Par Samir Bouzidi, Ethnomarketer & expert international en mobilisation des diasporas africaines. Entrepreneur engagé – fondateur de la startup solidaire “Impact Diaspora”.
Alors que la Banque Mondiale prévoit pour 2020, une baisse de près de 20% des transferts financiers de la diaspora en zone Maghreb/Moyen-Orient (et autour de 23,1 % pour l’Afrique subsaharienne), les derniers chiffres communiqués par les banques centrales du Maroc et de Tunisie sonnent comme des désaveux cinglants des prévisionnistes de Washington…
Le miracle tunisien, la résistance marocaine…
Les données de la « Banque Centrale de Tunisie » interpellent même avec une hausse de 8,8% des transferts à la date du 20 septembre dernier soit un encours d’ 1,24 milliard d’euros. Au « pays du jasmin », cette manne de la diaspora surpasse exceptionnellement de 250% les recettes touristiques du pays, en chute libre de 61% (au 31 aout) à cause de la pandémie. Quant au Maroc calfeutré pour cause de Covid depuis mi-mars, les transferts des MRE (marocains résidents à l’étranger) font mieux que se défendre au vu des derniers chiffres connus au 31 juillet et qui font état d’une baisse minime de 3,2%. La « Banque Al-Magrib » (Banque Centrale) allant jusqu’à prévoir « au pire » une baisse de 5% pour l’année en cours suivie d’une hausse de 3,2% en 2021. Enfin, chez le grand voisin algérien et selon des opérateurs privés, les tendances seraient effectivement baissières mais dans des proportions moins dramatiques que les prédictions de la Banque Mondiale.
Des chiffres maghrébins qui contrastent donc avec les réalités en Afrique subsaharienne où les sources de professionnels entérinent les tendances fortement baissières exprimées par la Banque Mondiale. Signe même de ces temps difficiles, au Sénégal mais également au Mali et en Guinée, les migrants les plus précaires et installés dans des pays à faible couverture sociale (Italie, Espagne, autres pays africains…) n’ont plus d’autres alternatives que de puiser dans leur épargne logement accumulée au pays d’origine pour faire face à leurs difficultés quotidiennes.
La marque des absents… ?
Le Maghreb aurait-il trouvé le vaccin ou du moins le bon traitement pour préserver cette manne de leur diaspora qui pèse respectivement 4,9% et 6% du PIB tunisien et marocain ? Il semblerait que l’explication soit moins heureuse… et tient déjà à l’objet même de ces transferts qui pour environ un quart des sommes correspondent au remboursement de crédits immobiliers donc à caractère obligatoire. Mais surtout on peut légitimement penser que pour ces deux grands pays champions africains du tourisme de diaspora (flux annuels 2019 : 3 millions de MRE au Maroc et 1,4 million de TRE pour la Tunisie), les centaines de milliers de leurs concitoyens qui n’ont pas eu la possibilité ou pas voulu prendre le risque de se rendre en vacances cet été « au pays » à cause du Covid, ont adressé à leurs familles des transferts compensateurs. Ainsi, ces sommes qui sont habituellement comptabilisées en recettes touristiques (change sur place pendant les vacances) ont été en partie transférées par la diaspora via les opérateurs financiers et donc pris en compte comme transferts. A défaut d’explications officielles, ce scénario est rendu très plausible au vu des derniers chiffres relatifs aux entrées touristiques des TRE. En effet et selon le ministère tunisien du tourisme, le nombre de TRE au 31 aout 2020 a chuté de 57% soit 600 000 entrées en moins par rapport à 2019…alors que dans le même temps les transferts ont augmenté de 100 millions d’euros…soit 166 euros par touriste manqué !
Alors résistance voire hausse réelle des transferts malgré la crise du Covid ou plutôt une réalité en trompe-l’œil avec dans ce cas de figure pas ou peu d’améliorations à attendre sur la balance des paiements, la question est posée…