Par Par Losseni Togossy DIARRASSOUBA, Expert Développement Durable Chercheur Associé à IQAI.
En plus de donner des pistes de réflexion sur le régime de réparation des dommages affectant les eaux ou les espèces et habitats naturels protégés, cette contribution est une invite à relancer le débat sur la nécessité de renforcer les mesures de prévention des risques environnementaux. Car, ‘’ l’idée même de la réparation est l’aveu détourné des échecs des mesures de prévention’’. Aux lendemains de la catastrophe écologique survenue sur la côte sud-est de l’île Maurice subséquemment à l’échec du vraquier Wakashio avec 4 000 tonnes de pétrole à bord le 25 juillet dernier, les écologistes, les autorités locales et même les particuliers redoutent tous des conséquences aussi bien au plan économique, au plan social et au plan environnemental.
Mais faut-il le rappeler, ce cataclysme maritime n’est malheureusement pas le premier du genre que nous enregistrons. La première de cette triste et longue liste remonte aux années 1967. Le Torrey Canyon, un immense pétrolier de près de 300m de long en provenance du Koweït et à destination l’Angleterre s’était échoué aux larges des îles Scilly (Royaume-Uni), abandonnant à la mer environ 120.000 tonnes de pétrole brut. Une bonne portion de cette cargaison aurait dérivé jusqu’aux côtes françaises de Bretagne et occasionner l’extinction de plus de 25.000 oiseaux. A cela faut ajouter le préjudice direct et personnel subis par les collectivités voisines. Le temps nous aura donné de déplorer par la suite d’autres marrées noire notamment :
– le déversement de 227.000 tonnes de pétrole brut du paquebot Amoco Cadiz, en mars 1978 au large des côtes bretonnes françaises ;
-le déversement d’un million de tonnes de pétrole dans le golfe du Mexique suite à l’explosion des puits de pétrole Ixtoc Uno en Juin 1979 ;
– Août 1983 : Le paquebot espagnol Castillo de Bellver échoue au large du Cap en Afrique du Sud avant de se couper en deux et de couler avec à son bord 252.000 tonnes de pétrole (une situation étrangement similaire à celle de Maurice) etc.
On pourrait passer une demi-heure à lire une suite de catastrophes naturelles de cette nature aussi dramatiques les unes que les autres. En ce moment, l’une des questions qui nourrit la curiosité est celle relative aux mesures de réparations envisageables dans de pareilles circonstances. Mais il est tout aussi légitime d’aborder dans ces circonstances la question du renforcement des mesures de prévention !
La réparation des dommages affectant les eaux ou les espèces et habitats naturels protégés
Comme on s’en doute bien, il a fallu se pencher à un moment donné sur les conséquences des marées noires. Les pressions des ONG qui militent en faveur de la protection de l’environnement avaient finis par contraindre les autorités compétentes à envisager des pistes de réponses adéquates.
L’idée de réparation conduit normalement au rétablissement intégral de la victime dans l’état où elle se serait trouvée en l’absence du dommage. Il en résulte donc que le responsable est ténu en tout état de cause de réparer le dommage dans son intégralité. Cette réparation peut toutefois être faite en nature ou en numéraire selon les situations. La réparation en nature est selon beaucoup d’auteurs, la perspective la plus satisfaisante qui puisse être. C’est sans doute la mesure la plus privilégiée d’autant plus qu’elle favorise la réparation la plus parfaite possible du bien endommagé. À contrario, la réparation en numéraire ne jouit pas de la même réputation. Rien ne garantit en effet, que les fonds alloués au titre de dommages et intérêts aux victimes soient affectés à la restauration de l’environnement. Les mesures de réparations envisageables pour les dommages affectant les eaux ou les espèces et habitats naturels protégés s’opèrent par la remise en état initiale de l’environnement au moyen des procédés de la réparation primaire, la réparation complémentaire et la réparation compensatoire.
Mais indépendamment du procédé de réparation qu’un Etat serait tenté d’envisager, il nous semble à juste titre important de remarquer que l’idée même de la réparation est l’aveu détourné des échecs des mesures de prévention dans nombres des cas. La quête perpétuelle de la prospérité plus particulièrement dans les pays les moins stables économiquement (les pays en Développement) ne milite pas vraiment en faveur du respect du droit de l’environnement. Ces derniers sont les plus susceptibles de vilipender le droit de l’environnement d’autant plus que les principales activités qui génèrent des ressources financières sont également celles qui polluent le plus. Il faut nécessairement dans ces conditions trouver des mécanismes de renforcement des mesures de prévention.
La mise en œuvre de l’assurance responsabilité civile des atteintes à l’environnement connue sous le sigle de RCAE
C’est dans les situations comme celle de l’Ile Maurice que la RCAE est mise en œuvre. En effet, quand survient des dommages corporels, matériels ou immatériels subis par des tiers subséquent à une atteinte à l’environnement dans l’exercice des activités industrielles, l’on fait appel à la responsabilité civile atteinte à l’environnement (RCAE).
