Recommandations pratiques dans l’espace OHADA
Par Eran Chvika, Avocat Associé, Pinsent Masons LLP, Dominique Nkoyok, Collaboratrice, Pinsent Masons LLP et Aurélien Charlois, Juriste, Pinsent Masons LLP.
L’ingénierie contractuelle en matière de PPP se déclinant sur des décennies, le principal enjeu dans l’élaboration de la documentation contractuelle est l’anticipation et la répartition des risques extérieurs et inhérents aux projets PPP et l’élaboration de mécanismes contractuels permettant de les endiguer. Bien souvent, les circonstances qui entourent l’exécution du projet évoluent et se pose alors la question de l’adaptation des stipulations contractuelles aux circonstances nouvelles.
Dans un contexte généralisé de repli de l’activité économique, de baisse des ressources budgétaires étatiques et d’instabilité financière pour les opérateurs privés en raison de la pandémie de Covid-19, cet article analyse, après un rappel du cadre contractuel des PPP, les impacts de la pandémie de Covid-19 sur ces contrats et envisage les mécanismes juridiques disponibles pour minimiser les effets de la crise et adapter les contrats PPP à leur nouvelle réalité économique. L’article se concentre également sur les mesures exceptionnelles qui pourraient être envisagées par les pouvoirs publics, les investisseurs et les prêteurs pour une gestion des conséquences de la crise sanitaire déclenchées par la pandémie.
PPP et répartition des risques
S’il n’existe pas de définition universellement admise du concept de partenariat public-privé, ce dernier recouvre en pratique les contrats par lesquels une entité publique confie à un opérateur privé la conception, la construction, le financement et l’exploitation d’infrastructures qui concourent à l’exercice de missions de service public. De manière générale, on distingue les PPP à paiement public où l’opérateur privé est rémunéré par l’entité publique, des PPP concessifs où l’opérateur se rémunère directement par les fruits d’exploitation.
La planification d’un PPP répond à des objectifs de politiques publiques (notamment dans les secteurs des transports, de la santé, de l’énergie, de l’eau ou de l’éducation), l’autorité publique effectue des choix de PPP par rapport à un programme d’investissement prédéterminé. Le PPP se caractérise par la répartition des risques et coûts d’investissement entre les parties, selon la nature du risque mais aussi en fonction de la capacité de chaque partie à les gérer au mieux et au meilleur coût, sans détruire l’équilibre économique du projet.
On distingue principalement le risque de construction et les risques commerciaux souvent assumés par l’opérateur privé et les risques politiques et législatifs supportés par l’entité publique. Les PPP étant des contrats à long terme, il est difficile d’identifier en amont les évènements susceptibles d’impacter leur exécution. Ainsi, la survenance d’une pandémie telle que la Covid- 19 pourrait nécessiter un réexamen des conditions contractuelles pour la poursuite du projet.
L’impact de la Covid-19 sur les contrats de PPP
Comme l’avait identifié le Fond Monétaire International 1 , trois conséquences principales liées à la pandémie de Covid-19 affectent les PPP :
– des surcoûts opérationnels, qu’ils soient liés à la pénurie de main d’œuvre ou à la désinfection des équipements ou des sites de construction ;
– la perte de revenus pour les projets financés sur la base de la consommation des usagers, notamment dans les secteurs du transport et de l’énergie en raison d’une baisse significative de la demande ; et
– les retards opérationnels en phase de construction, tels que les retards de chantier ou la perturbation des chaînes d’approvisionnement.
Certains secteurs ont été sévèrement touchés par la pandémie et ceux du transport et de l’énergie tout particulièrement, où de nombreuses contraintes opérationnelles sont constatées 2 .
La capacité des parties à finaliser un projet PPP malgré la crise sanitaire va notamment dépendre des mécanismes juridiques à leur disposition pour faire face aux conséquences imprévues, mais également des mesures exceptionnelles de soutien aux projets PPP qui peuvent être prises par les pouvoirs publics, les prêteurs ou les investisseurs.
1. Les mécanismes juridiques applicables en période de Covid-19
1.1. Les prérogatives de puissance publique pour motif d’intérêt général
La protection de l’intérêt général confère à l’autorité publique des prérogatives de puissance publique qui peuvent s’avérer utiles dans un contexte de crise sanitaire. La plupart des régimes juridiques consacrent par exemple le droit de modification unilatérale de l’autorité publique, même lorsqu’aucune stipulation contractuelle ne le prévoit. Ce pouvoir ne peut toutefois être exercé que pour un motif d’intérêt général et ne peut modifier substantiellement le contrat initial.
