Peu de gouvernements africains disposent de la marge budgétaire nécessaire pour répondre à la Covid-19 au vu de la hausse de leur dette avant la crise. Le soutien mondial soulage les États à court terme, ce qui pourrait améliorer leur solvabilité à long terme.
Les vulnérabilités budgétaires des souverains africains s’étaient déjà accumulées au cours des années précédant la pandémie. Ceci s’explique par des conditions économiques difficiles, des variations défavorables des taux de change et des prix des matières premières, en plus d’emprunts importants – notamment venant du plus grand prêteur bilatéral en Afrique, la Chine – et de l’augmentation des émissions obligataires.
La Covid-19 a plongé la plupart des économies africaines dans la récession et a probablement fait replonger des millions de personnes dans la pauvreté. En 2020, le PIB réel devrait se contracter en moyenne de 2,3 % dans les économies africaines, tandis que les recettes fiscales diminueront et que les dépenses augmenteront fortement.
« Cela exige une réponse politique forte », déclare Thibault Vasse, un analyste chez Scope et co-auteur du rapport. « Le renforcement des systèmes de santé publique, la fourniture de nourriture d’urgence le cas échéant, la mise en place de programmes d’aide pour les personnes vulnérables et le soutien aux secteurs économiques stratégiques et aux PME sont des priorités à court terme, en plus du besoin à long terme de soutenir le développement économique », déclare M. Vasse.
Toutefois, ces mesures ont un coût considérable et de nombreux gouvernements africains n’ont pas la marge de manœuvre budgétaire nécessaire pour mettre en œuvre de tels programmes sans menacer la viabilité de leur dette publique.
Le ratio moyen de la dette publique de l’Afrique est passé de 38,5 % du PIB en 2011 à 62,3 % en 2019, alors que les ratios de dette ont plus que doublé au cours de cette période dans un tiers des 53 économies régionales sur lesquelles Scope dispose de données. Le poids du service de la dette a augmenté en parallèle : les paiements d’intérêts ont doublé en moyenne, passant de 5 % à un peu moins de 10 % des recettes publiques sur la même période.
Les organisations multilatérales ont intensifié leur soutien d’urgence sous forme de prêts et de subventions à hauteur, à ce jour, d’environ 0,6 % du PIB de l’Afrique en 2019, tandis que le G20 a convenu d’une initiative de suspension du service de la dette (DSSI), qui permettrait un gain fiscal moyen de 0,6 % du PIB de 2019.
« Les initiatives internationales peuvent soutenir la solvabilité souveraine en Afrique, bien que l’allègement de la dette via la DSSI conduise à une suspension plutôt qu’à une annulation pure et simple de la dette », déclare Dennis Shen, directeur chez Scope Ratings. « Les programmes de soutien internationaux s’intéressent principalement à la liquidité à court terme plutôt qu’à la solvabilité de long terme », explique M. Shen.
« Une participation du secteur privé à la DSSI pourrait donner lieu temporairement à une note de crédit de reflétant un cas de défaut, ce qui pourrait restreindre l’accès au marché à court terme », explique M. Shen. « Dans ce cas, une telle notation de crédit serait probablement transitoire et l’implication des créanciers du secteur privé dans l’allégement de la dette pourrait être considérée comme positif à long terme, surtout si les problèmes de solvabilité sous-jacents sont résolus. »
Scope considère que les éléments de la DSSI tels que la transparence accrue vis-à-vis de la dette, le contrôle multilatéral et les plafonds d’emprunt sont positifs.
« Les gouvernements devront évaluer les avantages de toute participation dans le DSSI – en particulier de tout élément de participation du secteur privé au renflouement – par rapport aux coûts», déclare M. Shen. « Si une suspension des paiements du coupon et du principal de l’obligation 2020 entraîne une augmentation importante du service de la dette dans les années à venir, cela pourrait être considéré comme négatif d’un point de vue crédit – étant donné la possibilité d’un nouveau surendettement dans les années à venir. »
« Si la viabilité de la dette d’une économie est suffisamment renforcée par la suspension temporaire des paiements de la dette aux créditeurs publics et privés, cela pourrait favoriser un meilleur accès au marché et des taux d’emprunt plus bas à long terme, et par conséquent, une note souveraine potentiellement plus élevée à long terme, » déclare M. Vasse.
L’augmentation du poids de la dette publique a coïncidé avec le passage à un financement de marché pour beaucoup des gouvernements de la région, qui dépendent moins des financements des institutions multilatérales et des prêteurs bilatéraux. Il y a eu un glissement parallèle vers des créanciers non-membres du Club de Paris, dont principalement la Chine. La proportion de financement privé a augmenté et a atteint près de 40 % de la dette publique et garantie par l’État en 2018.
« L’augmentation des émissions d’obligations souveraines peut diversifier la base d’investisseurs d’un pays et soumet les gouvernements à la discipline des marchés financiers, mais elle s’accompagne également de coûts d’emprunt plus élevés que les prêts multilatéraux et bilatéraux et augmente l’exposition à la volatilité des marchés », explique M. Vasse.
« Le soutien financier multilatéral et bilatéral et les initiatives d’allégement de la dette, telles que la DSSI, soutiennent les capacités des gouvernements africains à faire face à la crise économique et de santé publique – ils atténuent les dommages économiques et financiers, réduisent le risque de liquidité immédiat et peuvent améliorer la solvabilité souveraine », déclare M. Vasse.