Avec sa double position privilégiée de haut commis d’Etat et d’économiste, Dr Cheik Kanté livre ici une analyse précise de l’évolution de la carte sanitaire du Sénégal dans le contexte d’une crise sanitaire mondiale qui, rappelle-t-il, a brisé la dynamique positive de la corrélation entre santé et développement économique d’un pays.
Analyse de la trajectoire de la carte sanitaire du Sénégal et orientations stratégiques
Les progrès importants, accomplis depuis des siècles, au niveau mondial, dans le domaine de la santé, ont été remis en cause par la pandémie de la COVID 19. Cette crise sanitaire a brisé la dynamique positive de la corrélation entre santé et développement économique d’un pays, démontrée par le Prix Nobel de 1993. Robert Foguel démontre, en effet, sur la base d’observations empiriques, que depuis 1700, le taux de mortalité dans les pays industrialisés a diminué d’une manière exponentielle, favorisant, dans le même temps, un essor économique appréciable.
L’hypothèse de base de Foguel apporte des pistes de réflexion fructueuses, et devrait constituer, pour les dirigeants africains, une base essentielle pour la prise de décisions politiques et de choix prioritaires, en matière de santé publique d’après-Covid 19.
Dans la logique du Prix Nobel, la simultanéité des progrès techniques et physiologiques aurait entraîné une spirale positive entre les aspects «thermodynamiques» et «physiologiques» de la croissance économique.
Ainsi, un choc exogène technologique dans le secteur agricole permet une hausse de la production alimentaire, et favorise l’augmentation de la capacité de production humaine. Ce choc technologique, combiné à un effet thermodynamique, génère une baisse de la malnutrition et donc une faible prévalence des maladies chroniques, une hausse des niveaux d’éducation et de formation, et une amélioration de la santé publique. Par ricochet, la conjonction de ces facteurs influence positivement la productivité dans le travail.
Dès lors, il faut comprendre que les facteurs explicatifs de la baisse notable de la mortalité, à partir de 1870, sont liés aux progrès du secteur agricole qui influencent fortement les facteurs nutritionnels, en qualité et en quantité.
La mesure de l’impact de la Covid-19 sur la santé, l’économie et les politiques sociales a permis une radioscopie des systèmes de santé des pays en développement caractérisés, en général, par des insuffisances structurelles, doublées d’un fort taux de dépendance vis-à-vis de l’étranger.
Quatre axes fondamentaux permettent d’apprécier un système de santé, selon les standards internationaux.
Je vous propose d’analyser la trajectoire de notre carte sanitaire à l’aune de ces axes fondamentaux, et de terminer en mettant en relief les orientations stratégiques du secteur, déclinées à la faveur du Plan Sénégal Émergent, par le Président Macky Sall.
Rappelons-le : suivant les standards internationaux, les déterminants du profil d’un système de santé sont au nombre de quatre : Financement, Capacité, Performance et Equité.
Le financement permet d’évaluer le volume des ressources budgétaires allouées pour les soins de santé primaires ;
La capacité permet la mise en œuvre d’une politique sanitaire, la disponibilité des ressources physiques et humaines nécessaires pour dispenser les soins de santé primaires ;
La performance permet d’analyser les soins de santé primaires qui répondent aux besoins de santé des populations ;
Enfin l’équité permet de mesurer l’efficacité des soins de santé primaires sur les groupes les plus défavorisés de la population.
Mais auparavant, permettez-moi de revenir sur les déterminants de notre système de santé, avant d’en arriver aux objectifs de santé du Sénégal d’après COVID-19.
Le premier constat est que le Sénégal, comme la majeure partie des pays africains, n’a pas atteint les objectifs fixés par la Conférence des chefs d’Etats de 2001 à Abuja qui avait recommandé une allocation de 15% des budgets nationaux à la santé.
Pourtant, des efforts très particuliers ont été réalisés par le Gouvernement. En effet, le budget affecté au ministère de la santé a connu un bond significatif depuis 2012, passant de 100, 5 milliards de FCFA à 191, 7 milliards de FCFA en 2020, soit un bond qualitatif important de 73%, qui a permis d’atteindre pour la première fois le taux de 5, 4% du budget global du Sénégal.
Autre déterminant important de notre système de santé, nous pouvons noter que le taux de disponibilité des médicaments essentiels dans les structures sanitaires est de 35,1% ; la densité des centres de santé pour 100 000 habitants est de 54, celle des postes de santé pour 100 000 habitants est de 6, 87 ; la densité des infirmières et sages-femmes pour 100 000 habitants est de 31 ; le taux de disponibilité des vaccins dans les structures sanitaires est 96,5% ; enfin, la durée moyenne de rupture des médicaments est de 41 jours.
