On a du mal à comprendre comment des experts de la Banque Mondiale, aussi nombreux et outillés, se trompent dans des proportions aussi importantes dans une période aussi courte !
Par Samir Bouzidi, Ethnomarketer & expert international en mobilisation des diasporas africaines.
En Afrique, une vague de catastrophisme peut en cacher une autre mais sans jamais faire plier ! Déjà, il y a eu les prévisions «millionnaires» en nombre de victimes de l’OMS en tout début de pandémie alors que sept mois plus tard l’Afrique enregistre le plus faible bilan en nombre Covidde morts COVID (autour de 45000 à début novembre) et se révélant même comme le continent de la résilience !
A ce cataclysme sanitaire annoncé, la Banque Mondiale pronostiquait en avril dernier un assèchement des transferts d’argent diasporiques (principale source de revenus pour les familles), de l’ordre de 23% pour l’Afrique subsaharienne et 20% en Afrique du Nord. Non seulement, les flux n’ont pas chuté lourdement comme le prévoyait la Banque mondiale, mais dans certains pays, ils tendent à stagner (Sénégal, Mali…) voire à augmenter (Tunisie, Egypte, Comores, Cap-vert, Maroc, Kenya…)
La Banque Mondiale réajuste…et se fait aussitôt démentir !
Face à ces réalités cinglantes, les experts de Washington ont été contraints de réajuster à fin octobre leurs prévisions à l’optimisme, avec des baisses nettement plus modérées : 9% (contre 23%) en Afrique subsaharienne et 8% (contre 20%) pour l’Afrique du nord. Des données à peine publiées et aussitôt remises en cause par les communications financières de banquiers centraux des grands et petits pays pays africains récipiendaires. Ainsi, Bank Al Maghrib au Maroc (3 ème rang africain et 2ème rang en zone MENA en termes de transferts d’argent) enregistre publiquement à début novembre, une hausse de 2,2% des transferts des MRE (Marocains à l’étranger) sur les 9 premiers mois de l’année.
Mieux, la «CBE», Banque centrale d’Egypte (2 ème rang africain et 1er en zone MENA) via la voix de son Gouverneur, Tarek Amer, vient de saluer une année historique culminant à 27,8 milliards de dollars soit 10,4%. Plus à l’ouest en Tunisie, l’augmentation de 8,6% des transferts de la diaspora sur les dix premiers de l’année telle qu’annoncée par la Banque Centrale de Tunisie, a déclenché une vague de reconnaissance inédite envers la diaspora. Mêmes tendances observées au Kenya, Comores, Cap Vert… Alors qui croire entre les prévisions alarmistes des experts cosmopolites de la Banque Mondiale ou les retours des grands acteurs nationaux, gardiens des flux et observateurs privilégiés ? Dans tous les cas, le doute et ces cafouillages ne profitent ni aux pays, aux diasporas et encore moins à la Banque Mondiale dont on a du mal à comprendre comment des experts aussi nombreux et outillés se trompent dans des proportions aussi importantes dans une période aussi courte !
D’où la nécessité de mieux comprendre la subjectivité des diasporas
Est-ce que les modèles statistiques responsables intègrent toutes les variables et ressorts déterminants des dynamiques diasporiques ? Ont-ils par exemple intégrés que les millions de visiteurs issus des diasporas qui ont été empêchés de se rendre cet été «au pays» à cause du COVID et en conséquence n’ont pas pu remettre d’argent cash de mains en mains à leurs familles, se sont certainement « repliés » sur les canaux de transferts formels…Il faut rappeler que ces sommes importantes importées physiquement « au pays » par les diasporas pour les vacances (et pour une partie remise sous forme de dons à leurs familles : aides pour l’Aïd, préparation des rentrées scolaires..) sont comptabilisées habituellement par les offices des changes en recettes touristiqueset non pas comme transferts…Donc fort à parier que la hausse ou baisse modérée des transferts formels annoncés par certains pays africains soient en réalité l’effet mécanique d’une baisse au moins équivalente des recettes touristiques…
Ce phénomène est d’autant plus perceptible dans les pays africains (Comores, Maroc, Tunisie, Egypte…) où les diasporas rentrent habituellement en masse l’été et n’ont pu le faire cette année pour cause de Covid.. Autre ressort plausible, si les transferts formels se portent bien ou moins mal que prévu, n’est-ce pas la conséquence de l’effet inclusif de la fermeture des frontières sur une partie de l’informel ? On connait tous en Afrique la portée des «mules», ces amis, proches ou voisins du même quartier ou village qui rapatrient physiquement des fonds pour le compte d’autrui, au gré de leurs visites régulières au pays. Avec des déplacements internationaux devenus compliqués voire entravés et surtout face à l’urgence sociale, certains «mandataires» ont certainement migré vers les canaux formels…
Quoiqu’il en soit ces deux hypothèses avancées font émerger, à l’aube d’un nouveau «diaspora round» visant à mieux engager les diasporas pour le développement en Afrique, le postulat stratégique de connaitre plus finement les diasporas, de circonscrire davantage leurs flux financiers et autres apports réels (transferts, recettes touristiques…) en renforçant notamment les modèles de statistiques publiques, nationaux et internationaux…
Samir Bouzidi, Ethnomarketer & expert international en mobilisation des diasporas africaines. Entrepreneur engagé – fondateur de la startup solidaire “Impact Diaspora”.