Par Khalid Cherkaoui Semmouni, Professeur en Droit constitutionnel et Sciences politiques.
Le Parlement est un acteur essentiel dans le processus budgétaire et dans la définition des politiques publiques, car les parlementaires remontent les préférences des citoyens, adoptent les lois qui régissent la société et procèdent au contrôle de l’action du gouvernement.
Ce principe fondamental a été concrétisé par l’article 14 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1946, qui stipule que «tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi […] ». C’est une mission essentielle et nécessaire pour le Parlement de voter le budget (il autorise les recettes et les dépenses ) et d’en contrôler la bonne exécution. Quant au gouvernement, il a pour mission d’exécuter les lois de finances, et la Cour des comptes, elle, vérifie la conformité de cette exécution à la réglementation en vigueur (reddition des comptes).
Ce contrôle, qui s’exerce au Maroc, en cours d’exécution du budget et a posteriori, lors du vote de la loi de règlement, a été renforcé en 2015 par les dispositions de la nouvelle loi organique n° 130-13 relative à la loi de finances1 ( La LOLF) . A savoir que les pouvoirs de contrôle du Parlement sont confiés, pour l’essentiel, aux membres des commissions des finances des deux assemblées (Chambre des Représentants et Chambres des Conseillers).
Rappelons que cette nouvelle loi traduit la volonté de l’Etat d’apporter de profondes réformes et s’inscrit dans un contexte international marqué par l’engagement de différents pays dans la réforme de leurs finances publiques et leur orientation vers une logique axée sur les résultats. Aussi, parmi les objectifs fixés, il y a l’harmonisation de la loi des finances avec les dispositions de la nouvelle constitution marocaine de 2011, les standards internationaux en matière de gestion des finances publiques et aussi la mise en place d’un cadre législatif et réglementaire d’ordre financier capable d’accompagner le processus de réformes politiques et économiques engagé par le Maroc.
La constitution marocaine dote le parlement des outils de contrôle que l’on retrouve dans les lois fondamentales des pays les plus démocratiques, et qui vont des questions orales jusqu’aux commissions d’enquête. Mais l’action gouvernementale n’est jamais évaluée a posteriori par rapport à son efficacité, à sa pertinence et son utilité. A ce titre , la nouvelle attribution introduite par l’article 70 de la constitution de 2011 en faveur du parlement qui désormais «évalue les politiques»,représente le franchissement d’une étape importante sur le chemin de la constitution démocratique2.
Il est ainsi possible de reformuler l’interrogation qui est la suivante: dans quelle mesure la mise en œuvre de la LOLF a-t-elle contribué à améliorer les mécanismes juridiques et financiers propres à assurer un contrôle optimal de la meilleure gestion possible des finances publiques ? C’est ce que nous essayerons à répondre suivant les points suivants :
- L’enrichissement des informations communiquées par le gouvernement ;
- Le réaménagement du calendrier de la préparation et du vote des lois de finances ;
- la production des rapports de performance ;
- Le renforcement du contrôle budgétaire à travers la loi de règlement.
1- L’enrichissement des informations communiquées par le gouvernement :
Le parlement devient le centre de la vie politique du pays , car c’est lui qui autorise les recettes et les dépenses de l’Etat.
En effet, l’exercice du contrôle sur les finances publiques s’exprime d’abord par l’information des parlementaires. En effet, la nouvelle LOF renforce le rôle du parlement en matière de contrôle et de suivi de la gestion des deniers publics dans le débat budgétaire en introduisant une phase de concertation et d’information du parlement en amont de la préparation du projet de loi de finances. Le Ministre chargé des finances expose aux commissions des finances du Parlement, avant le 31 juillet, le cadre général de préparation de la loi de finances de l’année suivante. Cet exposé comporte3 :
a- L’évolution de l’économie nationale ;
b- L’état d’avancement de l’exécution de la loi de finances en cours à la date du 30 juin ;
c- Les données relatives à la politique économique et financière ;
d- La programmation budgétaire triennale globale.
Cette disposition va consolider le droit des parlementaires à l’information au sujet de la gestion des finances publiques et renforcer leurs attributions en matière de contrôle de l’action du gouvernement.
Par ailleurs , la nouvelle loi organique a associé le parlement dès les premières étapes de la préparation du texte. Les parlementaires devront également recevoir plus d’informations, à travers l’introduction de 14 nouveaux rapports et 2 annexes aux documents accompagnant le projet de loi de finances4.