Par ailleurs, une lecture attentive de notre carte des régions médicales et districts sanitaires permet de constater une répartition des structures sanitaires concentrée à l’ouest et au centre du pays. En effet, les six régions de Dakar, Diourbel, Fatick, Kaolack, Kaffrine et Thiès, concentrent 72,1% des hôpitaux publics et privés de niveau 1,2 et 3, 50,8% des postes de santé, 88,8% des structures privées médicales et paramédicales, et 77,7% des structures pharmaceutiques du pays.
Le nombre de lits fonctionnels est estimé à 10060 disponibles, avec un taux d’occupation qui varie selon les zones : Dakar 30,9%, Louga 19,5%, Saint Louis 13,6%. Ces régions détiennent les plus forts taux d’occupation.
Pour le volet suivi épidémiologique, des efforts particuliers ont été réalisés. Suivant l’annuaire des statistiques sanitaires de 2016/ MSAS, 1301 cas de maladies contagieuses ont été recensées. Il s’agit notamment de la rougeole, de la méningite, de la fièvre jaune, et du choléra, avec un taux de décès de 2%.
Pour ce qui est des maladies respiratoires, les régions de Thiès, Kaffrine, Kaolack et Fatick concentrent le plus grand nombre de cas, avec un taux de concentration de 62,9%. Selon les dernières statistiques du ministère de la santé et de l’action sociale, 48414 maladies respiratoires ont été notées, avec un taux de guérison de 97,8%. Les régions de Matam, Dakar et Diourbel enregistrent le plus faible pourcentage.
Au sein de la CDEAO, le Sénégal se classe sixième derrière le Cap-Vert, la Côte d’Ivoire, Le Nigéria, le Ghana et le Libéria, pour le volet financement du système de santé, et deuxième au sein de l’UEMOA.
Les dépenses en soins de santé primaires sont évaluées à 38$ par habitant, compte non tenue de celles en capital réalisées par l’Etat. Pour les agents de l’Etat, la dépense est de 146$ par personne, calculée sur la base des frais hospitaliers, selon les données de base PHCPI 2017 et 2018. La Couverture Maladie Universelle (CMU) bénéficie à 69,1% des plus pauvres, contre 31,9% pour les plus aisés qui bénéficient d’une assurance maladie (imputations budgétaires pour les fonctionnaires), évaluée à environ 116,98 milliards de FCFA sur la période 2006-2019, soit environ un montant de 6977 FCFA par mois pour un agent de l’administration.
Seule 17% de la population du Sénégal bénéficiait d’une couverture maladie. En outre, le pourcentage des personnes couvertes par des mutuelles de santé communautaires variait selon les régions. Les taux les plus élevés se retrouvaient dans les régions de Kaffrine 7%, Kaolack 7% et Ziguinchor 5%.
L’objectif de la Couverture Maladie Universelle (CMU) est d’atteindre une cible de couverture de 75% de la population d’ici 2021. En milieu rural, 86% des personnes interrogées n’ont souscrit à aucun type d’assurance maladie, contre 78 % en milieu urbain. 54% des enfants de moins de 5 ans bénéficient de l’initiative de gratuité des soins pour les enfants de moins de cinq ans. C’est dans le groupe d’âge 45-49 ans que le pourcentage d’adhérents aux IPM est le plus élevé (4%). Par ailleurs, c’est dans les régions de Dakar 5% et de Saint Louis 3% que le pourcentages de personnes ayant une assurance médicale du type IPM est le plus élevé. Les populations du quintile le plus bas bénéficient moins du Plan SESAME.
Pour la dynamique capacitaire, globalement, 75% des structures sanitaires offrent tous les services de base. Cependant, l’offre d’un paquet de service de base est davantage assurée dans les structures du secteur public. Parmi les indicateurs sélectionnés pour apprécier la disponibilité des services de base, six sont les plus significatifs: les soins curatifs infantiles, le suivi de la croissance des enfants, la vaccination infantile, la planification familiale, les soins prénatals et la prise en charge des IST. Le service public donne un taux de disponibilité de 93%, comparé au privé qui affiche une disponibilité de 14%.
Entre 2013 et 2017, le taux de disponibilité de tous les services de base a progressé de 9, 4 % dans les structures publiques et a régressé dans les structures privées dans la même période, traduisant ainsi des enjeux de spécialisation.
Ces résultats reflètent les efforts consentis par l’Etat dans la prise en charge des soins curatifs infantiles : 99%, le suivi de la croissance des enfants : 96%, la vaccination infantile : 95%, la planification familiale : 96%, les soins prénatals : 97%, et la prise en charge des IST : 100%.
Pour les autres prises en charge dans des pathologies comme le paludisme, la tuberculose, les maladies respiratoires, on note une embellie dans les structures publiques, comparées aux privées.
Les structures publiques offrent 100% des services de prise en charge du paludisme, contre 89% dans le secteur privé ; pour la tuberculose, le public offre 94% des services, contre 61% pour le privé ; pour les maladies respiratoires, toutes les structures de santé fournissent un service de prise en charge des affections respiratoires chroniques. Ce pourcentage est très élevé dans le public : 100% en 2017, contre 86% dans le privé.
