Par Cheickna Bounajim Cissé, l’émergentier
Economiste, essayiste et expert des marchés bancaires africains, Cheikhna Bounajim Cissé, entame avec cette chronique, une série d’analyse sur les rapports entre les Etats africains et le FMI. « Assis sur des mines d’or et des gisements de pétrole, les pieds dans l’eau, les pays africains continuent à tendre, sans discontinuité et pour tout ou rien, la sébile pour obtenir l’obole« , lit-on dans cette chronique appelant les élites africaines au sursaut.
Partie 1 : Une situation bancale et hadale
Depuis les années 80, la majorité des pays africains sont sous programme avec le Fonds monétaire international (FMI). Les trois quarts des Africains sont nés pendant cette période. Quatre décennies d’ajustement et de réajustement après, la situation économique et sociale sur le continent n’est guère reluisante. Dans certains cas, elle s’est même sérieusement dégradée. Assis sur des mines d’or et des gisements de pétrole, les pieds dans l’eau, les pays africains continuent à tendre, sans discontinuité et pour tout ou rien, la sébile pour obtenir l’obole. Pour perpétuer cette situation mortifère, les «aumôniers internationaux» leur délivrent même des certificats d’indigence (PMA et PPTE) pour qu’ils se prévalent de la justesse de leur quête. Et les dirigeants africains continuent à se bousculer au portillon de leurs généreux donateurs, qui pour obtenir illico presto les «précieux sésames», qui pour les conserver ad vitam aeternam. La pauvreté, la famine, les épidémies, l’insécurité (et j’en oublie volontiers des pires) sont devenus des produits d’appel fluorescents et incandescents. Plus de servitude et de turpitude pour bénéficier de plus de mansuétude et de sollicitude. Comment peut-on externaliser la conception et le financement de son modèle de développement et espérer un décollage économique ? A ce jour, après quarante ans de programme avec le FMI, il n’y a pas un seul pays africain qui a pu se développer. De deux choses l’une : soit le malade souffre d’un mal incurable, soit le médecin est atteint d’une incompétence immensurable. En toute vérité, l’Afrique est une grande question, la réponse est avec les Africains. Voici la mienne.
Pour bien comprendre, sinon tenter de saisir, le rationnel des relations entre l’Afrique et le Fonds Monétaire International, je vous invite à Mumbai.
A des milliers de km de mes pénates et à quatre décennies de longueur, je regardai un film « hindou », tout droit sorti des entrailles de Bollywood. Figé par la lumière du soir, alors que le scénario s’étira en longueur avec des larges plages mélodieuses, j’aperçus soudain l’« acteur » assailli par le chef des scélérats. Requinqué par sa trouvaille, le « bandit chef » appuya sur la gâchette de son arme au moment où notre « acteur » choisit de bifurquer dans la rue opposée. Invraisemblablement, la balle qui eut déjà quitté le canon changea aussi de trajectoire pour mieux viser sa cible. Quelle incroyable contorsion ! Une nymphette, au visage de chérubin et à la voix séraphique, sortie de nulle part, s’interposa à son tour entre le projectile et l’acteur. En sueur et en pleurs, le miraculeux se retourna pour voler au secours de son héroïne qui, prodigieusement, eut aussi la vie sauve grâce au poudrier qu’elle porta et sur laquelle la balle se déporta. Fièrement,la sylphide tira la houppette, se dépoussiéra le visage diaphane et en lustra le facies pour célébrer la hardiesse du sylphe. Mis en quatre, les deux tourtereaux s’écroulèrent, s’enroulèrent et roucoulèrent à l’unisson le refrain d’une romance improvisée, sous les yeux riboulants d’une ribambelle de flagorneurs avides de rêve sans trêve, brandissant, à se tordre le poignet, l’oriflamme de la coterie. Instamment, le malandrin, armé jusqu’aux dents, fut pris par une foule édentée et remis à des barbouzes désarmés qui eurent déjà mis leurs godillots à leur cou.