Parallèlement, l’opérateur privé se voit reconnaitre un droit au maintien de l’équilibre financier et doit être indemnisé pour le surcoût éventuel supporté. Généralement, l’autorité publique bénéficie également d’un droit de résiliation unilatérale pour motif d’intérêt général, moyennant une juste compensation financière pour l’opérateur privé. L’abandon d’un projet, notamment en raison de difficultés techniques d’exécution ou de difficultés financières insurmontables, pourrait constituer un motif d’intérêt général justifiant la résiliation unilatérale du contrat. Cette prérogative reste néanmoins à appréhender avec prudence. Les conditions légales de sa mise en œuvre devront toutes être remplies et les conditions de résiliation scrupuleusement respectées afin d’éviter tout contentieux. Il appartient à chaque autorité publique de consulter la loi PPP applicable, qui fixe souvent une liste exhaustive des cas de résiliation des contrats PPP.
1.2. Le fait du prince: motif de résiliation unilatérale du contrat par l’opérateur privé
Les lois PPP prévoient généralement une série de motifs de résiliation unilatérale du contrat par l’opérateur privé, parmi lesquels peut figurer le fait du prince. C’est le cas par exemple de la loi PPP n°2016‐24 du 11 octobre 2016 au Bénin, ou encore de la loi PPP n°2014- 09 du 20 février 2014 au Sénégal. Le fait du prince est généralement défini comme une décision de l’autorité publique qui a pour effet d’amender, pour le cocontractant, les conditions d’exécution du contrat et d’en modifier l’équilibre financier.
Ainsi, les mesures d’urgence ou de restrictions prises dans le cadre de la pandémie de Covid-19 par l’autorité publique contractante, qui aboutiraient à une augmentation des coûts d’exécution des prestations contractuelles ou empêcheraient l’exécution du contrat, pourraient être qualifiées de fait du prince et fonder la résiliation unilatérale du contrat par l’opérateur privé. Dans les cas où la loi PPP ne prévoit pas de possibilité de résiliation unilatérale par l’opérateur privé, c’est le cas par exemple de la loi n°2017‐32 du 4 juillet 2017 en Guinée ou du Décret n°2018-358 du 29 mars 2018 relatif aux règles applicables aux contrats de partenariats public- privé en Côte d’Ivoire, l’opérateur privé pourra s’appuyer sur les stipulations contractuelles relatives à la force majeure ou à l’imprévision le cas échéant, ou tenter de négocier une adaptation du contrat.
1.3. Force majeure et théorie de l’imprévision dans le cadre de la pandémie de Covid-19
1.3.1. La force majeure
La force majeure fait l’objet d’intenses discussions en cette période de crise sanitaire. Généralement définie comme un évènement extérieur, imprévisible et insurmontable, qui empêche l’exécution du contrat, les critères de qualification de la force majeure donnent lieu à une appréciation au cas par cas. La qualification de la pandémie de Covid-19 comme cas de force majeure a fait débat, d’autant qu’en France par exemple, cette qualification n’avait pas été retenue concernant l’épidémie d’EBOLA 3 ou la grippe H1N1 4 , au motif que l’on pouvait en prévoir la survenance et les effets, et dans certains cas, faute de pouvoir prouver un lien direct de causalité entre la survenance de l’épidémie et l’incapacité du contractant à remplir ses obligations contractuelles.
La situation semble toutefois différente pour la Covid-19, compte tenu de sa gravité et de son ampleur. En France, l’Etat a qualifié la Covid-19 de cas de force majeure pour les contrats conclus dans le cadre de la commande publique. Les tribunaux ont également eu l’occasion de se prononcer sur cette question, notamment à l’occasion d’un contentieux privé, opposant la société EDF à la société Total concernant un contrat-cadre de cession annuelle d’électricité.
La Cour d’Appel de Paris 5 a ainsi pu considérer la Covid-19 comme un « évènement extérieur, irrésistible et imprévisible rendant impossible l’exécution des obligations des parties dans des conditions économiques raisonnables » permettant ainsi l’activation de la clause conventionnelle de force majeure que les parties avaient prévue. Les conséquences de la qualification de force majeure ne sont pas négligeables puisque si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation sera suspendue, et l’opérateur privé ne sera redevable d’aucune pénalité. S’il s’avère que le cas de force majeure entraine une impossibilité définitive de poursuivre l’exécution du contrat, ce dernier sera résilié de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations, là encore sans aucune pénalité.
