Par Dr Magatte WADE, Ancien fonctionnaire de la Banque africaine de développement – Maire de (Ngaye) Meckhe.
A l’heure où se dessine un nouveau leadership mondial avec le repositionnement de la Russie, du Canada, du Japon, de l’Allemagne et de la Turquie face à la Chine et aux Etats Unis, la percée géostratégique de nombreux pays africains dont l’île Maurice, le Maroc, l’Afrique du Sud et le Rwanda est à saluer. Pendant ce temps, le Sénégal semble être dépassé par la pandémie du COVID-19 avec un fort ralentissement de l’activité économique.
Les raisons de cette inertie à la fois économique et diplomatique qui a rattrapé le Sénégal qui était pourtant assez bien parti avec un ambitieux programme de développement économique et social sont multiples. Les obstacles ne résident plus dans la volonté politique et de progrès affichée par les pouvoirs publics ni dans la capacité de l’expertise sénégalaise mais ils sont plutôt les conséquences d’un ensemble d’attitudes et d’une lecture pas toujours très juste de la conjecture économique mondiale.
Le pays souffre de la politique. En effet les Sénégalais passent plus de temps à faire de la politique qu’à travailler et cela qu’ils soient engagés ou non dans un parti politique ou un mouvement citoyen. Or les politiciens dans leur grande majorité n’ont d’objectifs que la conquête du pouvoir. Les opposants s’activent généralement à faire échouer tous les plans de développement élaborés par les pouvoirs publics. De telles attitudes ont entraîné la régression du leadership Sénégalais au plan régional et international, confinant notre pays dans la série des pays stables mais compliqués. Des opposants au pouvoir poussent le bouchon jusqu’à faire le tour des chancelleries occidentales ou des institutions financières pour ternir l’image du pays. Le manque d’études prospectives sérieuses prenant en compte les nouveaux développements dans le monde en termes de déploiement diplomatique ou de modèles de développement constitue un goulot d’étranglement.
Aujourd’hui, des pays jadis réputés «petits» -bien qu’il n’existe pas de «petits» pays- ont bouclé le processus visant à les positionner sur l’échiquier mondial dès l’accalmie du Covid-19. Ces pays ont très tôt compris que la pandémie allait dessiner un nouvel ordre économique mondial. Il ne faut pas rater le rendez-vous de la nouvelle configuration qui commandera l’Afrique et le monde. Le Sénégal, suite aux nombreux progrès réalisés au cours de la dernière décennie, ne doit pas croiser les bras. Il est donc temps de définir un nouveau paradigme avec un pari plus audacieux parmi les multiples choix opérés et dont certains se matérialisent déjà. Il est évident que le PSE est un bon plan qui touche à tous les secteurs allant du développement des infrastructures à l’agriculture en passant par l’éducation, la recherche et la formation.
Cependant aucun pari n’est fait parmi les objectifs prioritaires pour porter la transformation structurelle que nous appelons de tous nos vœux. Il est absolument nécessaire de faire un pari judicieux sur l’agriculture et d’accompagner son développement par une restructuration du tissu industriel démantelé par la France dès la première décennie de notre indépendance. L’industrialisation permettra de positionner sur les marchés très concurrentiels déjà des produits finis ou semi finis afin d’accroître la valeur ajoutée et d’assurer une meilleure compétitivité à notre pays. L’industrie crée de la rcihesse et des emplois.
Donc, en choisissant un produit au niveau de chaque département pour créer une petite et moyenne industrie avec des investissements modestes, le Sénégal pourra entrer dans l’ère d’une véritable ambition industrielle. Il s’agira par exemple de monter une usine d’amidon et d’atiéké à Tivaouane, une usine de figues de fruits et légumes en Casamance, une usine d’huiles essentielles à Sokone, une usine de sel à Mbadakhoune, un cluster du cuir à Ngaye Meckhé, une usine de café soluble à Touba, etc. Une enveloppe annuelle de 50 milliards CFA sera nécessaire pour lancer le processus de maillage industriel du Sénégal avec la création ou la restructuration de 60 PMI par an à compter de l’an 2021. L’Etat devra prendre en charge les financements des études de faisabilité en faisant appel aux fonds fiduciaires disponibles auprès des partenaires financiers. Le retour presque forcé à la monoculture de l’arachide dont toute la production est achetée par la Chine constitue une menace à gérer par les autorités qui doivent apporter des réponses appropriées aux cultures commerciales. Ces réponses consisteront à accroitre les investissements pour d’une part booster le développement de la recherche (ITA, ISRA) et d’autre part diversifier l’agriculture en accroissant la production de façon significative afin d’alimenter les industries de transformation et d’atteindre une sécurité alimentaire.