Avez-vous saisi quelque chose à ce récit bucolique ? Apparemment, non ! Relisez bien le texte en portant une attention particulière à la première lettre de chaque phrase et mettez les bout à bout, peut-être seriez-vous édifié ! Pour ma part, cette scène abracadabrantesque n’a pas pris une ridule dans ma mémoire. Aujourd’hui, l’Afrique vit (presque) la même situation et c’est beaucoup moins désopilant.
En incipit, posons-nous une question simple de bon sens : les programmes avec le FMI, en cours depuis près de quatre décennies, ont-ils permis d’assurer le développement des pays africains ? De façon plus ludique, le traitement prescrit par le « médecin de Bretton Woods » a-t-il soigné l’Afrique des maux du sous-développement ? La réponse n’est pas au bout d’une réflexion longue. Elle saute à l’œil en s’imposant à tous, presque trivialement : c’est non. L’Afrique, cette vieille dame au silence écouté, est en petite forme. C’est OK corral, un énorme parc d’attraction pour une bonne partie du monde en quête de fantasmes en isme : affairisme, opportunisme, exotisme, angélisme, occultisme, terrorisme, esclavagisme, extrémisme, radicalisme, fanatisme, racisme… Les dirigeants africains, au lieu de protéger leurs peuples de cette prédation, ont aussi créé leur propre répertoire de plaisance en isme : le népotisme, le favoritisme, le clientélisme, le laxisme, le populisme, l’immobilisme, le nombrilisme, le triomphalisme, le m’as-tuvisme, l’impressionnisme…Les populations, à force de broyer le noir, ont fini par blanchir leur tableau avec un chiffon en isme : dégagisme, vandalisme, irrédentisme, séparatisme, nationalisme… Le journaliste et diplomate Hamadoun Touré résume très bien à sa façon la situation de l’Afrique : « Un extraterrestre qui débarquerait aujourd’hui sur le continent africain serait surpris d’apprendre que la plupart de ses pays sont indépendants depuis soixante ans. S’il a le sens de l’humour et du goût pour le théâtre, il penserait à une mauvaise comédie jouée par des amateurs. Soixante ans presque sans ride, tel lui apparaitra le continent. L’Afrique mène sa vie au jour le jour, se nourrit d’expédients à la place de prévisions, la sébile tendue, attendant l’obole. Inerte face à des puissances qui lui imposent leurs conditions, leur volonté, leur moment, leur bon plaisir en affichant parfois leur mépris. (…) L’Afrique a tout de même réalisé le miracle d’avoir atteint 60 ans sans aucune ride. Coûteuse coquetterie. Toujours dans l’innocence immaculée en train de regarder passer l’Histoire[1]. »
En vérité, les économies africaines, dans leur grande majorité, ne sont pas encore sorties de l’enfance. Pourtant, avec béquilles et chaise roulante, elles ploient sous le poids de l’âge. Plusieurs raisons suggèrent cette évidence, au-delà de toute considération émotionnelle, passionnelle ou sentimentale.
Avant de poursuivre, une précision s’impose. Le FMI – la “citadelle du savoir monétaire ” – pour reprendre l’expression du Pr. Joseph Tchundjang Pouemi, est-il le seul responsable de la situation de l’Afrique ? Non ! Il faut être juste. Notre propos n’est pas de charger le FMI pour décharger les gouvernants africains. Le FMI a beau avoir le dos rond, on ne peut pas – de bonne foi – lui imputer tous les maux du continent. Encore que cette institution financière internationale a sa part de responsabilité dans la situation actuelle de cette partie du monde, charge qui doit être assumée par ceux qui ont proposé ou imposé – qu’importe d’ailleurs lequel des deux – de contraignants programmes d’austérité sans issue aux pays africains pendant près de quatre décennies. En effet, que dire de la mal gouvernance en Afrique, de la corruption, du laxisme, du laisser-aller, du non-respect du bien public, de l’incivisme, de l’effritement des valeurs morales et sociétales, du déficit de démocratie, de l’absence de vision réelle et longue ? Il faut donc être très clair. Point de bouc émissaire ! L’ennemi des pays africains n’est ni le FMI, ni la Banque Mondiale, des institutions dans lesquelles ils ont (librement et volontairement) adhérées. Leur ennemi n’est pas abstrait, il a un nom : l’Africain. L’Africain qui chasse et pourchasse l’Africain en Afrique. L’Africain qui refuse de commercer avec l’Africain en Afrique. L’ennemi, c’est cette addiction des pays africains à l’aide étrangère, c’est ce complexe suranné de tout ce qui vient de l’extérieur… Point de fatalité ! Ce sont les Africains qui ont tourné le dos au développement de leur continent. Leur responsabilité effarante et effrayante dans la situation désastreuse de leur continent est une réalité. Ils doivent donc l’assumer, sans chercher à s’en dégager, ni en faire supporter la charge aux anciennes puissances coloniales et aux institutions internationales, encore moins à des êtres mystérieux qui peupleraient un autre monde.