Aussi, les commissions parlementaires chargées de finances sont préalablement informées , en cas lorsque le gouvernement décidera de créer des comptes spéciaux du Trésor en cas d’urgence et de nécessité impérieuse et imprévue conformément à l’article 70 de la constitution5. De plus, le projet de performance élaboré par le département ministériel ou l’institution concernée est présenté à la commission parlementaire concernée, en accompagnement du projet du budget dudit département ministériel ou institution6. Sans oublier que la programmation pluriannuelle des départements ministériels , ainsi que celle et établissements et entreprises publics bénéficiant des ressources ou de subventions de l’Etat, est présentée, pour information, aux commissions parlementaires concernées en accompagnement des projets de budgets desdits départements ministériels ou institutions7.
Le rôle des commissions parlementaires devrait être pertinent et efficace en matière de contrôle financier, en relevant les erreurs et les défaillances budgétaires, et en présentant les observations nécessaires. Ce rôle ne pourra être accompli que par l’expertise des parlementaires ayant des connaissances dans le domaine financier.
Dans ce cadre , le Professeur Robert Hertzog a écrit : « la fourniture d’une masse de documents à l’appui du projet de loi de finances n’est pas, par elle-même, garante de l’exercice d’un contrôle, car l’essentiel n’est pas ce qui se dit ou s’écrit, mais ce que l’on fait des observations »8.
Dans un souci d’atténuer la prédominance de l’exécutif en matière budgétaire, la constitution de 2011 a introduit quelques changements, dont la mise en œuvre a été opérée par le biais de la nouvelle Loi organique des finances (LOF). Pour permettre au parlement de disposer des informations nécessaires à l’examen du budget, le projet de loi de finances est accompagné de onze documents parmi lesquels on peut citer le rapport sur les dépenses fiscales, le rapport sur la dette publique et la note sur la répartition régionale de l’investissement.
Dans le même cadre, la constitution prévoit, dans le but de permettre au parlement d’exercer son contrôle budgétaire, que le projet de la loi de règlement doit être présenté au plus tard à la fin du premier trimestre du deuxième exercice qui suit celui de l’exécution de la loi de finances concernée. A signaler, que les projets de lois de règlement ont toujours été soumis au parlement avec beaucoup de retard, ce qui explique que les parlementaires leur réservaient peu d’intérêt.
2– Le réaménagement du calendrier de la préparation et du vote des lois de finances
Le calendrier d’examen du projet de loi de Finances est également amendé. La procédure devra s’articuler autour de deux phases. La première portera sur la préparation d’un cadre de programmation pluriannuelle de référence, dans lequel devra s’inscrire la loi de Finances. La deuxième portera sur les mécanismes de vote de cette loi.
La Chambre des représentants se prononce sur le projet de loi de finances de l’année dans un délai de trente (30) jours suivant la date de son dépôt9.
Dés le vote du projet ou l’expiration du délai de 30 jours , le Gouvernement saisit la chambre des conseillers du texte adopté ou du texte qu’il a initialement présenté, modifié, le cas échéant, par les amendements votés par la chambre des représentants et accepté par lui10.
La chambre des conseillers se prononce sur le projet dans un délai de vingt deux (22) jours suivant sa saisine11.
La chambre des représentants examine les amendements votés par la chambre des conseillers et adopte en dernier ressort le projet de loi de finances dans un délai n’excédant pas six (6) jours12.
Il est à signaler que le vote du budget de l’Etat par le parlement est un moment fort de la vie politique. Chaque année, l’examen et le vote de la loi de finances retiennent l’attention des partis politiques, des syndicats, des académiciens , des journalistes et de la société civile.
Mais , ce role est confronté à des difficultés du fait de la prédominance du gouvernement . A savoir que la majorité parlementaire soutient souvent les choix budgétaires du gouvernement, et par conséquent , elle est la seule de remettre en cause ses choix budgétaires.
En Outre, le pouvoir des parlementaires connaît des limitations d’ordre constitutionnel , car la marge de manœuvre laissée au gouvernement est très large, puisqu’il peut opposer l’irrecevabilité à toute proposition ou amendement formulés par les membres du parlement lorsque leur adoption aurait pour conséquence, par rapport à la loi de finances, soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique.
3 – la production des rapports de performance :
La loi organique prévoit un dispositif de définition et de suivi de stratégie de l’action publique : pour chaque programme, un projet annuel de performance élaboré par le département ministériel ou l’institution concernée qui reflète les objectifs du programme , dont la réalisation est mesurée par des indicateurs. À l’issue de l’exercice, le rapport annuel de performance mentionne les résultats escomptés.
Les parlementaires sont désormais en mesure de vérifier la pertinence des objectifs du travail gouvernemental au regard de l’attente des citoyens, et de connaître les moyens affectés par les départements gouvernementaux aux politiques publiques qu’ils gèrent , et d’évaluer l’efficience et la qualité de leurs résultats .