Le dommage environnemental est le fait déclencheur de l’assurance responsabilité civile environnementale. L’assurance peut garantir, selon certains plafonds et conditions, le remboursement des frais engagés pour la remise en état des sites pollués chaque fois que besoin sera. Mais, encore faut-il que certaines conditions soient remplies au préalable. L’atteinte à l’environnement doit résulter de l’activité de l’exploitant assuré de façon accidentelle, donc indépendamment de toute défaillance de la part de ce dernier. C’est pourquoi, certains facteurs de dommages sont exclus notamment ; la faute intentionnelle, l’inobservation des textes légaux, le mauvais état des installations, le risque développement, l’amiante, les champs électriques et électromagnétiques…
Il existe donc une variété de garanties disponibles. On peut citer entre autres les primes couvrant le coût de l’évaluation des dommages, les mesures de prévention et de réparation, les frais d’étude pour déterminer les actions de réparation. C’est aussi le cas des frais administratifs, judiciaires et les frais d’exécution. Les coûts de collecte des données, les frais généraux et les coûts de surveillance et de suivi, les frais d’urgence qui pourraient être engagés pour neutraliser les dégâts. Les pertes financières résultant de l’arrêt des activités d’une entreprise (la marge brute annuelle et les frais supplémentaires d’exploitation) , l’atteinte à la réputation , la pollution graduelle, les dégâts causés à la biodiversité y compris la couverture des ressources naturelles alternatives etc. font également partie de cette variété. Les garanties ci-dessus énumérées ne peuvent cependant couvrir que des dommages environnementaux spécifiques. Ce sont notamment : les contaminations des sols qui engendrent un risque d’atteinte grave à la santé humaine ; les dommages aux eaux qui affectent de manière grave et négative leurs états écologiques, chimiques
ou quantitatifs ou leur potentiel écologique ; les dommages causés aux espèces et habitats naturels protégés.
Comme on peut le constater, ce système accorde plus d’importance à l’appréciation subjective fondée autrefois sur l’identification de la faute préalable pour déterminer la responsabilité. Mais La question de la reconnaissance de la responsabilité devrait aller bien au-delà de cette mention. L’existence du lien de causalité entre l’activité à risque et le dommage mérite bien d’être mise en avant. D’ailleurs, le régime de la responsabilité civile n’est pas vraiment approprié dans la protection de l’environnement comme elle l’est dans les rapports des personnes et leurs patrimoines. C’est d’ailleurs pourquoi, certains théoriciens ont soutenu la théorie de la responsabilité objective.
La responsabilité objective dans la gestion du risque environnemental
La responsabilité objective repose sur deux théories du risque, notamment la théorie du risque créé et la théorie du risque profit. Selon la première, celui qui créé une activité génératrice de risque est objectivement responsable des dommages éventuelles qui pourraient en résulter. Par conséquent, la personne qui introduit une activité à risque dans un environnement même par ignorance, le fait à ses risques et périls. Elle devra en assumer seule la responsabilité. Quant à la théorie du risque-profit, c’est celui qui tire un quelconque profit d’une activité à risque qui devra assumer la responsabilité des dommages éventuels. Ainsi donc, le profiteur de l’activité à risque sera objectivement responsable des dommages qui en résultent. La théorie du risque profit est très voisine à l’approche du « deep pockets » qui consiste à privilégier lors des poursuites, la personne dont les moyens financiers sont les plus importants plutôt que la personne qui a introduit la pollution dans l’environnement ; ou encore l’entreprise qui tire le plus d’intérêt d’une activité à risque. C’est l’approche qui a été adoptée en France dans l’affaire du naufrage du pétrolier l’Erika au large de la Bretagne, dans lequel le procès s’est concentré sur l’imputabilité du naufrage à Total en tant que producteur des hydrocarbures plutôt qu’à l’armateur, à l’affréteur ou au capitaine. Quoi qu’on dise, le constat est que de plus en plus de systèmes accordent moins d’importance voire aucune à l’appréciation subjective, fondée autrefois sur l’identification de la faute préalable pour déterminer la responsabilité. La question de la reconnaissance de la responsabilité porte désormais sur l’existence du lien de causalité entre l’activité à risque et le dommage, d’autant plus que, le dommage n’est engendré à l’origine que par une activité particulière de la personne responsable.
Vers un renforcement des mesures de prévention des risques environnementaux
Les sinistres environnementaux engendrent des conséquences très lourdes pour l’environnement et pour nos économies. Sans des mesures d’atténuation des charges qui peuvent résulter de l’application du principe du pollueur payeur, les entrepreneurs et les pouvoirs publics ne seront pas capables de mobiliser les ressources nécessaires au financement de l’environnement.
En ce XXIème siècle, les effets des changements climatiques sont bien visibles. La prise de conscience de nos modes de production et de consommation aux caractères attentatoire à l’environnement devrait susciter le désir du renforcement des mesures de prévention des atteintes éventuelles à l’environnement. Les lois environnementales devraient évoluer quant à elles et devenir plus sévères pour favoriser une meilleure mitigation des risques environnementaux.
En effet, aussi difficile que cela puisse paraitre, le développement de produits d’assurance environnementale demeure l’une des meilleurs options qui puissent être.