En vous proposant cette série d’articles sur les programmes des pays africains avec le FMI, j’ai choisi la voie de la responsabilité, du refus de la servitude et de la servilité. Mais, convenons dès à présent, il n’y aura pas de répit ni d’effort au rabais. Mais, de grâce, ne nous engageons pas seulement lorsque les « vaches sont maigres », accélérons aussi la cadence lorsque « le génie sort de la bouteille ». Et qu’enfin l’image et la réputation de ce beau continent, qui nous a tout donné et à qui on a tout refusé, soient sauves ! Et que son développement puisse enfin s’amorcer. Cette Afrique nouvelle ne se construira pas sur les cendres du libéralisme, encore moins par le rejet des institutions multilatérales et des partenaires bilatéraux. L’objectif n’est pas de renverser la table pour y monter dessus, encore moins de faire l’apologie d’une vie en autarcie. La situation ne s’y prête guère. Il revient donc aux pays africains de penser, par eux-mêmes et pour eux-mêmes, leur propre modèle de développement, ambitieux et réaliste, de convenir de son mode de financement et de mettre en place un dispositif rigoureux de suivi de sa mise en œuvre. Mais avant, déconstruisons ensemble le référentiel des politiques publiques des pays africains basé sur le programme avec le FMI.
La majorité des États africains qui sont sous programme du FMI sont indigents. C’est un fait. Pire, leurs dirigeants n’en sont pas moins fiers. Il y a quelques jours, sur plusieurs médias et à de nombreuses occasions, un chef d’Etat africain, en pleine campagne électorale, jubilait d’avoir pu rendre éligible son pays au statut international « d’indigent ». Rien que ça !
Il est vrai que les « aumôniers internationaux » délivrent deux certificats d’indigence à leurs meilleurs élèves. Certains d’entre eux ont même réussi « l’exploit » d’obtenir les deux. Et ils en sont honorés. Il s’agit du statut de PMA (pays les moins avancés[2]) et de celui de PPTE (pays pauvres très endettés[3]). Sur les 47 PMA actuellement inventoriés par l’ONU, 33 sont des pays africains. Pour faire court, 7 PMA sur 10 dans le monde se situent sur le continent africain. Par exemple, hormis la Côte d’Ivoire, tous les pays de l’espace UEMOA sont classés dans la catégorie des PMA. Et ce n’est pas tout ! Sur la liste des 39 pays éligibles à l’initiative PPTE à fin juin 2015, les trois quarts sont situés en Afrique subsaharienne, dont la totalité des pays de la zone UEMOA.
