Par Olumfembi O. et Adama Wade.
Le Mali est devenu une poche de non droit aux yeux de la communauté financière internationale depuis qu’un groupe de putchistes, animé de bonnes intentions, le patriotisme au bout du fusil, a déposé un président Ibrahima Boubacar Keita en déconnexion avec son peuple. Vox populi, vox Dei. C’était le 18 août dernier. Déjà une semaine de liesses populaires. Passée l’euphorie populaire, l’heure est aux interrogations sonnantes et trébuchantes.
En arrêtant le président là où un encadrement aurait dû suffire afin de lui permettre, même sur instructions, d’assurer la continuité de l’Etat aux yeux des banques, des assureurs crédit, des bailleurs, le Comité national pour le salut du peuple a ôté au Mali sa signature. Ce qui explique les mesures de sauvegarde de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), qui avait fait de même en octobre 2014 quand Blaise Compaoré fut chassé du pouvoir au Burkina Faso, (à ce jour encore, des milliards disparus des banques n’ont pas été recouvrées) ou récemment lors du vide créé en Guinée Bissau pendant la crise post-électorale.
Au Mali, l’arrestation du président IBK, du premier ministre et de celui du ministre des Finances a provoqué une rupture de la continuité et de la signature de l’Etat, entrainant le gel des comptes de celui-ci. En d’autres termes, les compensations et divers engagements de l’Etat malien reviendront impayés et généreront des frais qu’il faudra rembourser. Tous les chèques de l’Etat aux prestataires de divers marchés sont désormais en incidence de paiement. Cas des subventions de l’Etat au secteur du coton et à d’autres secteurs vitaux. Ces engagements concernent aussi le coupon des obligations de l’Etat malien aux souscripteurs de l’UEMOA et à l’international.
Le premier pays de la zone à avoir formalisé l’annulation des flux financiers est la Côte d’Ivoire par courrier du 19 août 2020 portant le sceau de Adama Coulibaly, ministre de l’Economie et des Finances. Première puissance économique et financière de l’UEMOA, Abidjan pèse pour 40% du PIB de la zone et 50% de la masse monétaire en circulation.
L’on notera que le secteur bancaire ivoirien comporte trois banques ayant un ADN malien avec une part de marché de 8 à 10% soit plus de 1 000 milliards de Franc CFA. Pas besoin d’être clerc pour mesurer le poids des maliens dans l’immobilier locatif en Côte d’Ivoire. La mesure de restriction aura des effets temporaires sur plusieurs banques de la région détenant des coupons de l’Etat malien dont elles espèrent le remboursement à échéance.
Bien que l’on ne soit pas dans le cas de la Côte d’Ivoire de la crise post-électorale de 2010 quand des banques furent nationalisées, l’on craint que la crise sécuritaire au Mali doublée maintenant d’un coup d’Etat ne porte les prémices d’une crise financière aigüe. Pays de cash, donc court-termiste, le grand Mali doit rapidement refermer cette phase compliquée et éviter surtout une transition longue. Chaque jour qui passe est une interrogation de plus pour les bailleurs de fonds bilatéraux et privés, une angoisse pour les porteurs de coupons de la dette du Mali et un saut dans le vide. Bien que populaire, car opposé à l’inertie du président IBK, le coup d’Etat coûte cher et reste non rentable dans un contexte d’encadrement strict des régulations bancaires au niveau national, régional et international.
Les conséquences des événements sont coûteuses pour les opérateurs économiques confrontés aux surestaries de leurs conteneurs et cargaisons stockés aux ports de Dakar, Abidjan ou Lomé. Y-a-t-un mécanisme d’annulation de ces surestaries par la CEDEAO, l’UEMOA ou au niveau des Etats ? Les assureurs accepteront-ils de couvrir les pertes de marchandises périssables pour cause de coup d’Etat ? Les banques accepteront-elles de différer leurs lettres de crédit ou de rééchelonner leurs prêts à cause de ce contexte déjà accentué par le Covid-19 ? En pleine campagne cotonnière, la filière coton promise à la vente à 200 FCFA le kilo (seul produit sérieux exportable du Mali en dehors, bien entendu, de l’or) et financée massivement par les banques locales et étrangères est menacée à cause de la fermeture des frontières.
Les pricing des lettres de crédit vont bondir comme le déclarait hier le banquier Ali Benahmed, invité de Financial Afrik. (à visualiser). De même, le département américain, assez chatouilleux sur la circulation du dollar en zone Sahel (en liaison avec les loi anti-terroristes et contre le blanchiment) suit de près la situation poussant, par ses formulaires de conformité envoyés régulièrement aux grandes banques internationales, à relever les taux de confirmation des engagements sur lettres de crédit. Pour sûr, la révolution française n’aurait pas eu lieu en 2020 compte tenu du durcissement des conditions financières internationales. Espérons que les militaires rentrent vite à la caserne avec le sentiment du devoir accompli et l’assurance que leurs doléances seront prises par un gouvernement civil élu et représentatif des aspirations des populations de ce vieil empire coupé en deux et gangrené par le terrorisme et les affrontements inter-ethniques.