Et si les deux derniers mois de Donald Trump dans le bureau ovale auront été plus déterminants que ses quatre ans de chimérique construction d’un mur avec le Mexique et de coûteuse guerre commerciale contre la Chine ? Moins d’un mois après avoir supervisé la normalisation des relations entre le Maroc et Israël, l’actuel locataire de la Maison Blanche, sponsor aussi des accords d’Abraham (entre les Emirats Arabes Unis d’une part, l’Etat Hébreu d’autre part), a la satisfaction d’assister aujourd’hui 5 janvier 2021, à la levée de l’embargo imposé au Qatar il y a trois ans et demi par l’Arabie Saoudite et ses alliés dont l’Egypte et les Emirats Arabes Unis.
L’émir du Qatar Tamim ben Hamad Al Thani et le prince héritier d’Arabie saoudite Mohammed ben Salmane ont convenu de signer un accord à l’issue du sommet du Conseil de coopération du Golfe, qui se tient ce 5 janvier à Al-Ula, dans le nord-ouest de l’Arabie saoudite, a précisé le ministre koweïtien des Affaires étrangères Ahmad Nasser Al-Mohammad Al-Sabah. les Émirats arabes unis, Bahreïn et l’Égypte se joindront à cet accord visant à normaliser les relations et lever le blocus du Qatar qui devrait pour sa part abandonner les poursuites contre les autres pays signataires du document.
Au delà de la victoire de Donald Trump, cette détente consacre Mohammed ben Salmane, nouvel homme fort du Moyen-Orient. Le jeune stratège tire une leçon magistrale de ce bras de fer coûteux. L’armada saoudienne et sa diplomatie n’a pas pu étouffer Doha, petit pays aux grandes alliances avec les Etats-Unis, l’Iran (avec lequel il partage un immense champ gazier) et la Turquie. Le Qatar et sa chaîne de télé Al Jazeera, accusé de soutenir le terrorisme (ce qu’il dément) a survécu à l’épreuve de force.
En décrétant la fin de l’embargo, MBS s’offre un bol d’air salutaire et prend les devants avant la passation de services à la Maison Blanche entre le républicain Donald Trump et le démocrate Joe Biden, un homme de gauche, certes plus sensible aux questions des libertés et des droits de l’homme, mais proche des lobbys militaro-industriels.
Porteur de réformes modernistes, le fils du roi Salmane ben Abdelaziz Al Saoud poursuit depuis 2017 une ascension très remarquée. Après avoir interpellé 300 dignitaires et princes pour corruption, l’homme qui s’est retrouvé un temps sous les projecteurs des associations des droits de l’homme, suite à l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi au consulat général d’Arabie saoudite d’Istanbul le 2 octobre 2018, a bien rebondi dans l’opinion de ses alliés occidentaux séduits par son caractère réformiste d’une société saoudienne où la femme n’avait pas encore, il y a un an, le droit de conduire une voiture et, surtout, intéressés par sa vision 2030 sensée mettre fin « au tout pétrole » qui jusque-là condamne l’Arabie Saoudite à voir son PIB valser avec le cours de l’or noir.
La normalisation avec le Qatar, l’autre grand allié des USA, permet à MBS de sortir la tête haute d’un conflit où il n’y avait rien à gagner. D’autant que l’armée saoudienne et la coalition sunnite partie avec elle est encore embourbée depuis 2015 au Yémen, un désastre humanitaire où l’Arabie Saoudite et son principal allié, les Emirats Arabes Unis, font face à l’Iran, soutien des rebelles Houtis, sans perspectives de retrait dans l’immédiat. Les tirs sporadiques des rebelles sur les installations pétrolières saoudiennes constituent autant de signaux qui rappellent finalement, de Kaboul à Baghdad, qu’une grande armée ne peut pas gagner dans une guerre asymétrique.
Sur d’autres plans, MBS avance ses pions dans un échiquier du Moyen-Orient en but au vieux conflit Israélo-palestinien. Tirant les ficelles de la normalisation du monde arabe avec l’Etat Hébreu, et-ce contre l’opinion de certains de ses chefs militaires et officiers de renseignement, l’Arabie Saoudite n’a pas encore franchi le pas, scrutant son opinion publique, très sensible à la question palestinienne et sa nomenklatura qui a battu son mythe fondateur sur le soutien à la Palestine, une ligne directrice qui ne s’est jamais démentie depuis 1948 et qui s’est renforcé avec le choc pétrolier de 1973. Mais avec MBS, toutes les lignes peuvent bouger.
La rencontre secrète, courant décembre en Arabie saoudite, du jeune prince héritier avec Benyamin Nétanyahou, le premier ministre israélien, révélée par la presse israélienne, est un signe qui ne trompe pas. Mais MBS le sait, il doit convaincre une vieille garde qui, à l’image du prince Turki Al-Fayçal, 75 ans, éminent membre de la famille royale saoudienne et ancien chef des servies de renseignement du royaume, continue de considérer Israël comme l’ennemi commun, « la dernière puissance coloniale occidentale au Proche-Orient« .