Résultat des courses : en plein XXIe siècle, des millions d’Africains naissent et disparaissent dans l’indifférence totale. Dans cette immense partie du globe, à mille lieues de la prospérité mondiale, la faim tue plus que le sida, le paludisme et la tuberculose réunis. Chaque 10 secondes un enfant africain meurt de faim, chaque 10 minutes 15 Africains sont tués par le sida, chaque 10 heures 450 Africains décèdent de paludisme et… chaque jour il y a 246 millions de dollars qui sortent frauduleusement du continent africain vers des pays qui ont déjà bouclé leur cycle de développement, alors qu’il suffit, seulement, de 0,25 dollar par jour pour nourrir un enfant qui a faim. Pour toutes ces innocentes victimes qui n’ont choisi ni leur continent, ni leur pays, ni leurs dirigeants, ni leurs partenaires encore moins leur modèle économique, la vérité doit être dite et sue. Et cette responsabilité implique de chacun de nous deux actes préconisés par l’Abbé Pierre : « vouloir savoir et oser dire ».
Restez bien en place ! Pour retrouver les pays africains dans le classement des économies au monde, il faut en visiter les profondeurs. Selon l’IDH 2018 du PNUD, on retrouve dans la dernière catégorie « Développement Humain Faible », 36 États dont 32 sont africains. Pire, les 12 des pays les plus pauvres du monde se situent en Afrique. Plus de la moitié (56%) des pauvres de la planète vivent en Afrique subsaharienne. Triste record ! D’après un rapport conjoint (UNICEF, OMS, Banque mondiale, ONU) publié en octobre 2020, près de 2 millions de bébés sont mort-nés. Les trois quarts de ces mortinaissances se sont produites en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud. Un bébé né en Afrique présente neuf fois plus de risques de mourir dans le mois suivant sa naissance qu’un autre bébé né ailleurs. Dans bien des cas, la maman perdra aussi la vie pendant l’accouchement. En 2017, selon les données de l’UNICEF, la moitié des décès d’enfants de moins de 5 ans dans le monde ont eu lieu en Afrique subsaharienne. Autrement dit, un enfant africain sur 13 meurt avant son cinquième anniversaire, parce qu’il n’a pas « accès à l’eau, à des services d’assainissement, à une alimentation correcte ou à des services de santé de base[4]. » Il y a 356 millions d’enfants dans le monde qui luttent pour survivre avec moins de 1,90 $ par jour, dont les deux tiers habitent en Afrique subsaharienne. Pour l’UNICEF, « toutes les régions du monde ont connu des niveaux variables de diminution de l’extrême pauvreté chez les enfants, à l’exception de l’Afrique subsaharienne, qui a connu une augmentation de 64 millions du nombre absolu d’enfants luttant pour survivre avec 1,90 $ par jour, passant de 170 millions en 2013 à 234 millions en 2017[5]. »
Actuellement, il y a 23 millions de jeunes Africains faméliques qui vont à l’école le ventre vide. Il y en a presque autant qui se couchent dans les mêmes conditions. Pourtant, 440 millions d’enfants africains devront être scolarisés en 2030[6]. A cette date, il y aura 60 millions d’ « enfants invisibles » ou d’ « enfants fantômes » en Afrique, qui justifieront de ce sinistre qualificatif au motif qu’ils n’existeront pas dans les registres de l’état civil.
En Afrique, 70 % des lits d’hôpitaux sont occupés par des patients souffrant de pathologies liées à la qualité de l’eau et de l’assainissement. Selon une étude documentée du CAVIE, il y a 400 millions d’Africains qui manquent d’eau potable, alors que le continent compte plus de 650 000 km3 de réserves d’eau dans son sous-sol.
Cruellement, l’Afrique concentre 18 des 30 pays les plus corrompus au monde, selon le classement IPC 2019 de Transparency International, avec en prime les deux dernières places. D’après le rapport 2020 du Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED), une infime minorité d’Africains fait sortir, illégalement, du continent africain chaque année la grandiloquente somme de 88,6 milliards de dollars (estimation basse), soit 3,7% du PIB du continent et presque deux fois plus que l’aide publique au développement (48 milliards de dollars par an). Voilà l’Afrique, réputée être un continent très pauvre et (presque) condamnée à la mendicité, qui donne en réalité au reste du monde plus qu’elle n’en reçoit ! Tel un palmier qui laisse paître sous un soleil de plomb ses frêles riverains pour ombrager à mille lieues des personnes se prélassant sous le zéphyr.
