Le président de la BAD, Akinwumi Adesina, à été réélu pour un second mandat de cinq ans, jeudi 27 août, en marge des assemblées générales annuelles de l’institution. Les gouverneurs des 81 États membres se sont prononcés en mode virtuel et par bulletin secret. Seul candidat à sa succession, le Nigérian a été réélu à 100% dans un esprit de compromis entre les différents actionnaires. A l’inverse de ses trois derniers prédécesseurs, à savoir le sénégalais Babacar Ndiaye (1985-1995), le marocain Omar Kabbaj (1995-2005) et le rwandais Donald Kaberuka (2005-2015), le président Adesina n’aura pas eu droit à une reconduction par acclamation.
Il a fallu faire du lobbying jusqu’au bout et dans cet exercice éprouvant où l’on aura noté une distanciation sociale prononcée entre membres régionaux et non régionaux, le rapport du panel des experts présidé par l’irlandaise Mary Robinson a été déterminant. Blanchi par les experts, aidé par son bilan et appuyé par son pays, le Nigeria, qui a doublé ses parts de 8 à 16,8% et qui était assuré au départ de la journée d’au moins 30% de voix africaines, revigoré par ses alliés dont la Côte d’Ivoire et le Sénégal (le ministre sénégalais de l’Economie, Amadou Hott, aura été l’un des hommes décisifs de cette réélection), le président de la Banque Africaine de Développement a été réélu. De l’avis des observateurs, c’est le meilleur scénario pour la BAD, une institution de premier plan en Afrique qui ne peut pas se payer une incertitude intérimaire et qui a maintenant l’occasion d’ouvrir une nouvelle page.
Ce scrutin marque un nouveau départ pour l’institution panafricaine à l’image fragilisée depuis janvier 2020 par la crise dite des lanceurs d’alerte. A la sortie de cette épreuve, le président Adesina devrait engager des chantiers urgents en faveur de la bonne gouvernance, d’une nouvelle philosophie de gestion des ressources humaines mais aussi de la recapitalisation d’une banque confrontée à la baisse des cotes de crédit de 9 de ses États membres régionaux et au placement de 7 autres membres en perspective négative. A l’extérieur, un risque de décote sur l’un de ses grands membres non régionaux est à craindre, après le Canada.
Discrète durant les assemblées, les USA, deuxième actionnaire naturel (ce qu’ils ne sont plus depuis quelques semaines, en attendant la libération de leurs parts dans le cadre de la septième augmentation de capital) ont rappelé l’exigence des réformes dans une courte note postée hier par Steve Mnuchin sur le site du département américain du Trésor. La banque africaine doit plus que jamais revitaliser ses organes de contrôle interne. « Les fonctions de supervision indépendantes de la BAD – y compris l’intégrité, l’évaluation et l’audit – doivent disposer des ressources et de la liberté nécessaires pour fonctionner efficacement. Le cadre d’éthique et de gouvernance de la BAD doit également être mis à jour pour le mettre aux normes de ses pairs », lit-on dans le court message du secrétaire d’Etat américain au Trésor.
Beaucoup d’observateurs ont pointé du doigt les défaillances de la présidence de l’institution lors de cette crise majeure des lanceurs d’alerte. Peu auront cependant relevé les manquements du conseil d’administration en charge de la gestion de la banque au jour le jour. Finalement, les salves des lanceurs d’alerte n’auront pas été vaines, mettant sur la table l’exigence d’une nouvelle famille de réformes afin de consolider les acquis et de se projeter dans l’avenir.
Cet avenir commence dès le 28 août avec l’obligation d’un modèle de viabilité financière mis à jour, afin que la BAD maintienne un taux d’utillisation des fonds propres (le RCUR, attendu passer de 86% en décembre 2019 à à 104% en décembre 2020) dans des niveaux soutenables. La restructuration du portefeuille de la banque, alourdi par le secteur privé et la dégradation des risques souverains africains, sera l’une des questions fondamentales dans les 12 à 18 mois à venir. L’on s’attend donc au plafonnement des opérations de la banque et à la réduction de ces prêts, le temps de ramener le RCUR à des niveaux acceptables. En définitive, l’équation de la BAD consiste à trouver un équilibre dynamique et durable entre la nécessité de soutenir les Etats membres régionaux et la non moins nécessité d’assurer son équilibre financier.
Dans cette exigence et en attendant les versements prévus dans le cadre de la dernière augmentation de capital, la BAD doit, à côté des opérations d’optimisation du bilan, faire des arbitrages douloureux en évitant de s’exposer davantage sur les pays à risque élevé comme l’Angola, le Congo, la Guinée Equatoriale. C’est dire si le président Akinwumi Adesina, qui commence son deuxième mandat à partir du 1er septembre 2020, aura droit à une période de grâce.