Alors que la Turquie, membre de l’OTAN, a mis en échec les « alliés » en Syrie et en Libye, la voilà qui annonce d’importants gisements gaziers, soit 320 milliards de mètres cube de gaz, découverts en mer noire. Le président turc, Recep Erdogan, promet une entrée en production en 2023 et, dans la foulée, réaffirme ses ambitions sur la Méditerranée Orientale où elle étend son armada de guerre face à la Grèce, à Chypre et à l’Union Européenne, obligeant la France à dépêcher des patrouilleurs maritimes et des rafales.
Le risque d’escalade entre la Turquie et la France n’est pas que verbal. Après avoir traité Emmanuel Macron de « petit caïd » via ses ministres, Erdogan a occupé Kastellorizo, une ile grecque située à moins de 2 Km de son territoire et à 580 km de la Grèce, illustrant par là les raisons du refus ancien de son pays de signer la convention internationale sur le droit de la mer. « »Nous allons accélérer nos opérations en Méditerranée avec le déploiement en fin d’année du (navire de forage) Kanuni, qui est actuellement en maintenance », a déclaré Recep Erdogan, ignorant les coups de menton de Bruxelles et de Paris.
Pour ne rien arranger aux choses, un navire sismique turc, l’Oruç Reis, escorté par des bâtiments militaires est arrivé dernièrement sur une zone revendiquée par la Grèce et a essuyé un accrochage avec la marine grecque vite mise en déroute, poussant Erdogan à prononcer un discours guerrier devant les officiels et à menacer Athènes de représailles.
Le chef de la diplomatie de l’UE, Josep Borrell, continue d’exhorter Ankara à cesser « immédiatement » ses recherches de gisements en gaz, jugeant que les activités récentes de la Turquie augmentent « regrettablement les tensions et l’insécurité ». Dans l’ensemble, l’Union Européenne semble avoir désapprouvé le déploiement militaire français en soutien à la Grèce. Les 27 ont repoussé l’idée de sanctions, privilégiant le dialogue.
« Nous avons besoin de stabilité en Méditerranée orientale, pas de tensions. Nous sommes conscients de la situation critique dans ce pays. Je suis convaincue que si l’Allemagne et la France unissent leurs forces, nous espérons pouvoir trouver une bonne solution, qui rendra la coopération possible », a déclaré pour sa part Angela Merkel lors d’une conférence de presse conjointe avec le président français Emmanuel Macron, à la suite de leur rencontre, jeudi 20 août, au manoir présidentiel français de Fort de Bregancon sur la côte méditerranéenne.
En attendant les succès de la médiation allemande (Angela Merkel multiplie les contacts entre Athènes et Ankara), un véritable poker menteur est engagé sur la Méditerranée orientale sous fond de gisements immenses de gaz. La Turquie a signé en novembre 2019 un accord controversé de délimitation maritime avec le gouvernement officiel libyen, basé à Tripoli, reconnu par l’ONU et en guerre contre le maréchal Khalifa Haftar soutenu par l’Egypte, la France et les Etats-Unis. L’accord entre la Turquie et la Libye englobe des zones maritimes à proximité de la Crète et des îles grecques de Karpathos, de Rhodes et de Kastellorizo, entrainant l’expulsion de l’ambassadeur libyen à Athènes.
En réponse, la Grèce a conclu un traité similaire avec l’Egypte, pays qui a rompu ses relations diplomatiques avec la Turquie depuis le renversement du gouvernement islamiste de Mohamed Morsi en juillet 2013 par l’actuel président Abdel Fattah al-Sissi, allié des Etats-Unis, non membre de l’OTAN. Suite à l’annonce de cet accord entre ses deux ennemis, la Turquie qui avait suspendu ses travaux d’exploration en guise de bonne volonté, les a repris combinant sondes sismiques et démonstration de force. De son côté, la Grèce a mis ses forces armées en état d’alerte maximale en mer Egée et en Méditerranée Orientale.
La Grèce compte rappelons-le, environ 6000 îles et petits îlots dans les mers Égée et Ionienne, dont plus de 200 sont habités. D’un autre côté, la Turquie possède le plus long littoral de la Méditerranée et entend l’élargir en partenariat avec le gouvernement libyen dont il est le principal garant militaire. En outre, Ankara qui est le sponsor officiel de la la République turque de Chypre du Nord (RTCN), s’est vue octroyer une licence d’exploration en faveur de la Turkish Petroleum (TPAO) appelant de facto à un partage de toute ressource découverte près de l’Ile de Chypre.
A défaut d’accord diplomatique, les différents protagonistes de la région pourront être mis d’accord par les lois du marché du gaz naturel qui font que le cours de ce produit est au plus bas depuis le début de l’épidémie du covid-19, en chute de 18 % du fait de l’abondance de l’offre et de la baisse de la consommation chinoise, japonaise et sud-coréenne, les trois premiers importateurs du GNL.
En dépit de ce contexte de surabondance, Israël devrait commencer l’exploitation de ses immenses gisements trouvés à la lisière de Chypre pour fournir l’Egypte et aussi, via un gazoduc, Eastmed, sur 2 000 km, en partenariat avec Chypre et la Grèce, alimenter l’Italie et l’Union Européenne. Celle-ci s’en trouve soulagée, engagée qu’elle était dans une stratégie de diversification qui lui permet désormais de se soustraire au poids pesant de la Russie, son important fournisseur, qui pourrait tenter, au hasard de la géopolitique, de tourner le robinet dans le mauvais sens comme elle a eu à le faire avec l’Ukraine.