Les compagnies aériennes nationales ont été liquidées pour faire de la place aux multinationales étrangères. Les ports baignent dans les eaux glauques de la corruption. Les terres ont été confisquées aux paysans pour être vendues en petites tranches aux spéculateurs. Au total, le sous-sol est cédé, le sol est vendu, l’eau est privatisée et le ciel est abandonné. Tout cela pour une bouchée de pain au profit d’une poignée de personnes. Quoi de plus normal ! Circulez y’a rien à voir ! Mystère, boule de gomme et pipi de chat !
Comment l’Afrique est-elle devenue le « porte-bagage du monde » et le « dépotoir de la planète » – pour emprunter quelques formules malheureuses – à acheter de la camelote et à consommer les vieilleries de toutes sortes, celles que les autres mettent dans leur poubelle quand ils n’en ont plus envie, allant des véhicules âgés aux congélateurs usagés, en passant par les chaussures abîmées et même… les vieux matelas d’hôpitaux pourris, la vaisselle décatie, les jouets d’enfant élimés, les serviettes usées, les draps flétris, les soutiens-gorges défraîchis, les caleçons et pyjamas avachis ? Quelle femme, si ce n’est sous la dictature de l’urgence, aimerait porter la lingerie déjà utilisée par une autre ? Pourtant, tout le monde le sait, ces produits de seconde main appelés couramment « casse » ou « yougou yougou » (« ce qu’on remue », littéralement traduit du bambara au Mali), peuvent poser de graves problèmes sanitaires et écologiques aux consommateurs et à leur environnement.
Les populations africaines, en rade, souffrent d’une pauvreté multidimensionnelle et de la mauvaise gouvernance. Six décennies après les indépendances, elles continuent de patauger dans la pauvreté. Dignes mais pas résignées, « réfugiées dans le combat pour la survie » (l’expression est de Kofi Yamgnane), elles ont conscience de leur extrême pauvreté, de l’immense richesse de leurs dirigeants et des énormes potentialités de leur continent. Leur patience a des limites. Elles ont toujours prouvé qu’elles savaient se faire entendre quand on les fait trop attendre. Dans de nombreux pays, confrontées à la pâleur du quotidien, elles manquent presque de tout, même de l’essentiel pour survivre : manger, boire, travailler, communiquer, se soigner, se loger, s’éclairer, se former, se déplacer, et tout le toutim. Elles préfèrent fuir leurs terres pour se livrer à la mer. Un migrant algérien résume bien leur détermination : « On dit qu’il vaut mieux être mangé par les poissons que par les vers.[7] »
Au vu de ces chiffres, peut-on, raisonnablement et valablement, dire que les programmes avec le FMI sont une aiguade du développement ? Pécaïre ! Ah bon, le trait est exagérément grossi ? Pourquoi si le programme avec le FMI était si performant et si vertueux comme le prétendent vertement ses concepteurs et le défendent ouvertement ses financeurs, les pays africains qui en sont bénéficiaires depuis près de quatre décennies ont-ils les économies les plus faibles et les plus vulnérables du monde ? Pourtant, l’Afrique est « un coffre-fort bourré de matières premières : 10 % des réserves mondiales en pétrole, 90 % de celles de platine, de cobalt et de chrome, 60 % du manganèse, 40 % de l’or, 30 % de l’uranium et de la bauxite, 25 % du titane[8] ». Franchement, à quoi sert de mourir riche si on doit vivre pauvre ? À quoi sert de maintenir des programmes économiques qui n’ont jamais prouvé leur efficacité nulle part dans le monde et qui plus est conduisent à l’impasse ? Ces questions risquent de paraître stupides au regard de leur réponse évidente ; pourtant, les incongruités ici relevées doivent bien être élucidées un jour.
