(1 dollar USD = 561,81 FCFA). Dans cet entretien exclusif , le Président de la Fédération des organisations patronales de l’industrie hôtelière au Sénégal, Mamadou Racine Sy, évoque la crise profonde du Tourisme au Sénégal. Le secteur a déjà perdu plus de 300 milliards FCFA en termes de chiffres d’affaires.
Quel état des lieux pouvez-vous dresser du tourisme dans ce contexte de Covid-19 ?
Nous remercions le Chef de l’Etat du Sénégal qui a pris la décision d’octroyer un crédit hôtelier de 15 milliards de FCFA (27 millions de dollars) avec une mise en œuvre par le ministre des Finances et celui du Tourisme, une mesure salutaire qui a permis de sauver le secteur. Les entreprises en ont profité, on a évité un effondrement du tourisme et un marasme social. Le crédit hôtelier a donc permis de financer trois mois de besoins en fonds de roulement. Nous avons accepté de nous endetter en faisant preuve de patriotisme pour sauver le tourisme. Naturellement, on attend de l’Etat un soutien fiscal afin qu’au delà des reports on puisse envisager des mesures plus fortes.
Nous ne voyons pas de visibilité avant la fin de la saison 2021 car la saison 2020 / 2021 est perdue par les professionnels quels que soient les mesures qui seront prises. On ne pourra jamais rattraper les chiffres d’affaires perdus qui s’élèvent à des centaines de milliards de Franc CFA. Deux fleurons de l’Hôtellerie sénégalaise, à savoir le Terroubi et le King Fahd Palace, ont perdu chacun 9 milliards de fr CFA. Depuis le début de cette pandémie, on a perdu plus de 300 milliards f cfa (540 millions de dollars). Au plus fort de la crise Covid, certains de nos hôtels ont été réquisitionnés par l’Etat. Nous avons été reçus par le ministre des Finances et celui de la Santé. Effectivement, 4 milliards de Fcfa ont été payés aux réceptifs hôteliers. Il reste juste un reliquat de 3,5 milliards f cfa.
L’on voit que les Hôteliers sollicitent un report voire une exonération fiscale ?
Oui, ce plaidoyer est important. Il faut du courage, les banques doivent jouer le jeu car quand quelqu’un meurt, si vous lui tirez dessus, cela devient une mutilation de cadavre. Nous sommes arrivés à un seuil critique où il faut prendre des mesures à la hauteur de la gravité de cette pandémie. Les banques doivent accepter des reports au moins jusqu’à l’an prochain. Au niveau fiscal, le gouvernement a pris des mesures mais il faut aller plus loin et le ministre desFinances nous a prêté une oreille attentive. Il faudra s’attendre bientôt à ce que des mesures soient prises dans le sens d’un report d’échéances fiscales.
Contrairement au Maroc et à la Tunisie, considérés comme des concurrents directs, le Sénégal n’est pas encore dans la liste de l’Union Européenne qui lui ferme encore les frontières dans ce contexte Covid ; c’est quand même préoccupant pour le tourisme ?
Vous savez c’est une question de souveraineté, nous ne pouvons que soutenir notre gouvernement dans toute décision de ce genre. Cela dit, nous allons discuter avec les autorités pour que des fenêtres puissent être ouvertes afin de permettre aux touristes, habitués du Sénégal, qui disposent d’une réservation d’hôtel et de billets d’avion, de venir librement au Sénégal. Il y a déjà un début de solution qui ne remet pas en cause le principe de la souveraineté de l’Etat. La Covid n’est pas là pour l’éternité, il faut penser à l’après-Covid afin de relancer le secteur touristique. Il faut qu’on se prépare à des investissements et à une communication en rapport avec l’Agence sénégalaise de promotion du tourisme.
