En Guinée, l’affrontement entre le président sortant Alpha Condé, 82 ans, du parti du Rassemblement du peuple de Guinée, et son rival de toujours, Cellou Dalein Diallo, 68 ans, chef de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), risque de tourner en une polarisation de haute intensité entre les Malinké et les Peuls, les deux ethnies majoritaires du pays, devant les Soussous et les Forestiers, juges de la paix, à leurs corps défendants. Le premier tour des présidentielles est prévu pour le 18 octobre.
Au pouvoir depuis 2010 et réélu en 2015, l’homme fort de Conakry, accusé par la coalition de 11 partis de l’opposition regroupés au sein du Front national de la défense de la constitution (FNDCC), d’avoir fait du forcing référendaire pour s’offrir le droit de briguer à un troisième mandat, vient de décréter que les guinéens du Sénégal et d’Angola, à 90% Peuls, ne prendront pas part au vote. « C’est au moins 17% du fichier électoral qui vient d’être amputé », avance une source bien informée à Conakry, explique une source proche de l’UFDG, qui parle en général d’un « simulacre de ficher électoral ».
Notons à la décharge du camp présidentiel qu’une mission d’experts de la Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) a jugé mercredi que les listes électorales, comportant 5,4 millions d’inscrits, permettaient en l’état la tenue du scrutin présidentiel. Reste à éclaircir un mystère. L’on est ainsi passé d’un fichier de 7 millions de votants à un peu moins de 5 millions entre mars et octobre par la magie de l’arithmétique électorale guinéenne.
Accusé d’user de tous les moyens du pouvoir pour son maintien, le président Alpha Condé a aussi pris la décision, unilatérale, le 29 septembre 2020, de fermer les frontières avec le Sénégal et la Guinée Bissau pour, selon la presse sénégalaise, empêcher du matériel électoral (évalué à 800 millions de FCFA) de Cellou Dalein Diallo, de passer. Dans sa stratégie de communication politique, le chef de l’Etat semble vouloir éloigner le débat de son bilan économique pour le focaliser sur la question sensible des ethnies.
« Cette élection n’est pas seulement une élection, c’est comme si nous étions en guerre », a lancé le président, mardi, en langue Malinké, par visioconférence à ses partisans à Siguiri, dans son bastion électoral de l’Est du pays. Dans son premier discours de campagne le 19 septembre, également en malinké et diffusé par la télévision nationale, le plus français des chefs d’Etat africains, avait mis en garde les électeurs de Kankan (Est) contre la tentation d’apporter leurs suffrages à un autre candidat issu de cette communauté. »Si vous votez pour un candidat malinké qui n’est pas du RPG c’est comme si vous votiez pour Cellou Dalein Diallo », avait affirmé M. Condé dans des propos rapportés par la Voix de l’Amérique.
Et Alpha Condé de surenchérir : « Dans la région du Fouta, il n’y a pas d’autre candidat que Cellou », avait-il souligné en référence au Fouta-Djalon (centre), à population majoritairement peule et fief électoral de M. Diallo. Ce dernier, accusé aussi d’ethnocentrisme par le pouvoir, nie en bloc: « “Je n’ai jamais voulu utiliser, instrumentaliser, comme Alpha le fait, l’ethnie pour parvenir à mes objectifs”, a assuré M. Diallo à Dakar où il séjournait récemment. Et Cellou Dalein Diallo de préciser devant l’Association de la presse érangère (APES) : “Je ne me présente pas en tant que Peul, je me présente en tant que Guinéen qui veut être le président de tous les Guinéens”.
En attendant, les avocats français du FNDC ont écrit à la procureure de la Cour pénale internationale (CPI), Fatou Bensouda, pour lui signaler les premières déclarations de campagne de M. Condé. « Ces propos traduisent la volonté de Monsieur Alpha Condé de déporter le débat sur le terrain ethnique avec le risque d’alimenter des clivages au sein même de la population« , écrivent les avocats William Bourdon et Vincent Brengarth. « Ces éléments nous font sérieusement craindre de nouvelles violences électorales à relent ethnique« , ajoutent-t-ils, rappelant que le FNDC a lancé un mot d’ordre de mobilisation à partir du 29 septembre pour le départ de M. Condé.