Il pourrait m’être objecter ici, là-bas et ailleurs, des poussettes par-ci, des réussites par-là sur le continent. Soit ! Mais que pèse, dans la compétition mondiale actuelle, le « miracle » – supposé ou réel – de quelques États africains fragmentés ? Pas grand-chose ! Sinon que le poids du duvet du colibri d’Elena ! Le PIB consolidé de tous les pays africains était de 2 513 milliards de dollars en 2013 soit l’équivalent, non pas celui d’un pays développé, mais plutôt de celui d’un pays émergent comme le Brésil. La Chine, qui avait au début des années 60 le même niveau de développement que beaucoup de pays africains, affiche aujourd’hui une richesse nationale au moins 5 fois supérieure à celle de toute l’Afrique réunie. Elle est aujourd’hui le premier créancier du continent avec 40% de sa dette. Les États-Unis produisent en un mois et demi (exactement 44 jours) ce que tout le continent africain réalise en une année. Selon les données de la Banque Mondiale, la valorisation de la société Apple (1 800 milliards de dollars) est l’équivalent du cumul des PIB des 10 premières économies africaines (1 807 milliards de dollars). Avec moins de 3% du commerce mondial, l’Afrique est une voix qu’on compte et non qui compte.
Il ne faut pas être complaisant : un rebond n’est pas un bond. Les petites foulées des rares « sprinters », aux mollets endoloris par des années de sédentarité, sont encore molles pour inverser durablement et globalement la situation sur le continent. Aucune alternative ne s’offre à l’Afrique. Soit elle se sauve ensemble soit elle périt ensemble.
Laissons les statistiques à la polémique et les rapports à la controverse, et parcourons ensemble les pays africains, sans escorte ni guide, visitons du bout des yeux leurs bidonvilles, leurs villages et leurs hameaux. Il vous sera servi des localités en friche avec une réalité attendrissante qu’aucune marque d’hospitalité, même légendaire, ne pourrait compenser ni faire oublier. Alors, toutes vos résistances se rompront et vos bras vous tomberont dans les mains. Et vous vous direz, prestement et promptement : Pourquoi ? Comment ? Pourquoi ? Comment ? L’État, à travers l’administration publique et les services sociaux de base, est absent sinon inexistant dans beaucoup de localités. Les populations s’y auto-administrent, avec bien souvent la générosité financière de groupes hostiles. Le pouvoir central est concentré dans la capitale et dans quelques grandes villes. Tenez, saviez-vous que dans des milliers de villages africains, un centenaire (âge exceptionnel pour une espérance de vie moyenne de 61 ans) peut quitter ce bas monde sans jamais accéder, une seule fois, à l’électricité et à l’eau potable ? Pourtant ce vieillard a passé toute sa vie, avec la simple daba comme outil de travail, à arracher à la terre de quoi se nourrir et subvenir aux besoins de sa famille et de la communauté. En Afrique, la vicinalité des centaines de villages, point des îles, est rompue pendant toute la période d’hivernage. Des centaines de femmes enceintes transportées dans des charrettes de fortune, attelées par des ânes affamés, donnent la vie en cours de route en y perdant la leur. Des milliers de jeunes, désespérés de continuer à espérer, sont enrôlés pour des aventures incertaines par des crapules sans scrupule. L’Afrique se vide de ses cerveaux et de ses bras valides. Le défunt premier ministre belge Paul Vanden Boeynants nous rappelle que « quand les dégoûtés seront tous partis, il ne restera plus que les dégoûtants ».
