Le secteur de l’Eco-construction et celui de l’architecture bioclimatique sont en pleine expansion. Il faut dire que les talents comme les lignes de crédits s’alignent pour faire prospérer un écosystème qui s’annonce potentiellement juteux sur un plan économique. En Afrique, les profils détonnent parfois dans le domaine de la construction/promotion immobilière écologique et économique et l’architecture bioclimatique. Guikoumé Messina peut paraître complètement atypique dans ce secteur très masculin, mais sa notoriété dépasse les frontières de la France, son pays natal.
La fleur du lotus pousse toujours dans la boue. Cette philosophie bouddhiste correspond bien à l’état d’esprit à Guikoume Messina, une fervente militante du développement durable en Afrique. En 2018, cette entrepreneure franco/camerounaise/burkinabé a créé Messibat International spécialisé dans la construction et la promotion immobilière de logements économiques et écologiques. Et pour comprendre d’où vient cette soif de réussite dans le secteur de l’immobilier durable et abordable, il faut remonter à l’enfance. « Mon père avait une très bonne position sociale au Cameroun en tant que haut cadre dans l’industrie pétrolière. Puis subitement, il a perdu son travail. Et du jour au lendemain, on a dû quitter la villa luxueuse en parpaings de ciment rempli de climatiseurs qu’on occupait, pour une maison en terre crue », indique-t-elle. Mais malgré la vétusté de ce logement, ajoute-t-elle, la climatisation était inutile car la terre est un matériau écologique, sain, permettant une économie dans les coûts de construction à hauteur de 30-40%.
Issue d’une fratrie de cinq enfants, Guikoume Messina puise son inspiration dans le caractère de sa grand -mère maternelle Messina dont elle est l’homonyme, et de sa mère. « Elle nous a élevé seule car mon père était souvent parti en mission à l’étranger. Elle est très résiliente, courageuse, travailleuse et nous encourageait à ne jamais baisser les bras face à l’adversité », décrit-elle fièrement.
Et c’est dans cette abnégation que l’une des lauréates et révélation 2020 du développement durable de Women In Africa Initiative a puisé son énergie pour faire face aux nombreux coups durs. Comme ce fût le cas lorsqu’elle avait acheté une machine de production d’une valeur de 15 millions de FCFA pour une construction écologique au Cameroun et que le chef de chantier a volé le matériel. « J’ai voulu abandonner. J’en avais ras-le-bol. Mais je me suis finalement remise en question pour éviter que ce genre de situation ne se reproduise à l’avenir », déclare-t-elle.
Car, il faut bien dire, cette grande bosseuse a vécu de nombreux soubresauts depuis la création de Messibat International il y a douze ans. « Je suis très heureuse quand je reçois des distinctions », assène-t-elle. Puis elle poursuit: « mais ce qui me fait plaisir davantage, c’est la satisfaction d’une famille à qui nous venons de construire son logement écologique et économique. Chaque Africain doit avoir un toit économique et écologique au-dessus de sa tête », dit-elle. Et de se questionner : « nous avons des matériaux locaux à profusion que nous pouvons utiliser dans nos bâtiments en Afrique, pourquoi utilisons-nous des matériaux importés et chers? ». Alors que le ciment est un matériau connu pour sa toxicité et non adapté à l’environnement africain.
Proposer des maisons écologiques, connectées et intelligentes sera donc l’un des défis majeurs du continent – répondant au passage à l’un des critères de développement durable établi par les Nations unies. En Afrique, le défi s’annonce immense pour cette entrepreneure quand on sait que d’ici 2050, il faudra bâtir des immeubles pour près de 2 milliards d’habitants. Les secteurs privés se mobilisent pour faire face à ce défi en tirant profit des dispositifs existants. Pour Guikoume Messibat, la mécanique est bien huilée. « Nos clients peuvent obtenir des ‘financements verts’ par le biais de la certification verte (Edge Buildings) », relève-t-elle.
Comme cela est le cas pour l’écoquartier de 50 villas en cours de lancement à Lomé. « Nous mettons un point d’honneur à illustrer de manière concrète que nos projets respectent bien les engagements environnementaux ». C’est l’agrément Edge Buildings, précieux sésame pour ce financement vert, qui est important d’obtenir. « Cela veut dire que la construction peut être à minima prise en charge par les bailleurs de fonds internationaux », glisse-t-elle.
En clair, Guikoume Messina et son équipe de trente salariés doivent alors construire et vendre de nouveaux bâtiments écologiques, connectés et intelligents qui respectent les normes environnementales en Afrique. Et il faut dire que ce cercle vertueux séduit autant les clients, les entreprises mais également les Etats. « Lorsqu’on arrive sur un nouveau marché, notre priorité est de faire un transfert de technologie en formant les jeunes et les femmes aux emplois verts », énonce-t-elle. En moyenne, la construction d’une maison écologique ne dépasse guère les 16 semaines si le climat est clément sauf pour les plus gros projets.
Soutenir « davantage les femmes entrepreneures »
Pour la lauréate du Prix développement durable 2020 de Women in Africa Initiative, son parcours doit aussi être le porte-étendard de celles qui galèrent à obtenir des financements. « Pour nous, les femmes, c’est beaucoup plus difficile et nous sommes moins accompagnées. Il faut que cela change. Je me rappelle qu’à mes débuts, je n’ai eu que très peu de soutiens financiers », clame-t-elle. Un sentiment qui est également corroboré par une récente étude réalisée par une célèbre société spécialisée dans les paiements. Selon cette dernière, près de 60% des femmes entrepreneures estimeraient qu’elles ne sont pas assez accompagnées pour le financement de leurs activités. Et c’est autant de femmes entrepreneures qui se sentent également fragilisées par la pandémie de Covid-19. Les nombreuses distinctions qui lui ont valu de nombreux échanges avec les médias lui servent aussi de locomotive pour porter un message clair. « Une femme entrepreneure est une grande contributrice pour l’émancipation des sociétés civiles en Afrique. A ce titre, je suis très fière de constater que le plus grand nombre d’entrepreneures dans le monde sont en Afrique avec le Ghana et l’Ouganda qui figurent aux premiers rangs », explique-t-elle.
Bien que Guikoumé Messina ne soit ni Ougandaise ou Ghanéenne, nul doute qu’elle fait bien partie de cette catégorie de femmes déterminées à agir…y compris dans des milieux largement représentés par la gente masculine.