Une contribution de Mr KOUASSI Kouamé, Ingénieur Statisticien Economiste, Ex-Directeur et Ex-Administrateur de la BCEAO.
La récente interview du président français Emmanuel Macron dans un hebdomadaire africain a suscité de nombreuses réactions en Afrique et en également en Europe. Ces réactions ont généralement dénoncé le cynisme d’Emmanuel Macron en matière de politique africaine de la France, et le caractère condescendant de certains de ses propos, qu’il présente comme un discours de vérité. Ces propos interpellent aussi sur la faiblesse de certaines argumentations. Je voudrais pour ma part, faire quelques commentaires sur certains points abordés par le président français, notamment la réforme du franc CFA, la restitution des œuvres d’art, le troisième mandat et le renouvellement générationnel des dirigeants.
1.La réforme du franc CFA
La réforme du franc CFA, proposée en décembre 2019 par les président Emmanuel Macron et son homologue ivoirien Alassane Ouattara, est présentée par la France avec un brin de fierté comme une réforme ambitieuse. Considérer le changement de dénomination, la suppression du compte d’opération et le retrait des représentants français comme ambitieux signifie qu’Emmanuel Macron et la France ont une piètre idée de l’ambition des pays africains et de leurs populations.
2. La restitution des œuvres d’art
La question de la restitution des œuvres d’art aux pays africains est encore une fois symptomatique de l’attitude de la France. C’est elle qui doit décider ce qui est bien pour les pays africains. Dans un processus normal, ce sont les pays africains eux-mêmes qui doivent établir la situation de leurs œuvres d’art pillées et volées durant la période coloniale, et même après, et définir la liste des objets devant être restitués. Ce n’est pas la restitution d’un objet par-ci ou par-là qui va être considérée par les populations africaines comme une opération de restitution de leurs œuvres d’art pillées et volées. Ce qui a été fait par Emmanuel Macron et la France concernant la réforme du franc CFA et la restitution des œuvres d’art est de l’ordre du symbolique et d’une opération de communication, rien d’autre.
3-Le troisième mandat
Sur la question du troisième mandat, l’argumentation d’Emmanuel Macron et de la France peut être résumée ainsi. Deux personnes se présentent à un examen et se mettent à tricher, enfreignant les règles interdisant toute pratique de tricherie. Ces deux personnes sont prises sur le fait, l’une avec des écrits qu’elle avait déjà préparés, et l’autre avec la copie de son voisin qu’elle était en train de recopier. Les deux personnes déclarent qu’elles n’avaient pas l’intention de tricher en venant à l’examen. Le président français et les autres dirigeants français considèrent que la situation de la première personne est plus grave, car elle avait l’intention de tricher en allant passer l’examen, et que la seconde personne est sincère et qu’elle n’avait pas l’intention de tricher quant elle s’est présentée à l’examen. Ils ignorent ainsi la gravité du délit commis par les deux personnes et se livrent plutôt à des développements sur leur supposée sincérité ou non.
Les dirigeants français ignorent intentionnellement la violation de la constitution par Alassane Ouattara et Alpha Condé, et s’attachent plutôt à disculper l’un ou l’autre selon les circonstances dans lesquelles ladite violation a été opérée. Une si faible argumentation de la part d’une si haute autorité sur un sujet aussi grave laisse pantois, sauf à considérer que la défense des intérêts français commande cela ou que certains dirigeants y trouvent leur compte personnel.
4-Le renouvellement générationnel des dirigeants
L’appel du président français Emmanuel Macron à un renouvellement générationnel des dirigeants sonne comme la priorité et la solution pour les pays africains. La France et les populations africaines ne partagent pas les mêmes priorités du continent. Il faut avoir à l’esprit que cela fait partie de la stratégie des grandes puissances pour détourner les pays africains des bonnes décisions et de la voie menant réellement au développement, comme l’ont fait les pays d’Asie.
La priorité pour les pays africains ne se situe pas dans un renouvellement générationnel de la classe politique comme veut le faire croire Emmanuel Macron. Leur priorité c’est non seulement l’instauration d’une vraie démocratie dans laquelle règnent l’Etat de droit, le respect de la constitution et la bonne gouvernance, mais c’est aussi la fin de cette françafrique dans laquelle sont enveloppées toutes les politiques et toutes les actions des pays africains dits francophones.
Emmanuel Macron n’est pas sans ignorer que des renouvellements générationnels de dirigeants ont eu lieu dans certains pays africains, sans résultats probants. Au Togo, il y a eu un renouvellement générationnel, mais le système n’a pas changé et il produit les mêmes effets qu’auparavant. Au Gabon, il y a eu également un renouvellement générationnel, et cela ne s’est pas traduit par une amélioration de la situation sociale des gabonais. Au Sénégal aussi, il y a eu un renouvellement générationnel, mais cela n’a pas arrêté la saignée dans la jeunesse, qui continue de périr dans la mer méditerranée à la recherche d’un meilleur sort. Qu’Emmanuel Macron aille demander aux populations de ces pays ce que le renouvellement générationnel des dirigeants a changé dans leur vie et dans la vie de leur nation. Qu’il demande également aux français ce que le renouvellement générationnel en France leur a apporté, en dehors du phénomène des ‘’gilets jaunes’’.
Le président français se méprend en voulant présenter le changement générationnel comme la solution. Il y a lieu de souligner que des renouvellements générationnels de dirigeants sont intervenus dans certains pays développés (Pays-Bas, Canada, Islande, Autriche, Nouvelle-Zélande), mais leurs bons parcours tiennent davantage à la qualité et la solidité de leurs systèmes institutionnels et de leur gouvernance qu’à la jeunesse de leurs dirigeants. Il s’agit donc pour les pays africains de changer de système et de paradigme et non d’un changement générationnel de dirigeants.
Emmanuel Macron annonce également, comme d’autres dirigeants avant lui, que les destins de l’Afrique et de la France sont liés. C’est une mauvaise perception, parce que les générations actuelles et les jeunes générations en Afrique ne pensent pas que le destin de leurs pays et du continent soit lié à celui de la France ou même de l’Europe. C’est peut-être la France et l’Europe qui veulent lier leur destin à celui de l’Afrique, mais pas l’inverse. Pour finir, il est bon de souligner qu’il n’y a pas d’histoire d’amour entre la France et l’Afrique, parce qu’il n’y a pas d’histoire d’amour entre Etats, il y a plutôt des intérêts à défendre.