Les programmes avec le FMI sont une fausse solution à un vrai problème. C’est un modèle lacunaire qui reprend l’essentiel des « pathologies » des précédentes générations de programmes d’ajustement structurel. Aujourd’hui, la majeure partie des économies africaines éclopées ont besoin d’être réformées en profondeur en les rendant fortes, diversifiées, résilientes, inclusives et compétitives. À l’épreuve du temps, les bonnes intentions exprimées çà et là au cours d’innombrables réunions, ateliers, séminaires, conférences, colloques et forums ont montré leurs limites. Le sociologue français Michel Crozier aurait prévenu : « Quand on affronte les problèmes de demain avec les organisations d’hier, on récolte les drames d’aujourd’hui. »
Il y a des vrais enjeux et des défis de taille qui interpellent les dirigeants africains. D’après une étude de l’Institut français d’études démographiques (INED), la population africaine doublera en 2050 pour atteindre les 2,5 milliards d’habitants, et même quadruplera en 2100 avec 4,4 milliards de personnes. À cette date, 1 homme sur 3 dans le monde sera africain. En raison de ce boom démographique, l’Afrique devra créer au moins 450 millions d’emplois d’ici 2050. Est-ce un cadeau ou un fardeau ? Est-ce une chance ou une charge ? Tout dépend de ce que les Africains décideront. Demain ? C’est aujourd’hui pour les dirigeants engagés, et c’était même hier pour les plus visionnaires. Il importe donc d’agir dès maintenant, encore qu’il soit encore temps, dans le sens de la construction d’un modèle de développement robuste et résilient, ambitieux et réaliste, inclusif et participatif. Il serait illusoire de croire que le développement de l’Afrique se jouera à la corbeille. Ce serait se prévaloir d’être un joueur émérite de poker. On n’accédera pas à l’émergence par hasard ou par chance. Et la solution ne fonctionnera pas à l’envie. Il ne suffira pas d’avoir bien parlé, bien écrit et bien rapporté. L’Afrique doit jouer collectif et libérer les énergies localement. Il faut de l’action, réfléchie et utile, à partir des dynamiques nouvelles et des alternatives crédibles pour un développement accéléré, durable et inclusif. C’est une tâche immense et il est aujourd’hui urgent de s’y engager maintenant. La responsabilité est donc là, il faut l’assumer.
Aussi, face à l’ampleur des défis à relever, la réponse ne doit ni être tiède ni être brutale, encore moins différée. Sinon, ce sera faire preuve d’hérésie économique et d’enfermement doctrinal. Il ne s’agira pas de sauter les deux pieds joints dans l’inconnu et d’inviter les populations africaines à une aventure incertaine. Après tant de souffrances et tant d’errements, elles aspirent aujourd’hui, plus qu’hier, à un meilleur devenir, et cela le plus tôt possible. Que de temps perdu, à bricoler, à arranger, à arrondir, à esquiver… et à s’excuser ! On ne peut plus continuer à avancer à pas de souris, encore moins à stagner. Quand on fait une erreur et qu’on cherche mille et une excuses, on fera mille et une erreurs.
Chers dirigeants africains, le développement est un concept profondément endogène. On ne peut pas le sous-traiter en le confiant aux bons soins des « partenaires » au développement, aux institutions internationales et aux « pays frères et amis ». Ce sera trop leur demander. Et même si c’est le cas, ils ne le feront pas. Ce n’est pas parce qu’ils aiment le foie gras qu’ils doivent forcément s’intéresser à la vie du canard. Chers dirigeants africains, le développement n’est pas une notion abstraite. Il se vit à l’intérieur et se voit de l’extérieur, à des milliers de kilomètres à la ronde. On n’y accède que par une vision longue et partagée, défrichée de toute contingence politique, par organisation et méthode, par patriotisme et civisme, par labeur et rigueur. Aussi, il ne sert à rien pour maintenir les programmes avec le FMI de continuer à embellir l’état de vos économies par des indicateurs macroéconomiques supposés « solides et performants », à l’aide des chiffres plantureux, des graphiques savoureux, des commentaires généreux distillés par d’onéreux experts lors de pompeux sommets et forums. La réalité locale vous opposera toujours, aussi longtemps que durera la farce, des visages miséreux, des regards vitreux, des cadres véreux, des rapports de contrôle sulfureux, un chômage douloureux, un système de gouvernance fiévreux, un système de santé défectueux, un système d’éducation scabreux, un système de sécurité poreux