Des pays comme la Tanzanie, le Rwanda, le Malawi et le Cameroun sont de bons exemples à suivre dans ce domaine. L’agriculture telle qu’elle est pratiquée a longtemps servi à alimenter les industries des pays riches et à suppléer au déficit alimentaire de leurs populations. Il s’y ajoute que la majorité des grandes exploitations agricoles sont des succursales de grands groupes de l’agroalimentaire. Il est donc temps que le Sénégal s’oriente vers le développement agro industriel en disposant de grandes industries qui mettent à contribution l’organisation des coopératives paysannes afin de ne pas laisser les petits producteurs en marge du progrès. Tous les pays émergents possèdent des industries performantes. C’est la voie du futur pour l’Afrique et le Sénégal. Il est donc évident qu’une agriculture performante et innovante reposera sur une approche stratégique qui sorte des sentiers battus. Cela demande de l’audace et de la maîtrise surtout de l’eau et des coûts des facteurs.
Or le Sénégal pourrait tirer les dividendes des bonnes pluviométries qui s’annoncent afin d’atteindre une production agricole et alimenter correctement une industriel reposant essentiellement sur l’agriculture, la pêche, l’élevage et l’artisanat. Déjà dans les années 50, le Sénégal disposait d’un tissu industriel très compétitif et qui était l’un des meilleurs en Afrique. Le pays était essaimé d’industries dont des usines de décorticage d’arachide (deux à (Ngaye) Meckhé), des usines de textiles SOTIBA, ICOTAF, EFRACO (Rufisque), SEIB, BATA, une usine de briques rouges (Sébikotane), etc. Des Usines telles que STS de Thiès, des huileries, des confections et bien d’autres ont été reprises ou fermées à cause des équipements obsolètes ou de manque de financements adéquats. L’Etat est devenu moins regardant sur les industries polluantes ou ne respectant pas les normes environnementales telles les Industries Chimiques du Sénégal (ICS) et les tanneries au chrome qui déversent les acides en mer ainsi que les cimenteries et autres industries. Il est temps de veiller à l’application stricte des normes environnementales.
Par ailleurs, les projections sur les hydrocarbures sont légitimes mais incertaines. Aucun pays à l’exception des Etats Unis n’a pu tirer un réel profit de ses hydrocarbures. Sur les 14 pays membres de l’OPEP, on compte 7 pays africains notamment Algérie, Angola, Congo, Gabon, Guinée Equatoriale, Libye, Nigeria. La plupart des pays africains y compris les nouveaux producteurs de pétrole comme le Tchad ont sombré dans l’illusion de la richesse attendue des hydrocarbures. Seule la Côte d’Ivoire ne fait pas grand bruit de son potentiel en hydrocarbure parce que le pays a fait le pari de l’agriculture qui crée de la richesse et des emplois en plus d’être globalement sous le contrôle des nationaux et disposant d’un tissu industriel enviable. La Guinée équatoriale a certes réussi à se moderniser grâce à son pétrole mais cela est à relativiser compte tenu du niveau de développement auquel ce petit pays a été longtemps maintenu.
Enfin, le Sénégal doit accepter que le monde soit maintenant tourné vers des questions axées sur le développement durable, la croissance soutenue par les investissements publics et privés, la promotion du secteur tertiaire et de la bonne gouvernance. Le Sénégal doit travailler à renforcer son leadership sous régional et mondial. Pour atteindre cet objectif, nous devons tous faire preuve d’engagement patriotique avec une volonté de soutenir le rayonnement du Sénégal à l’instar des grandes nations.
Des pays comme les Etats Unis, le Nigeria, l’Afrique du Sud, la Tunisie, le Kenya, la Tanzanie pour ne citer que ceux-là sont des exemples de patriotisme affiché. Le rayonnement et la voix d’un pays sur la scène internationale ont des effets bénéfiques sur le développement économique et social. Or c’est un exercice qui en appelle à la responsabilité de tous. Il n’est pas de l’unique responsabilité des dirigeants encore moins de la responsabilité du Président de la république. C’est une affaire de volonté collective avec des actes individuels. Libre donc à chaque citoyen d’engager son acte individuel d’affirmation et de conquête de ce leadership national. Nous devons nous y mettre tous afin de hisser haut le flambeau du Sénégal, notre pays et de lui donner les moyens de jouer sa partition au niveau du Leadership mondial.
Un commentaire
Depuis que je suis née je n’ai jamais vu une analyse aussi patriotique aussi positive , nous les jeunes sénégalais nous attendons que ça Pour pouvoir être en production.