souveraineté à l’Algérie. Après l’indépendance de l’Algérie, les relations Algérie-Indonésie se sont renforcées. Grâce au soutien de Soekarno, l’Algérie a été choisie pour accueillir la deuxième Conférence Asie-Afrique (Second Bandung) qui devait se tenir à Alger en juin 1965. En raison du coup d’Etat militaire en Algérie et
d’autres raisons, la deuxième Conférence Asie-Afrique a été reportée à novembre 1965. Cependant, deux mois avant la conférence, un événement politique sanglant s’est produit en Indonésie ! Dans la nuit du 30 septembre et du 1er octobre, sept officiers de l’armée indonésienne de haut rang ont été enlevés et assassinés, le Parti communiste indonésien a été accusé d’être l’auteur, l’armée du général Soeharto a pris le pouvoir, Soekarno a été assigné à résidence jusqu’à sa mort en 1970. La deuxième Conférence Asie-Afrique a été annulée et n’a jamais été reprise jusqu’à aujourd’hui !
La lutte héroïque du peuple algérien et le soutien désintéressé de Soekarno à l’indépendance algérienne ont été enseignés dans les écoles algériennes. Selon mon élève algérien, au cours de leurs écoles primaires et secondaires, les élèves algériens découvrent les mouvements de libération nationale et anticolonialistes et leurs dirigeants dans les pays en développement, notamment Nehru, Nasser, Che Guevara, Mandela… et surtout Soekarno reconnu comme une figure centrale du soutien à l’indépendance et à la révolution algériennes. Ainsi, Soekarno a été considéré comme faisant partie des personnages historiques algériens appréciés à la fois par les décideurs et le public. Cela pourrait être la réponse à la question posée au début de cet essai. Suivant la même logique, la statue de Gandhi n’a pas été acceptée car elle n’était pas unanimement appréciée par les décideurs et le public ghanéens comme faisant partie de leurs personnages historiques. Idem pour Christophe Colomb aux USA, Jan Pieterzoon Coen aux Pays-Bas, Léopold II en Belgique, Edward Colston au Royaume-Uni, James Cook en Australie, Colbert en France. La jeune génération cosmopolite-multiculturelle-mueltiethnique-multireligieuse-écologiste mondialisée des pays où ces statues ont été installées n’apprécie pas les personnages représentés par ces statues comme faisant partie de leurs personnages historiques.
Hongrie
En parlant des statues indésirables, il vaut la peine d’apprendre de la Hongrie. Pendant l’ère communiste en Hongrie (1946-1989), Budapest abritait un grand nombre de statues de personnalités communistes, notamment Marx, Engels, Lénine, Staline, ouvriers, soldats, jeunesse communistes, etc. Elles ont décoré les rues et les places de Budapest. Lorsque le régime communiste hongrois est tombé (1989), le destin de ces statues est devenu incertain. Certaines statues avaient été détruites par la foule, celle de Staline par exemple. Il est intéressant de noter que le conseil municipal de Budapest s’est sérieusement occupé de la question. Au lieu d’accepter une partie de l’opinion publique suggérant la destruction totale des statues, le conseil municipal a décidé de créer un parc de statues thématique de valeur documentaire. Un comité composé de tous les maires de district et des comités culturels locaux a été chargé de préparer le projet. Une liste de 42 statues a été constituée, qui a servi de base à la proposition architecturale du parc des statues. La conception du parc a fait l’objet d’un concours public. Le gagnant était l’architecte Akos Eleod. Le parc a été construit dans la banlieue de Budapest, connue sous le nom de « Parc Memento » et inauguré le 27 juin 1993, date qui correspond au second anniversaire de la fin d’occupation de l’Armée rouge soviétique en Hongrie. Depuis son ouverture, le parc est devenu l’une des destinations de tourisme culturel la plus populaire à Budapest, aussi bien pour les Hongrois que les étrangers.
J’ai eu la chance de visiter le parc en juin 2016. Personnellement, je l’ai trouvé fantastique, brillant, poétique et instructif ! Cela m’a donné un sentiment très profond de nostalgie, d’admiration, de sympathie, de regret et de chagrin envers l’époque historique représentée par les statues. Cela m’a hanté avec une question : comment se fait-il que la construction d’un idéal de l’humanité – en l’occurrence le communisme – se soit soldée par une tragédie? FIN.