1.3.2. L’imprévision
De manière générale, l’imprévision se caractérise lorsqu’un changement de circonstances, imprévisible lors de la conclusion du contrat, rend l’exécution du contrat excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque. Les contrats PPP prévoient généralement une clause d’imprévision, aux termes de laquelle la partie qui subit l’imprévision peut bénéficier d’une compensation financière permettant de rétablir l’équilibre économique du contrat, et/ou d’aménagements contractuels plus favorables. Cette clause très répandue, s’avère d’une importance particulière pour l’opérateur privé, surtout dans les juridictions où la révision pour imprévision n’est pas consacrée par la loi ou la jurisprudence.
Le droit OHADA semble s’orienter vers l’admission de la révision pour imprévision, puisque celle-ci est consacrée dans le projet d’Acte Uniforme relatif à l’harmonisation du Droit des Obligations dans l’OHADA du 15 avril 2015 6 . L’article 162 du texte prévoit en effet qu’en cas de bouleversement de circonstances, la partie lésée peut demander la renégociation du contrat. Faute d’accord amiable entre les parties, le juge se voit conférer le pouvoir d’adapter le contrat ou d’y mettre fin si les circonstances l’exigent. Bien que la préparation de ce projet semble avoir été mise en suspens, l’intégration de l’imprévision en droit OHADA serait une avancée majeure pour les opérateurs privés qui, pour l’heure, faute d’avoir pu négocier l’insertion d’une clause d’imprévision dans leur contrat, n’ont pour seule alternative que de tenter de négocier une adaptation du contrat.
1.3.3. Négociation d’une adaptation du contrat PPP
Dans tous les cas, sous réserves de ne pas contrevenir aux dispositions d’ordre public, les parties peuvent réfléchir de concert à l’adaptation des stipulations contractuelles à la réalité économique bouleversée par la pandémie de Covid-19 pour permettre la poursuite du projet. L’allongement des délais contractuels et la non-application des pénalités de retards, l’allocation d’avances, de compensations financières ou encore une prise en charge commune des surcoûts sont des solutions envisageables. Ces mesures exceptionnelles de soutien aux projets PPP soit s’appliqueront jusqu’à la sortie de crise, soit donneront lieu à une véritable renégociation du contrat, selon qu’elles en modifient temporairement ou définitivement les conditions d’exécution.
2-Les mesures exceptionnelles de soutien aux projets PPP en période de Covid-19
2.1. Mesures exceptionnelles à court-terme
Pour faire face à la crise sanitaire, les pouvoirs publics, les autorités publiques parties aux contrats PPP mais aussi les prêteurs et les investisseurs sont amenés à prendre des mesures exceptionnelles pour soutenir les opérateurs privés et minimiser l’impact de la pandémie de Covid-19 sur leur activité et sur les projets en cours.
2.1.1. Adaptation des contrats PPP pour la durée de la pandémie de Covid-19
Parmi les mesures envisageables sur le plan contractuel, l’entité publique contractante pourrait consentir au bénéfice de l’opérateur privé, notamment une réduction de la cadence d’exécution ou un allongement des délais contractuels. De même, l’inapplication des pénalités de retard pourrait être envisagée, ainsi que le versement d’avances assorties par exemple d’une garantie à première demande qui en sécuriserait le remboursement.
De même, l’entité publique serait avertie de ne pas sanctionner par une résiliation les inexécutions contractuelles dues à la crise actuelle et de n’y recourir qu’en dernier recours. Si le contrat ne contient pas de clause de force majeure ou d’imprévision, les parties peuvent décider d’introduire ces clauses dans leur contrat et déterminer ensemble leur régime juridique, à savoir les conditions de mise en œuvre et les conséquences associées tant pour chaque partie, que pour le projet.
2.1.2. Mesures de soutien financier
La crise de la Covid-19 a ainsi rendu nécessaire une mise à jour des modalités de financement des projets PPP. En effet, il est probable que les ratios financiers soient devenus insatisfaisants, que l’étude de faisabilité soit à refaire ou que les entreprises accusent une baisse significative de leurs trésoreries. Dans ces cas, les projets PPP pourraient bénéficier d’une renégociation des engagements financiers des emprunteurs, des ratios, d’une demande de waiver ou d’un refinancement aux prêteurs, ou même d’un délai de grâce pour le remboursement des échéances. Les mesures appliquées dans les pays de l’espace OHADA pour soutenir le secteur privé pendant la crise de Covid-19 sont nombreuses.
