Tombé comme une mangue mûre, le régime du malien Ibrahim Boubacar Keita appartient désormais au passé. Le scénario de cette chute brutale n’est pas sans rappeler “l’effet pangolin” du nom de ce rapport paru fin mars sous la signature d’un centre émargeant au Quai d’Orsay et annonçant que la plupart des Etats africains seront en faillite du fait du covid-19.
Ce document froid signé du Centre français d’analyse, de prévision et de la stratégie (CAPS) avait suscité un concert d’indignations dans les quatre coins de l’ex pré-carré français. À Brazzaville, l’ambassadeur de la France s’était vu convoqué.
Intitulée «L’effet pangolin : la tempête qui vient en Afrique ?, la note de l’ex Centre d’analyse et de prévision (CAP) estimait de manière précoce que la crise engendrée par le Covid19 pourrait être en Afrique «la crise de trop, qui déstabilise durablement, voire qui mette à bas des régimes fragiles ou en bout de course». L’accent était particulièrement mis sur les Etats du Sahel, “régimes fragiles” et ceux d’Afrique Centrale, “régimes en bout de course”.
En Afrique de l’Ouest, les mesures de confinement saperont l’équilibre fragile de l’informel, économie de survie quotidienne essentielle au maintien du contrat social, écrivait le rapport. En Afrique centrale, poursuit le document honni, “le choc pourrait précipiter la crise finale de la rente pétrolière au Cameroun, au Gabon et au Congo-Brazzaville augmentant la colère populaire.
Dans les deux cas, cela pourrait constituer le facteur économique déclencheur des processus de transition politique. Aujourd’hui, au vu du Mali et des tensions suite à l’annonce des troisièmes mandats en Côte d’Ivoire et en Guinée, l’on ne peut ne pas avoir en tête ce rapport enterré trop vite.
Mais le texte du Quay d’Orsay avait fait objet de justesse dans l’analyse de la légitimité contestée des pouvoirs en place, il a en revanche – jusque-là en tout cas- tout faux sur le niveau de propagande de la maladie. La Terre de Lucie défie toutes les prévisions en se présentant comme l’endroit le plus à l’abri du COVID-19.
C’est d’ailleurs par la fièvre du copier coller et des confinements importés de la France que l’économie de la zone a été contaminée, brisant un élan de croissance économique ininterrompue depuis 25 ans.
Au final, la faillite des PME, l’étranglement de l’informel et l’effondrement des revenus nés des mesures de restrictions économiques et sociales (heureusement qu’on est revenu depuis au confinement du virus par les masques et les gestes barrières) pourrait être, comme l’écrivait le rapport, le dernier étage du procès populaire contre l’Etat, qui n’avait déjà pas su répondre aux crises économiques, politiques et sécuritaires”. N’est ce pas le cas du Mali.
Ce procès populaire en cours dans les réseaux sociaux est plus que jamais teinté à notre sens (et ce n’est pas le rapport qui le dit) par la question du troisième mandat et, derrière les enjeux du pouvoir, le brasier des antagonismes ethniques. Cas de la Côte d’Ivoire et de la Guinée.
Le CAPS dirigé par le diplomate Manuel Lafont Rapnouil appelait la France à «anticiper le discrédit des autorités politiques» et à «accompagner en urgence l’émergence d’autres formes d’autorités africaines crédibles pour s’adresser aux peuples afin d’affronter les responsabilités de la crise politique qui va naître du choc provoqué par le Covid-19 en Afrique». Loin de vouloir voler au secours de l’ordre politique actuel, les experts de la diplomatie française appellent plutôt “de trouver d’autres interlocuteurs africains pour affronter cette crise aux conséquences politiques”. Pépinière de jeunes intellectuels et diplomates français, le CAP par ses recommandations, semble trancher avec la vieille garde de la diplomatie française acquise au statu quo afro-africain et au changement à petits pas.
En tout cas comme a déclaré récemment Tidjane Thiam le destin des africains se trouvent entre leurs mains et nulle part en ailleurs.