[1] https://lessor.site/contribution-independance-60-ans-vraiment.html
[2]Les pays les moins avancés (PMA) sont une catégorie de pays créée en 1971 par l’Organisation des Nations unis (ONU), regroupant les pays les moins développés socio-économiquement de la planète. Dans sa définition de 2003, le Conseil économique et social des Nations unies a retenu trois critères pour déterminer la liste des PMA : 1. Revenu par habitant basé sur une estimation moyenne du produit intérieur brut par habitant pendant trois années ; s’il est inférieur à 992 $ US, le pays est retenu pour la qualification de PMA ; 2. Retard dans le développement humain basé sur un indice composite incluant des indicateurs de santé, nutrition et scolarisation ; 3. Vulnérabilité économique basé sur un indice composite incluant des indicateurs sur l’instabilité, la production et les exportations agricoles, le manque de diversification de la production, et le handicap d’être un petit pays. (Source : wikipédia.org)
[3] – Le FMI et la Banque mondiale ont lancé l’initiative PPTE en 1996 afin d’assurer qu’aucun pays n’est confronté à une charge d’endettement qu’il ne peut gérer. Depuis lors, la communauté financière internationale, y compris les institutions multilatérales et les autorités nationales, ont œuvré en vue de ramener à un niveau soutenable la charge de l’endettement extérieur des pays pauvres les plus lourdement endettés. (Source : https://www.imf.org/external/np/exr/facts/fre/hipcf.htm)
[4] https://www.unicef.fr/article/un-enfant-de-moins-de-15-ans-meurt-toutes-les-5-secondes-dans-le-monde
[5] https://www.unicef.fr/article/un-enfant-sur-six-vit-dans-lextreme-pauvrete
[6] En ligne : www.ouest-france.fr/monde/organismes-internationaux/onu/macron-may-et-trudeau-veulent-voir-toutes-les-filles-scolarisees-d-ici-2030-5985644
[7] En ligne : www.rfi.fr/zoom/20171218-reportage-algerie-oran-departs-vers-europe-continuent-augmenter
[8] En ligne : https://voxeurop.eu/fr/content/article/42671-en-afrique-leurope-est-la-traine
A lire prochainement la partie 2:
3 commentaires
on se passerai volontiers de la réfèrence à l’abbé pierre pour préfèrer volontiers renè dumont
Très juste analyse de ce qui se passe en Afrique malheureusement: Cela se passe sur deux niveaux qui se rejoignent par leurs intérêts, comme démontré dans la contribution:
*Nos dirigeants non représentatifs, non élus démocratiquement, dont le but est d’assoir un pouvoir dynastique et de s’enrichir personnellement
*Des pays ou des groupes d’intérêts étrangers dont le but est de continuer à profiter des richesses du continent au dépend des populations qui ne trouvent d’autres alternatives que d’aller vers les horizons qui en tirent profits.
L’intérêt ne se limite plus à celui des richesses matérielles, mais maintenant à celui des richesses humaines (devant le vieillissement des populations des pays dits avancés) avec la politique annoncée de l’émigration choisie qui tente, en plus, d’écrémer les élites du continent africain. Ces élites (qui sont sensées participer au développement du continent) ont été formées dans des universités africaines avec les maigres deniers restants de ce vol organisé.
Ces deux niveaux d’intérêts se soutiennent au gré des alliances et des conflits entre les différents protagonistes hégémoniques tout en maintenant un flou médiatique artistique pour que les peuples ne se rendent pas compte de l’existence de ces convergences d’intérêts.
Merci M. Amrani pour cette réaction que je viens de lire. Vous mettez le curseur au bon endroit. Effectivement, je me répète, l’Afrique est ballotée entre braconniers de grand chemin et garde-forestiers en petite forme. Elle est à l’image de ses éléphants. Sous peu, si rien de concret et de durable n’est fait par les Africains pour se sauver de la misère et de l’insécurité, leur continent est appelé à disparaître dans les flots de la mondialisation.
Et le pire c’est que les intellectuels africains, pas tous mais dans une large frange, assistent en spectateurs à la mort lente du continent. Mon Dieu ! Point besoin d’être un impétrant de Harvard ou un expert dès NU pour se rendre compte que le modèle économique des pays africains a comme socle les programmes du FMI ne marche pas !