De notre envoyée spéciale à Caen Christine Holzbauer.
Consacré, cette année, aux « nouvelles menaces », la troisième édition du Forum mondial Normandie pour la Paix a réussi son pari de faire venir plus de 6000 visiteurs. Avec deux thématiques consacrées à l’Afrique et des intervenants prestigieux, tous très préoccupés par l’avenir du continent, la Normandie, chère au cœur de Senghor, était au rendez-vous.
Avec trois grandes conférences consacrées aux enjeux sociaux, démocratiques, environnementaux de la paix, la monté des menaces technologiques et le rôle des femmes dans la préservation de la paix ainsi qu’une quinzaine de débats thématiques et géographiques, consacrés notamment à l’Ethiopie et à la région du Sahel, ce 3ème grand rendez-vous international à l’initiative de la Région Normandie a tenu ses promesses.
Pandémie du Covid-19 oblige, certains des «grands témoins» de ce happening de la paix, de la liberté et des droits de l’Homme étaient en Visio conférence. Ce fut le cas pour le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres, l’éthologue Jane Goodall ou la secrétaire générale de la Francophonie Louise Mushikiwabo. Mais tous les autres ont répondu présents, les 1er et 2 octobre derniers, dans l’Abbaye aux Dames à Caen. Parmi eux, les politologues Bertrand Badie et Pascal Perrineau, Marija Pejčinović Burić, secrétaire générale du Conseil de l’Europe, Izumi Nakamitsu, secrétaire générale adjointe de l’ONU et haute-représentante pour les affaires de désarmement, mais aussi l’ancien ministre de l’environnement Nicolas Hulot et le photographe Yann-Arthus Bertrand, président de la fondation Good Planet.
Sans oublier une marraine prestigieuse, la cantatrice Barbara Hendrix, qui a offert un concert réservé au personnel soignant normand mobilisé pendant la crise sanitaire. «Pas moins de 6000 visiteurs se sont déplacés pendant les deux jours», selon le maire de Caen. Parmi lesquels beaucoup de jeunes qui ont participé à des évènements tels que Walk the Global Walk, une marche pour le climat dans le cadre de l’objectif du développement durable (ODD) numéro 13 de l’ONU ou la 2ème édition du Prix Liberté en partenariat avec l’Institut international des droits de l’Homme et de la paix. Cette année, c’est la militante saoudienne pour les droits des femmes Loujain Al Hatloud qui l’a remporté. En 2019, la lauréate de ce prix, décerné par Barbara Hendrix, était Greta Thunberg.
Espoirs déçus
« Il n’y a pas d’année blanche pour construire la paix », a déclaré d’entrée de jeu le président de la région Normandie, Hervé Morin. Ne cachant pas qu’il avait eu très peur que cette 3ème édition du Forum Normandie pour la paix ne puisse pas se tenir au vu « des circonstances particulières » due à la pandémie. Mais face aux nouvelles menaces, climatiques, sociales et technologiques qu’il a qualifiées d’« externalités négatives d’une croissance trop souvent irrespectueuse de l’homme et de l’environnement », l’ancien ministre de la défense a rappelé que la meilleure riposte était de « comprendre la guerre pour construire la paix.» Au cœur de ses préoccupations figurent « les phénomènes climatiques violents, la ressource en eau qui diminue, le désert qui gagne chaque jour avec, bien sûr, derrière ces catastrophes climatiques, des populations.» Il rappelle que, depuis 2008, en moyenne 24,6 millions de personnes ont été déplacées, chaque année, à cause des phénomènes climatiques : « soit deux à trois fois le nombre de déplacements liés aux conflits armés et à la violence.» Or, ces peuples qui souffrent du dérèglement climatique « sont les moins responsables de ce dérèglement » et « ils sont souvent les plus pauvres », insiste-t-il.
Pour lui, ces « climato- déplacés » sont les « nouveaux damnés de la terre », car ils doivent trouver une nouvelle terre, un nouveau toit et sont bien souvent rejetés comme indésirables. De là peut naître le conflit, intérieur et civil si c’est au sein d’un même pays ou interétatique si les réfugiés climatiques ont passé la frontière. Il peut en résulter une guerre civile qui risque d’amener, ensuite, la participation au conflit des États voisins et enfin celle des grandes puissances. « On va très vite du local au régional et du régional à l’international, du déplacement pour raison climatique au conflit militaire voire aux persécutions ethniques. Même si les causes sont multiples, le Darfour est un bon exemple », affirme-t-il. Aussi, sa recommandation est d’aboutir,- très vite-, à « un statut de réfugié climatique puisque nous en aurons plusieurs centaines de millions d’ici 2050. » Malheureusement, la convention de Genève ne considère pas les déplacés environnementaux comme des demandeurs d’asile car personne ne les persécute. « Il faut donc combler ce vide juridique qui empêche ces nouveaux déplacés d’être accueillis dignement et légalement », martèle-t-il. D’autant que la menace environnementale montre que la sécurité, au sens classique du terme, ne suffit pas à garantir la paix. « La sécurité doit obligatoirement se conjuguer avec le développement durable, avec la santé, le respect des structures sociales ancestrales facteur de stabilité », conclue-t-il.
Menaces élargie
Pour Emmanuel Dupuy, directeur de l’Institut Prospective et sécurité en Europe (IPSE), qui a organisé la table ronde sur « Sahel : quelles initiatives régionales pour la paix et la sécurité ? », le Forum de Normandie est un « outil précieux pour croiser les regards et les analyses » sur les différentes formes de conflits contemporains. Concernant les menaces qui pèsent sur le Sahel, la nouveauté, -selon lui-, c’est qu’au lieu de se résorber ou d’être jugulées, ces menaces, au contraire, s’accroissent et se déplacent. « Nous sommes en train d’assister à une concomitance des menaces du Sahel occidental jusqu’au Sahel oriental, c’est-à-dire du Sénégal jusqu’à la Somalie », relève le chercheur.
Partout dans cette bande sahélo saharienne, les djihadistes menacent la stabilité des Etats comme, par exemple, en Somalie, avec la main mise des Shebabs sur le scrutin présidentiel de février prochain. « J’ai fait témoigner à ce sujet le candidat Abshir Aden Ferro, de même que l’ancien Premier ministre du Mali, Moussa Mara en ce qui concerne la situation sécuritaire dans son pays. On se rend vite compte qu’il y a beaucoup de points communs », insiste Emmanuel Dupuy.
Il s’est réjoui qu’Annadif Khadir Mohamed Saleh, le représentant spécial du secrétaire général de l’ONU au Mali et patron de la MINUSMA ait pu intervenir en visio conférence. Ce dernier a insisté sur la nécessité d’actionner les forces africaines en attente (FAA) afin de répondre de façon plus précoce aux menaces. « Et peut-être aussi faire le lien avec l’AMISOM ?», a-t-il suggéré. Interrogé, Emmanuel Dupuy estime que ce qui est nouveau, aujourd’hui, dans les menaces qui pèsent sur le Sahel, « c’est l’ampleur atteint par les déplacements forcés des populations, -sept fois plus important en un an dans des pays comme le Mali et le Burkina Faso-, les attaques de plus en plus ciblées sur ces populations et les convois humanitaires qui leur sont destinés ainsi que l’émergence de la famine depuis que le Covid-19 a fait son apparition », commente-t-il. La preuve, selon ce chercheur français, que « tout cet argent a été détournée et qu’il va falloir, aujourd’hui, se résoudre à mieux le flécher». Sa préférence, quant à lui, va « pour des projets d’agriculture », répond-il sans hésiter.