Nous saluons aussi la disponibilité du ministre du Tourisme qui travaille d’arrache-pied pour permettre au Sénégal de revenir sur les marchés émetteurs. Il faut dire que les marchés émetteurs (pays européens) incitent leurs ressortissants à rester chez eux. Donc même si on ouvrait les frontières, il ne faut pas penser qu’il y’aura un rush sur nos pays. Les pays européens ont été fortement impactés par la crise avec notamment des ponctions sur les salaires de leurs concitoyens; plusieurs d’entre eux sont plus enclins à rester chez eux. Il y’a de nouveaux paradigmes qui vont décider de l’avenir de l’industrie du tourisme. On ne connaît pas encore les impacts réels de la crise sur les habitudes de consommation des gens et donc sur les conséquences durables que cela aura dans les pays africains qui accueillent très souvent les touristes. Il faudrait aussi analyser les conséquences sociales de cette pandémie. Quand des hôtels tournent entre 10 et 20 % de leurs capacités comme c’est le cas actuellement au Sénégal et quand les agences de voyages n’émettent plus de billets, il y’a problème. Voyez, les Sénégalais ne peuvent plus aller en France, ils sont encore sur la liste rouge, c’est assez problématique. Le secteur du tourisme a largement besoin d’être perfusé pour qu’on puisse tenir au moins une année encore ; cela est très important.
Il semble aussi que des efforts aient été faits à hauteur de 10 milliards FCFA pour rénover le King Fahd Palace considéré comme le plus grand établissement hôtelier du pays ?
Des fermetures d’hôtels sont envisagées de même que des licenciements par ricochet parce qu’il arrive un moment où l’entreprise ne peut plus survivre. Vous avez constaté des manifestations ici et là dans le secteur et on se demande d’ailleurs sur quelle planète ils sont car il s’agit d’une pandémie mondiale, l’activité économique est quasiment à l’arrêt partout. Pour le cas spécifique du King Fahd Palace, nous nous réjouissons de la confiance renouvelée par le Chef de l’Etat et nous avons pris l’engagement de mettre en œuvre des investissements massifs qui se chiffrent à 10 milliards FCFA pour rénover l’Hôtel et permettre au Sénégal de faire face à ses engagements internationaux. Le King Fahd est l’hôtel qui abrite la quasi-totalité des rencontres internationales.
Selon les dernières estimations, 1137 emplois sont en péril dans la célèbre station balnéaire de Saly Portudal, qu’en est-il exactement ?
Nous sommes impuissants face à la crise. Pour sauver ces emplois, il aurait fallu des incitations fiscales très importantes de la part de l’Etat comme l’exonération du règlement de la patente ou des charges comme l’impôt sur les sociétés(IS). Il faut oser prendre des mesures courageuses de manière à mettre en place un véritable Plan Marshall pour le tourisme sénégalais et même africain. Compte tenu de l’impact considérable de l’activité sur les secteurs primaire, secondaire et tertiaire, de son caractère transversal sur l’économie, en soutenant le tourisme, on soutient tout le monde. Quand le tourisme marche, le Btp fonctionne à merveille, les produits halieutiques et maraîchers aussi. C’est aussi un secteur présent sur toute l’étendue du
territoire national. Nous saluons l’action décisive du Président Macky Sall pour mettre en place des ressources ayant permis de sauver le tourisme. La situation aurait été pire sans l’intervention de l’Etat à travers le crédit hôtelier. Ceci dit, il faut maintenant chercher à aller de l’avant et trouver d’autres solutions comme l’exonération fiscale pour consolider les
efforts de résilience notés jusque-là. Nous l’envisageons sérieusement et nous pensons que ce serait courageux pour le gouvernement de prendre une telle décision car l’année 2020 est une année blanche sur tous les plans et il faudrait reporter les échéances fiscales jusqu’en fin 2021 pour permettre au secteur de rebondir. Si on ne le fait pas, les
structures vont, une par une, mettre la clé sous la porte parce qu’elles ne pourront plus faire face aux investissements. Dans aucun pays au monde, vous ne verrez des employeurs emprunter de l’argent pour payer des
salaires et on l’a fait récemment au début de la pandémie. Des conséquences sociales sont inévitables mais nous allons travailler à
en atténuer les effets autant que possible. Nous aurons des rencontres avec les plus hautes autorités du pays.