Au niveau régional, la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) a demandé début avril 2020, aux établissements de crédit de l’UEMOA d’accorder des reports d’échéances sur les prêts des entreprises affectées par la pandémie, pendant 3 mois, renouvelables une fois sans charge d’intérêts, frais ou pénalité de retard 7. La BCEAO a également doublé les liquidités accordées de façon hebdomadaire aux banques pour appuyer l’économie et accroître les capacités de prêts aux acteurs économiques.
En Afrique centrale, la Banque des États de l’Afrique Centrale (BEAC), a doublé les liquidités accordées hebdomadairement aux établissements financiers pour appuyer l’économie et accroître les capacités de prêts aux entreprises. Elle a également octroyé à la banque de développement (BDEAC) 90 milliards de FCFA pour participer à cet effort contre la pandémie. Ces sommes ont notamment permis à cette dernière d’appuyer directement les programmes mis en place par les Etats membres pour faire face à la pandémie de Covid-19.
2.1.3. Mesures de restructurations financières et soutien des prêteurs
Du côté des investisseurs, la restructuration financière de la société de projet sera sans doute à envisager, par exemple par de nouveaux apports en capital des actionnaires. Pourra également être envisagé le regroupement des prêts et crédits en cours pour en renégocier la durée et le taux. Cette restructuration pourra, par ailleurs, avoir pour ambition la mobilisation des créances du débiteur afin de disposer le plus rapidement possible de liquidités. Une autre approche pourrait être, sous certaines conditions, de solliciter les établissements bancaires pour la transformation de leurs dettes en obligations, qui pourront in fine être converties en actions.
Ce mécanisme ferait peser un risque plus important sur les prêteurs, mais ces derniers seraient mieux rémunérés si le cours de l’action devenait supérieur au taux fixé dans le contrat d’émission obligataire. Il faut noter enfin, que les emprunteurs en difficulté pourraient envisager une procédure de conciliation. Instituée par l’Acte Uniforme portant Organisation des Procédures collectives d’Apurement du Passif révisé le 10 septembre 2015, cette procédure permet au débiteur faisant face à des difficultés financières, de négocier avec ses créanciers des mesures préventives visant à éviter la cessation des paiements et permettre la restructuration financière de l’entreprise qui peut s’avérer d’une grande utilité pour les opérateurs privés en période de pandémie.
Les solutions sont diverses, mais il appartient aux investisseurs comme aux prêteurs de prendre part aux mesures envisagées pour soutenir les opérateurs privés dans le cadre de la crise sanitaire actuelle.
3-Perspectives à long terme
L’épidémie actuelle fait ressurgir le débat sur la nécessité d’un cadre réglementaire harmonisé en matière de PPP dans l’espace OHADA, qui s’inscrirait dans le processus d’harmonisation du droit des investissements toujours en cours. Les avantages seraient nombreux dans cet espace économique où les estimations annuelles des besoins de financement en matière d’infrastructures varient entre 130 à 170 milliards de dollars selon la Banque Africaine de Développement 8.
Si l’UEMOA envisage déjà l’adoption d’une directive dédiée à l’élaboration d’une stratégie d’encadrement des PPP, qui devrait proposer un modèle de référence pour ses Etats membres ou en tout cas suggérer des lignes directrices, l’uniformisation à l’échelle de l’espace OHADA semble plus appropriée. L’uniformisation du cadre juridique des PPP à l’échelle de l’OHADA serait un atout, les investisseurs ayant besoin de règles juridiques adaptées, efficaces et stables pour garantir leur sécurité juridique et le droit de l’OHADA matérialise cette exigence.
Par ailleurs, les contrats PPP se caractérisent par la multiplicité des risques et les Etats de l’espace OHADA bénéficieraient du travail commun d’harmonisation qui permettrait par une vision globale des risques et la recherche commune de solutions et modèles adaptés, de renforcer la sécurité juridique des projets envisagés. Enfin, cette harmonisation démontrerait une volonté commune des Etats de l’espace OHADA de développer les PPP dans la région, et cela apporterait dynamisme et visibilité internationale à un secteur qui à ce jour doit encore faire ses preuves.
Notes