A savoir que , le projet de performance est présenté à la commission parlementaire concernée, en accompagnement du projet du budget dudit département ministériel ou institution .
4 – Le renforcement du contrôle budgétaire à travers la loi de règlement
La loi de règlement constate, chaque fin d’année budgétaire, le montant définitif des recettes encaissées, des dépenses dont les ordonnances sont visées, se rapportant à une même année budgétaire, et arrête le compte de résultat de l’année. Elle approuve le compte de résultat de l’exercice de l’année concernée, établi à partir des recettes et dépenses constatées13.
La discussion du projet de loi de règlement est l’occasion pour le Parlement d’apprécier la portée des autorisations budgétaires face aux réalisations. A travers le vote de la loi de règlement et au-delà de l’aspect du contrôle budgétaire, le Parlement exerce aussi son pouvoir de contrôle politique.
Il s’agit d’un document à la fois juridique et comptable qui est soumis à l’approbation du Parlement qui constitue un instrument important mis à la disposition des parlementaires pour leur donner une idée précise sur les conditions d’exécution de la loi de finances qu’ils ont voté auparavant14.
Conformément aux dispositions de l’article 76 de la constitution de l’année 2011 et l’article 65 de la loi organique le projet de loi de règlement de la loi de finances doit être déposé annuellement, en priorité , sur le bureau de la chambre des représentants, au plus tard , à la fin du premier trimestre du deuxième exercice qui suit celui de l’exécution de la loi des finances concernée.
Les documents détaillés produits à l’appui du projet de loi de règlement15, et notamment le rapport de la Cour des comptes, sont autant d’informations qui sont mises à la disposition du Parlement pour une meilleure appréciation des chiffres présentés par le projet de loi de règlement.
Cependant, force est de constater que ce mécanisme de contrôle pourra fournir la possibilité aux parlementaires de questionner le gouvernement sur les réalisations, de leurs départements ministériels ou institutions, des objectifs tracés par les différents programmes , ainsi que les multiples problématiques qui sont soulevées dans le rapport de la Cour des comptes sur l’exécution de la loi de finances.
Conclusion :
La nouvelle loi organique relative à la loi de finances instaure les édifices d’une réforme budgétaire d’envergure, qui vise l’amélioration de l’efficacité de la dépense publique et de la performance des services de l’État. Au-delà, elle vise également à renforcer le rôle financier du Parlement, qui bénéficiera , désormais , d’une meilleure transparence des politiques publiques et de pouvoirs de contrôle renforcés.
Alors, les finances de l’Etat passent actuellement par un véritable mode de contrôle parlementaire . Ce passage est un changement majeur qui implique le gouvernement et le parlement à se mobiliser pour réussir les enjeux et les modalités de ce contrôle renforcé par de la nouvelle loi organique des finances de l’année 2015 .
Sans oublier de signaler que les questions des parlementaires au Gouvernement, les missions d’information et les commissions d’enquête constituent également des outils de contrôle. Les missions d’information et les commissions d’enquête peuvent désormais être créées à l’initiative d’un groupe parlementaire, ce qui renforce les droits de l’opposition en matière de contrôle.
Références :
1. la loi organique relative aux lois de finances précise les modalités de préparation, de vote, d’exécution et de contrôle du budget de l’État et introduit une présentation du budget en missions, programmes et actions.
2. Cf. Abdelkrim Guiri, la réforme de la comptabilité de l’Etat au Maroc : Spécifités et enseignements de l’expérience, intervention présentée à l’Université de Paris I Panthéon-Sorbone, 19 Février 2014.
3. article 47 al.1 de la loi organique des finances.
4. article 48 de la loi organique des finances.
5. article 26 al.3 de la loi organique des finances.
6. article 39 al.3 de la loi organique des finances .
7. article 47 al. 4 de la loi organique des finances .
8. Hertzog (R.), « Les pouvoirs financiers du Parlement », RD publ., n° 1-2, numéro spécial : La VIe République, 2002, p. 311.
9. article 49 al. 1 de loi organique des finances.
10. article 49 al. 2 de loi organique des finances.
11. article 49 al. 3 de loi organique des finances.
12. article 49 al.4 de loi organique des finances.
13. article 64 al. 1 et 2 de la loi organique des finances.
14. voir Abdellah SERHANE , Secrétaire Général de la Cour des comptes, Royaume du Maroc, Contrôle parlementaire et loi de règlement – Cas du Maroc -, intervention présentée à INTERNATIONAL SYMPOSIUM ,The Changing Role of Parliaments in the Budget Process: Expériences of PUIC Countries and EU Member States , 23-25 September 2010 , Afyonkarahisar, Turquie.
15. les documents sont cités dans l’ article 66 de la loi organique des finances.