La participation chinoise au plan du G20 d’allègement du service de la dette pour les pays fragiles est cruciale pour les efforts multilatéraux, au risque d’un surendettement à moyen terme pour les bénéficiaires dont la Chine est le principal créancier.
Selon Scope Ratings, l’initiative de suspension du service de la dette (ISSD) – dont les gouvernements africains représentent 38 des 73 pays éligibles dans le monde – offre une marge de manœuvre budgétaire supplémentaire à court terme aux 29 gouvernements africains qui y participent mais peut aussi accentuer le problème de surendettement à moyen terme en augmentant les paiements d’intérêts futurs pour certains des souverains les plus vulnérables au monde.
«Il est essentiel de peaufiner l’ISSD et le récent « cadre commun pour le traitement de la dette au-delà de l’ISSD » pour éviter des crises futures », explique Dennis Shen, directeur au sein de l’équipe sovereign and public sector de Scope. «Un mécanisme formel a été nécessaire pour déterminer si les pays africains font face à seulement une crise de liquidité ou à un problème de solvabilité sous-jacent, étant donné que la moitié des souverains d’Afrique subsaharienne étaient menacés ou en situation de surendettement au début de l’année », déclare M. Shen.
«Nous pensons qu’un cadre, que nous appelons « ISSD +», est essentiel pour améliorer la transparence et la cohérence de la participation de la Chine au programme, garantissant l’équité de traitement entre les créanciers, avec une participation obligatoire du secteur privé, et, surtout, mettant en avant l’annulation de la dette comme une option pour traiter les crises de solvabilité », dit-il.
La Chine est le principal bailleur de fonds des infrastructures en Afrique. Entre 2000 et 2019, l’Empire du Milieu a prêté 148 milliards de dollars à 50 pays africains, contribuant à un quasi-doublement de la dette extérieure de la région, passée de 19% en 2008 à environ 34% du PIB 2018. Près d’un tiers du service de la dette extérieure souveraine de l’Afrique sur 2020-24 est redevable à la Chine ; son implication dans l’ISSD est donc cruciale. Avec la prolongation de l’SSI au-delà de 2020, Angola et Djibouti pourraient voir les économies sur le service de la dette liées aux prêts chinois dépasser 4.5% du PIB de 2019 en 2020-21. En outre, les économies potentielles liées à la participation à l’ISSD du Mozambique, de la République du Congo, du Kenya, de la Guinée et de la Zambie représenteraient plus de 1.5% du PIB.
«La suspension du service de la dette est une bonne solution pour certains pays comme le Burkina Faso, la République centrafricaine et la République Démocratique du Congo, dont l’endettement est faible et dont les préoccupations sur la viabilité de la dette sont limitées», déclare M. Shen. «La suspension du service de la dette pallie un manque de liquidités à court terme et dégage la marge de manœuvre budgétaire nécessaire», dit-il.
«Toutefois, pour des pays comme l’Angola, le Burundi ou le Ghana, une participation aux conditions actuelles de l’ISSD pourrait aggraver le problème de surdendettement à moyen terme». L’Angola, Djibouti et le Mozambique pourraient chacun voir leurs besoins en matière de service de la dette augmenter de plus de 1 % du PIB en moyenne par an entre 2022 et 2024, en raison de leur participation à l’ISSD selon les termes actuels du programme, du fait du report des paiements sur les années ultérieures sur des bases neutres en termes de valeur actualisée nette.
En octobre, les créanciers du Club de Paris se sont mis d’accord sur un «cadre commun pour le traitement de la dette au-delà de l’ISSD», approuvé lors d’une réunion extraordinaire des ministres des finances et des gouverneurs des banques centrales du G20 du 13 novembre. Bien que le cadre représente une étape positive, l’accent mis sur la réduction du service de la dette à court terme et, le cas échéant, sur la réduction de la dette sur la base de la VAN seulement risque de ne pas suffire. Les traitements de la dette ne seront généralement pas effectués sous la forme d’une annulation de la dette, sauf dans les cas les plus difficiles. « Le cadre commun est une extension positive des principes fondamentaux de l’ISSD, avec une ouverture vers des décotes de la VAN dans certains cas de risque de solvabilité. Néanmoins, le cadre commun du G20 exclut les décotes du principal, même dans ces cas, ce qui limite l’efficacité du programme pour les emprunteurs les plus vulnérables », déclare M. Shen.
« En outre, l’absence d’un mécanisme pour contraindre la participation équitable entre les groupes de créanciers, y compris le secteur privé, reste un point faible ». L’évolution de l’ISSD vers le cadre proposé ISSD+ pour le traitement de la dette, qui adopte des clauses d’action collective renforcées dans les émissions obligataires, exige la participation des créanciers du secteur privé, assure la cohérence dans l’adoption des mesures de soutien entre les créanciers, et rend possible une restructuration ambitieuse de la dette – et notamment une annulation de la dette si besoin – est nécessaire. Une telle architecture ISSD+ pourrait renforcer les profils de crédit pour les émetteurs africains après une restructuration plus complète de leur dette.
«Un cadre formel ISSD+ pour la restructuration de la dette souveraine pourrait se baser sur des analyses de viabilité de la dette pour déterminer si un problème de solvabilité existe », explique Thibault Vasse, analyste au sein de l’équipe sovereign and public sector de Scope. « Une réduction hypothétique de 25% du principal pour les seuls emprunteurs africains en difficulté financière pourrait permettre de réaliser des économies ciblées de près de 29 milliards de dollars, les économies les plus importantes provenant des prêts bilatéraux de la Chine (11 milliards de dollars). » « À cet égard, il est clair que tous les pays éligibles à l’ISSD ne pourraient ou ne devraient pas bénéficier d’une annulation de dette dans le cadre de l’ISSD+ », explique M. Vasse. « la forme et l’ampleur des annulations de dette pour un souverain présentant des risques de solvabilité sous-jacents doivent être adaptées à la situation de viabilité de la dette spécifique des emprunteurs ».