Amadou Toumani Touré vient de tirer sa révérence à 72 ans, à Istanbul, sur les rives du Bosphore. L’ancien président malien avait subi une intervention cardiaque à Bamako avant d’être évacué en Turquie. Natif de Mopti, ce militaire s’était révélé à la nation malienne et à l’Afrique tout entière, en mars 1991, en renversant le président Moussa Traoré, mort il y a deux mois, au terme d’un soulèvement populaire.
A la tête du Comité de transition pour le Salut du peuple, ATT organise la conférence nationale souveraine, du 29 juillet au 12 août 1991, suivie des législatives et des présidentielles en 1992. Le Mali démocratique venait alors d’inaugurer le printemps africain, par des vents d’harmattan qui vont se répandre progressivement au Bénin, au Togo, en RDC, au Congo, au Gabon, dans un mouvement inédit qui rassemble au futur printemps arabe de la période 2010-2013.
Le Mali du début des années 90 semblait bien parti avec un président Alpha Omar Konaré, démocratiquement élu, et un peuple soudé autour de l’idéal républicain. Le président ATT reviendra plus tard, tronquant l’uniforme pour le boubou sahélien, pour se faire élire président du Mali de 2002 en mars 2012 dans ce qui constitue l’un des rares intervalles de prospérité du pays depuis Mansa Moussa. Durant cette décennie, les échangeurs sortirent de terre et les routes sont construites alors qu’un rayonnement culturel du Mandé retrouvé attirait les intellectuels et les artistes du monde entier. Mais le dernier dernier mandat de ATT a été interrompu brutalement à 45 jours de son terme par la soldatestque alors qu’une énième rébellion touarègue grossie par les alliances opportunistes entre les réseaux de trafic de drogue et les islamistes, progressait à grande allure vers Bamako.
Que retenir d’Amadou Toumani Touré ? Le soldat de la démocratie ou le président modéré, adepte de l’arbre à palabres, qui a scellé l’Accord d’Alger1 qui voit une grande partie de son territoire démilitarisée et livrée aux milices ? L’allié inconditionnel de Kadhafi qui n’a pas fait une lecture fine des conséquences de la chute de son mentor financier qui recrutait les forces vives des maliens du Nord ? Le sage chef africain qui connaît le rapport de force réel entre son Nord rebelle et le pays légal ?
En tout cas, une fois la Libye éclatée par la coalition France, Grande Bretagne et USA, au nom d’une résolution onusienne portant sur la protection de Benghazi, les « mercenaires » maliens reviendront au bercail, en masse, –, avec armes et bagages et seront accueillis à bras ouverts par le président Touré et le Mali entier. Erreur fatale ?
En fait, ATT incarnait une certaine idée du pays à l’africaine, une république des villages et des tribus, cimentée par le compromis et la kola. Le Mali est justement un pays à plusieurs visages dont la faiblesse réside dans une contradiction permanente entre sa mosaïque de peuplades du désert et de la savane et, de l’autre côté, un Etat jacobin, centralisé et peu adepte de la bonne gouvernance, réduit à une capitale.
Depuis Dakar où il s’était exilé après le coup d’Etat qui l’avait renversé, le président ATT a vu son successeur, Ibrahima Boubacar Keita, féru de luxe, faire face aux mêmes réalités accentuées par une bamboula sans nom. Une fois rentré au Mali, le soldat de la démocratie a pu contempler de près la rouille de l’édifice démocratique malien. De la même manière qu’il avait renversé Moussa Traoré en mars 1991, une nouvelle junte est venue embastiller IBK dans un mouvement de protestations populaires mues par les mêmes revendications que celles d’il y a trente ans. ATT meurt alors que le Mali s’est engouffré dans une énième transition, un éternel recommencement, un film sans fin, financé par les bailleurs de fonds et les bonnes volontés.