Jemal Taleb n’est pas du tout un adepte de la limitation des mandats présidentiels et il n’use pas de faux-fuyants pour le dire. Dans cet entretien autour de l’actualité politico-judiciaire africaine, l’avocat mauritanien dit détester que le droit soit utilisé pour régler des problèmes politiques. « La limitation des mandats est un mauvais remède à une vraie difficulté ». Tout est dit. Entretien.
Me Jemal Taleb, quel regard portez-vous sur le débat sur la limitation des mandats présidentiels qui fait rage partout en Afrique ?
A propos de la durée du mandat et du fait de le limiter à deux ou trois, ma position n’a pas tellement évolué . Chaque pays est libre de faire évoluer ses institutions comme il le souhaite. Le Chili par exemple a limité l’exercice à un seul mandat consécutif. Si un chef d’Etat décide de lui même de ne faire que deux mandats et de quitter le pouvoir à la fin de ses mandats sans modifier la règle du jeu, je n’ai pas de commentaire à faire. il s’agirait là de choix personnels et politiques qui ne donne place à aucun commentaire.
Quant au fait d’imposer par voie constitutionnelle une limitation du nombre de mandat, c’est une disposition qui est devenue à la mode depuis le début des années 2000 et elle est surtout réclamée très souvent par des opposants qui veulent déloger des dictateurs et n’en ont pas les moyens en dehors de l’utilisation du droit. Je n’aime pas quand le droit est utilisé pour régler les problèmes politiques. je n’ai jamais compris comment on peut faire le bonheur des électeurs à leur place. Si des électeurs veulent donner deux, trois ou plus de mandats à des élus, je ne vois pas pourquoi on devrait les en dissuader. Encore une fois et pardon de me répéter, on ne fait pas le bonheur des gens à leur place et on ne doit pas, sous prétexte de protéger la démocratie, la museler et en limiter l’expression. Imaginons si le mandat des USA n’était pas limité à deux en 2016 et si du temps de Roosevelt la disposition actuelle avait déjà été instituée.
Les Montagnards avaient imaginé une constitution démocratique en 1793. elle était totalement ouverte et garantissait des droits très forts dont le vote des femmes, des enfants et des étrangers. Voulant prévoir de la soumettre à referendum, ils avaient imaginé l’interdiction absolue d’envisager sa reforme. Des voix s’étaient élevés pour dire combien il était dangereux qu’une génération, au delà de décider pour elle même, devait décider de ce qui est bon ou mauvais pour les génération qui lui succèdent. Le professeur Carcassonne, donnant avis sur la reforme de la constitution française de 2008, avait dit combien il trouvait choquant l’idée de limiter l’expression du suffrage sous prétexte de bons sentiments. D’ailleurs il n’y a jamais de réformes sans volonté politique et il faut être naïf de croire que la volonté politique est libre de toute arrière pensée électorale. Cela dit, le problème de la transmission du pouvoir dans de nombreux pays se posent et parmi les solutions envisagées pour le régler, il y a cette question de limitation des mandats. Je pense que c’est un mauvais remède à une vraie difficulté. Si on veut que les élections soient la traduction fidèle de la volonté populaire, il existe des mécanismes d’équilibre qui le permettent et beaucoup de pays l’ont fait sans toujours passer par la case funeste de la réduction de l’expression de la volonté populaire.
A défaut d’utiliser le droit pour régler des problèmes politiques, peut-on le solliciter pour un meilleur encadrement des marchés publics et éviter de tomber dans le scénario du procès des 100 jours en RDC où un homme d’affaires, Sammih Jammal, se retrouve au milieu d’une affaire qui défraie la chronique?
