Par Majid Kamil, banquier.
Spécialiste de relations internationales et de géopolitique, Pascal Boniface est enseignant et directeur/fondateur de l’Institut des Relations internationales et stratégiques. C’est également un passionné de foot, dont il décrypte l’actualité, aussi bien d’un point de vue sportif que géopolitique.
Il vient de publier, aux éditions Eyrolles, une « géopolitique du Covid-19 », dont le sous-titre « ce que nous révèle la crise du coronavirus » en résume la thématique centrale.
Roselyne Bachelot, ancienne ministre française de la santé, note, dès la première phrase de sa préface à l’ouvrage que « la pandémie occasionnée par le virus du Covid-19 a bouleversé notre lecture du monde, (………) l’avenir du monde occidental comme lieu privilégié du développement humain ».
Pascal Boniface est conscient, comme il l’écrit, que « dresser un bilan géostratégique d’une crise (…) qui s’est déclenchée il y seulement quelques mois, peut paraitre irréaliste ». On peut cependant se féliciter qu’il soit passé outre ses propres réserves, pour nous offrir cette lecture riche et stimulante.
« La crise déclenchée par le virus n’a pas créé de tendances qui n’existaient pas (……) Elle a accentué, amplifié, exacerbé tant leur réalité que leur perception ».
Il y a longtemps déjà que Pascal Boniface explique que le monopole sur les questions internationales, jusque-là détenu par le « nord », est en train de basculer progressivement vers le « sud ».
Ainsi, dans un chapitre fort de son livre, intitulé éloquemment « la fin du modèle occidental », l’auteur parle, à propos de la pandémie, de « juin 1940 sanitaire » (référence à l’effondrement de l’armée française face aux chars allemands) et de « 11 septembre sanitaire » américain. Un professeur d’université singapourien, cité par Pascal Boniface, décrète,lui, de la « fin de la parenthèse occidentale ».
En intellectuel honnête et lucide, l’auteur donne ce conseil à ses « compatriotes occidentaux » (si j’ose dire) : « descendons de notre piédestal et regardons le monde tel qu’il est et non pas tel que nous l’imaginons ».
On se souvient de la condescendance avec laquelle la majoritédes responsables politiques, des journalistes, des analystes du« nord » ont analysé la gestion de la pandémie par la Chine. Tout y est passé : incompétence scientifique, enferment dictatorial, manipulation, mensonge, et plus (en l’occurrence parce que pas affinité !).
Et pourtant. « Non seulement le Covid-19 n’a pas vaincu la Chine, mais celle-ci semble au contraire sortir victorieuse de cet épisode ». On peut d’ailleurs mentionner le discours du Président Xi, à l’occasion du nouvel an. Pascal Boniface n’estévidemment pas un admirateur du système politique chinois,loin s’en faut. Mais cela n’altère en rien son analyse.
L’auteur rappelle que la « diplomatie du masque » n’est pas une improvisation. « Elle s’inscrit dans une stratégie chinoise initiée depuis plusieurs années, visant à utiliser pleinement la diplomatie sanitaire comme un outil d’influence », note le chercheur Antoine Bondaz, (cité par Pascal Boniface).
Alors que la Chine semble se renforcer sur la scène internationale, l’ouverture recule partout du fait de la pandémie. L’auteur écrit : « paradoxe de la globalisation : le Covid-19 ne connait pas les frontières » et pourtant, « il les a fait resurgir sur les cinq continents (…) ».
Autre conséquence importante, le retour de l’état-nation, ce« refuge et rempart vers lequel les citoyens se tournaient ». Désormais, l’expression « état-stratège » n’est plus une aberration.
Et L’Afrique ? Le continent tire-t-il les bons enseignements des bouleversements en cours ? Assignée à résidence idéologique, depuis des décennies, par des politiques d’ajustement structurel dont le seul résultat tangible a été le démantèlement du peu d’infrastructures publiques qui existaient, l’Afrique serait bien inspirée de réfléchir à des stratégies économiques et sociales plus adaptées. Même si la pandémie n’a pas entrainé, heureusement, les hécatombes que beaucoup redoutaient, elle a révélé la grande détresse sociale de la majeure partie, voire de la totalité des pays du continent. Une majorité de la population active y vit au jour le jour, avecun système de santé inexistant. Cette réalité est la conséquence de l’absence d’une pensée stratégique au plan économique et social.
Certes, pour les vaccins, l’Afrique s’est tournée vers la Chine ou la Russie plutôt que vers l’occident. Qui l’aurait imaginé il y a seulement quelques années. Mais s’agit-il d’un choix politique, d’une volonté d’indépendance ou de simplenécessité ?
En refermant le livre de Pascal Boniface on comprend quel’une des principales conséquences de la pandémie de Covid-19 est l’accélération de mutations, engagées depuis quelques temps déjà. Et on se dit qu’il appartient à chacun d’entre nous d’aider notre continent, l’Afrique, à y prendre sa part.