Par Rodrigue Fénélon Massala Kengue, grand reporter.
Huawei avance doucement et sûrement ses pions en RDC. Aujourd’hui, en plein bras de fer américano-chinois, les occidentaux s’inquiètent de l’avénement de ce que certains câbles diplomatiques appellent, non sans force calembours, d’une République démocratique numérique de Huawei. Le groupe Huawei reprendra-t-il l’ensemble de l’infrastructure financière numérique de la République démocratique du Congo ? Les nombreuses questions que se posent les professionnels des infrastructures stratégiques du pays sont-elles fondées ? Quelle est la part de l’idéologie, celle des faits ?
Notre interlocuteur, diplomate occidental, se recroqueville dans la réserve diplomatique non sans indexer la 5G, domaine dans lequel la Chine a pris une avance importante par rapport à l’Occident, poussant celui-ci, via les rodomontades du président américain, Donald Trump, à ériger des barrières non tarifaires et à interdire ses entreprises de collaborer avec Huawei.
Pour sûr, l’Afrique et la RDC serviront de champ de bataille entre chinois et américains dans ce qui n’est pas sans rappeler la découverte et le monopole temporaire du feu à l’aube de l’humanité. Jusque-là, les accusations américaines sur d’éventuels espionnages chinois via des proxy numériques peinent, à l’instar des fameuses armes de destruction massives invoquées pour envahir l’Irak, à être étayées par des preuves solides.
Ciblée dans cette guerre commerciale par les américains, Huawei continue de déployer sa stratégie en Afrique, surveillée de près. La montée en force de l’entreprise chinoise en RDC suscite toutefois des interrogations en particulier sur la souveraineté numérique du pays.
Les chancelleries occidentales s’offusquent d’un certain entrisme des officiels de Huawei au sein de certains ministères congolais et, notamment, du ministère des postes et télécommunications ou de l’économie numérique (PTNTIC) et plus récemment encore de celui des Finances. L’accord de 150 millions de dollars entre Exim Bank et le ministère des Finances (portant sur la numérisation de la TVA $) est évoqué comme argument démontrant l’avancée chinoise. Des sources proches de Huawei expliquent que le marché y afférent avait été remporté par appel d’offres. Cet accord qui remonte en 2014 finance un projet où la technologie, le service est l’infrastructure utilisée sont chinois et précisément de Huawei. IL faut dire que, parallèlement aux avancées de Huawei, une entreprise privée, l’Etat chinois a offert une assistance à la RDC pour la numérisation des systèmes de collecte des recettes financières du pays.
Des données cruciales en dehors de la sphère nationale
C’est connu, la collecte de taxes et de redevances est un moyen fondamental pour les pays de générer des recettes publiques leur permettant de financer les investissements dans le capital humain, les infrastructures et la fourniture de services aux citoyens et aux entreprises. Avec les tensions découlant du capitalisme de surveillance partout dans le monde et le rythme auquel les Chinois gagnent du terrain dans la sphère numérique congolaise, l’externalisation d’une infrastructure clé et sensible pour ce pays , dans le cadre de l’urgence de la numérisation des systèmes de collecte des recettes de la RDC, mettra des données nationales cruciales en dehors de la sphère nationale et réduira la « souveraineté du Congo » ainsi que la sécurité nationale.
L’utilisation croissante des indicateurs comportementaux comme outil de surveillance de la conformité de nombreuses administrations fiscales font désormais craindre leur usage dans d’autres domaines. Selon l’OCDE, plus de 10 administrations emploient des chercheurs spécialisés dans le domaine du comportement et plus de 35 administrations disposent de scientifiques spécialisés dans le traitement des données. Bref, vu de l’Occident, Huawei est un danger. Mais qu’en pensent vraiment les africains ? La réponse est forcément plus nuancée à ce niveau, beaucoup de décideurs africains voyant à travers l’assistance du géant chinois les moyens d’accéder à la technologie 5 G à bon marché.
Encadré
Le cadeau d’Addis Abeba
Au début de l’année 2018, Le Monde rapportait que des données confidentielles sur le réseau informatique du siège de l’Union africaine construit par les Chinois en Ethiopie étaient transférées à Shanghai chaque nuit entre 2012 et 2017. Malgré les démentis de la Chine et de l’Union africaine, ce prétendu espionnage mérite d’être analysé car il soulignerait l’importance géopolitique de l’Afrique pour la Chine et mettrait en danger le récit privilégié de Pékin sur les relations bienveillantes avec les États africains. Bien que ce genre d’espionnage soit assez courant, il signale l’importance stratégique croissante de l’Afrique pour la Chine.
Dans un monde aux ressources limitées, les États espionnent les États qui comptent pour eux. La Chine semble avoir calculé que les avantages en termes de puissance douce que procure l’accès aux données internes de l’Union Africaine pour prendre le dessus dans les négociations avec les dirigeants africains l’emportaient sur les avantages en termes de puissance dure que procure la construction d’un quartier général, selon le site du CFR. L’expérience de l’Union africaine ci-dessus cité, où les bureaux étaient soi-disant mis sur écoute et les conversations enregistrées, suffit à nous rappeler le danger que représentent les projets du Cheval de Troie déguisés en assistance par des homologues internationaux, la Chine pour ainsi dire, mais aussi, tous les amis traditionnels de l’Afrique.
“Il serait extrêmement risqué de céder plus d’espace et plus de contrôle aux Chinois, à travers la numérisation du secteur financier de la RDC, vu que le secteur privé des télécommunications est déjà tombé sous leur emprise », insiste notre interlocuteur qui sait que les entreprises chinoises ont remporté presque 90% des appels d’offres publics quand elles sont mises en concurrence avec leurs homologues de l’Europe ou des USA.
Le Congo doit tirer les leçons de cette nouvelle réalité afin d’éviter de sacrifier les intérêts du pays au profit d’un service apparent offert par une autre nation, qui se révélera être ce qu’il est en réalité : un autre effort pour obtenir plus de contrôle, plus de pouvoir. Le Congo a déjà goûté aux externalités négatives des projets de construction d’infrastructures gérés par les Chinois comme ce fut le cas à la fin de la décennie 2000-2010 dans l’échange minerais contre infrastructures.
Un commentaire
Vu la gourmandise des elites et politiciens Congoalis (et ce du haut en bas) pour l’argent facile, donc corruptions et retro-commissions, les Chinois n’auront pas de peine pour s’accaper a moindre prix de toute l’infrastructure digitale de la RDC.