J’ai bien peur que l’encadrement des marchés publics ne soit pas le mobile réel du procès dit des 100 jours en République Démocratique du Congo. Etant moi même l’un des avocat de l’homme d’affaire Samih JAMMAL, je peux vous garantir qu’on en est loin. D’ailleurs ce dernier ne peut en aucune manière être visé par l’infraction de détournement de deniers publics car il n’a jamais eu de prérogatives de puissance publique pour la gestion de Fonds publics. La RDC a inventé le raisonnement qui consiste à dire que tout paiement par la puissance publique d’une somme quelconque, chargerait de facto celui qui la reçoit, quelles que soient ses fonctions et responsabilité, d’une mission de service public. Quant à l’encadrement des marchés publics, ils le sont le plus souvent et le problème principal réside dans le non respect des procédures, la corruption et la médiocrité des cadres des administrations. Si les procédures existent et si elles sont respectées et si les juridictions sont saisies et quand elles le sont, elles fonctionnent normalement, je ne vois pas quels encadrement supplémentaire seraient à prévoir.
Quel rôle donc Sammie Jammal avait-il dans les travaux des 100 jours qui ont tourné en un procès des 100 jours du président Felix Tshisekedi ?
Samih JAMMAL est un homme âgé de 82 ans. Il vit au Congo RD depuis plus de 50 ans. Ses enfants y sont nés et lui y travaille de façon acharnée sans avoir été mêlé ni de près ni de loin à une quelconque malversation. Il était même consul honoraire du Congo au Liban. Il a obtenu un marché en 2018 pour la construction de 1500 logements. Il a commencé à les réaliser avec ses partenaires Turcs. Après l’élection de Felix Tshisekedi et lors de la visite de ce dernier du chantier de construction des maisons, il a été impressionné par la qualité de son travail et a demandé la construction de 3000 logements supplémentaires pour les militaires et les policiers. La commande faite, un acompte de 3% (soit 2,6 millions de dollars sur un marché total de 57 millions) lui a été versé comme le prévoit le contrat d’engagement. Le chantier a démarré et Samih JAMMAL a procédé aux commandes nécessaires sans se soucier du paiement dont l’échéancier de décaissement a été établi. Le 24 février 2020 à la surprise générale il est arrêté et placé en détention pour détournement de fonds publics. Le parquet général de Matété puis la juridiction de premier degré a considéré que le paiement de prestations spécifiques par des fonds issus du trésor public et transférée à des personnes privées, restent des fonds publics, alors qu’ils sont devenus des fonds privés. Cette interprétation viole les dispositions de l’article 145 du Code pénal congolais. L’infraction de détournement des deniers publics ne peut naturellement être reprochée qu’aux personnes en charge de la dépense et la gestion des fonds publics. On marche sur la tête. Vous comprendrez aisément que Samih JAMMAL a été mêlé à une affaire dont on craint qu’il en soit devenu l’otage. Je ne parle même pas du cas de Vital Kamerhe qui n’est ni ordonnateur des dépenses ni signataire des contrats et dont les relations avec Samih JAMMAL n’ont jamais dépassé le cadre strict et nouveau du suivi des travaux. Il faut rappeler que le contrat en question a précédé la prise de fonction de Monsieur Kamerhe.
De tels procès font légion sur le continent. Finalement, quel lien peut-on établir entre la démocratie et la transparence des marchés publics ?
La démocratie a plusieurs vertus et beaucoup de faiblesses. Elle permet a la politique de respirer, elle règle le problème de la transmission des pouvoirs, permet la liberté d’expression et introduit l’équilibre des pouvoirs. C’est incontestablement le meilleur système politique mais aussi le plus fragile. Il politise la société à outrance, il handicape le fonctionnement des institutions en fonction des modes de suffrages choisis et rend l’action publique parfois lente. Regardez la Tunisie depuis q’elle s’est démocratisée. Elle a réussi à mettre en place une usine à Gaz pour assouvir la volonté et un peu l’ego de ses juristes. A vouloir démontrer qu’on est performant on est devenus inefficaces. Dans les grandes démocraties occidentales, on peut agir la première année puis les baromètres des sondages et les élections à mi mandat ralentissent le rythme des reformes.
Enfin, la démocratie introduit une espèce de transparence qui consiste à mettre à nu le personnel politique qui doit déclarer leur patrimoine et fait planer sur eux une suspicion permanente. Je n’aime pas la transparence. Si encore sur le continent africain on pouvait inventer un modèle qui s’inspire de nos réalités et s’adapte à notre environnement au lieu de copier sur les autres, on y gagnerait en efficacité. Je ne fais pas le lien entre performance économique et démocratie ni entre celle-ci et transparence des marchés publics. D’ailleurs la Chine nous prouvé le contraire et la Malaisie de Mahathir l’a confirmé. Une société démocratique n’est pas immunisée contre la corruption et une dictature peut développer des politiques économiques performantes et débarrassées de la corruption. Le Président Kagame n’est pas un grand démocrate mais son exemple est enviable.
Il fut un temps pas tellement loin où les PPP étaient le nouvel eldorado des Etats qui pouvaient ainsi réaliser des infrastructures sans s’endetter, entendait-on aux abords des banques d’affaires. Devrait-on désenchanter au vu des nombreux arbitrages opposant les Etats aux entités privés dans le cadre de tels partenariats ?
Le choix du partenariat entre le secteur public et le secteur privé est nécessaire à bien des égards notamment quand les Etats ont soit des difficultés de trésorerie, soit un niveau d’endettement élevé. Le recours à ce mode de collaboration pour les grands projets est souvent bénéfique pour tout le monde. Il permet aux Etats, sans recourir à l’emprunt, de réaliser de grands travaux. Il permet aux banques de participer à l’effort de développement et, enfin il donne des opportunités aux développeurs de projets pour trouver des débouchés. Les PPP sont souvent créateurs de valeurs et d’opportunités d’emploi. Je ne suis pas un grand partisan des Etats obèses. Je n’aime pas trop les impôts ni trop de réglementation. Je ne pense pas que l’efficacité réside dans une multiplication du nombre de fonctionnaires. Si des problèmes apparaissent c’est qu’au départ les choses n’ont pas été bien faites. Si le cadre juridique est bien établi et l’exécution suit bien son court, je ne vois pas d’où il peut y avoir des conflits voire des contentieux. Cela dit chaque pays a ses traditions et chaque groupe privé a ses règles de fonctionnement. La règle pourtant est simple : Un privé cherche des projets avec un TRI (taux de retour sur investissement) raisonnable et un Etat veut réaliser un projet pour ne pas alourdir ses finances et son endettement. Il n’y a à priori aucune raison que les choses ne se passent pas bien à moins que la corruption ne pointe son bout du nez.
Le Sénégal et la Mauritanie ont en partage des gisements pétro-gaziers prometteurs mais retardés par la pandémie Covid-19. Comment voyez-vous l’évolution des relations entre les deux pays dans les années à venir ?
Le Sénégal et la Mauritanie sont condamnés à s’entendre. Comme les Etats ne déménagent pas, vous avez intérêt à vous entendre avec votre voisin. C’est comme dans la copropriété d’un immeuble. Si vous ne réglez pas vos problèmes avec intelligence, les conflits seront au RDV. Un immeuble peut être vendu. Vendre un Etat et partir est légèrement plus compliqué. Je ne connais pas la situation des contrats signés entre les deux pays dans le cadre de Grand Tortue Ahmeyim et je n’ai jamais été associé à cela. Il m’est difficile de me prononcer avec précision si je veux être sérieux. A ma connaissance, les choses se passent bien. Déjà, l’ancien président Mohamed Ould AbdelAziz et le Président Macky Sall avaient convenus d’une entente responsable pour un partage conforme au droit international. La relation confiante ente le Président Sall et le Président Mohamed Ould Ghazouani ne peut que renforcer cette entente. Quant au retard annoncé par l’exploitant, il est lié à des facteurs imprévisibles et irrésistibles qu’est la pandémie du Covid 19.