Quant au volet disponibilité des infrastructures, les structures publiques sont à la traine, particulièrement dans les domaines d’équipements de communication, d’ordinateurs avec connexion internet et électricité régulière, comparées aux structures du secteur privé.
Le Sénégal affiche une densité de 7 médecins pour 100000 habitants, à l’image de la plupart des pays d’Afrique au Sud du Sahara. Notre pays est 11éme dans la CDEAO et 5éme dans l’UEMOA. Il faut souligner que notre pays est loin des meilleures pratiques dans le monde et en Afrique, dans ce domaine.
Les recommandations de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) portent sur 230 professionnels de santé (en ne comptant que les médecins, le personnel infirmier et les sages-femmes), pour 100000 habitants.
Le Sénégal dispose de 40 professionnels de santé (en ne comptant que les médecins, le personnel infirmier et les sage- femmes), pour 100000 habitants.
Pour combler ce gap, il nous faut former 15002 médecins, pour un cout estimatif de 15, 7 milliards de FCFA, et 27 526 infirmiers et sages-femmes, d’ici 2028.
Un budget d’environ 28,1 milliards de FCFA est nécessaire pour la formation de ce personnel, à raison de 150 000 FCFA par médecin sur 7 ans, et 150000 FCFA par infirmier et sage- femme sur 3 ans.
Pour le volet équité, les obstacles sont liés au coût du traitement et à la distance. Notre indice d’accès est de 67%, soit 45% pour les barrières engendrées par les couts de traitement, et 22% pour les barrières d’accès, en raison de la distance.
En effet, 45% de femmes n’ont pas accès aux soins, du fait des coûts de traitement jugés élevés, et 22% de femmes sont affectées par la distance de leurs lieux de résidence aux services sanitaires. L’indice de couverture global des services est de 48%. S’agissant des obstacles liés à la distance, le Sénégal est premier au niveau de la CDEAO, et premier également au niveau de l’UEMOA.
Pour ce qui est du niveau de performance de notre système de santé, les résultats, bien que satisfaisants, restent à améliorer, même si notre système fournit de meilleurs résultats et une plus grande équité, sur les cinq dernières années.
Le ratio de mortalité d’adultes dû aux maladies non transmissibles est de 18%, le différentiel du taux de mortalité des moins de cinq ans par quintile de richesse est de 50%, le taux de mortalité néonatale est de 21%, celui des moins de cinq ans sur 1000 naissances vivantes est de 47% et le ratio de mortalité maternelle pour 100000 naissances vivantes est de 315%.
Pour donner un nouveau souffle à notre système sanitaire, le Président Macky Sall a donné des orientations novatrices à travers le projet phare « Dakar Médical City », intégré au PSE.
Ce projet a pour ambition de faire de Dakar le centre de soins de référence de la Sous-Région, en proposant une offre de soins de qualité internationale aux patients. Le Projet a pour vocation d’offrir des soins primaires, secondaires et tertiaires ciblés sur les besoins spécifiques, avec les tarifs compétitifs. Il prévoit de nouer des partenariats avec des acteurs internationaux pour relever le plateau médical aux standards internationaux, et de promouvoir une offre intégrée et compétitive. La création de plusieurs cliniques spécialisées de très haute qualité est prévue, afin de satisfaire une demande de plus de 10 000 patients venant de la Sous-Région.
Le détail des 18 projets, composantes du « DMC » se décline en plusieurs phases : le Centre Hospitalier Universitaire de Diamniadio, qui va porter sur la construction d’un hôpital de niveau 3 à Diamniadio ; la rénovation de l’hôpital Le Dantec ; la modernisation de l’hôpital Principal de Dakar avec la construction d’une clinique VIP, la réalisation de l’hôpital international de Dakar de niveau 3 sur la Corniche , l’installation d’une industrie pharmaceutique pour les solutés, la réalisation de l’institut Pasteur pour la fièvre jaune, la réalisation d’un centre d’excellence en recherche, surveillance et formation en santé, l’opérationnalisation du centre CUOMO, l’extension et la relocalisation de la Pharmacie Nationale d’approvisionnement, la réalisation du Centre National d’Oncologie, la construction à l’hôpital de Fann du Centre des Grands Brulés, une décentralisation du projet intégré de prise en charge du Diabète, une décentralisation du SAMU dans toutes les capitales régionales du pays, la construction d’hôpitaux à Sédhiou, Tambacounda, Kédougou et Kaffrine, et enfin, la réalisation du Centre Universitaire de Saint Louis (hôpital de niveau 3).
La pandémie de la COVID-19, qui a mis à rude épreuve les systèmes de santé de tous les pays du monde, a permis de noter la pertinence du nôtre, sous l’impulsion du Président Macky Sall.
Certes, une fracture importante existe entre les pays du nord et du sud par rapport aux décès dus à ce virus. Cependant, le Sénégal a été félicité pour la maîtrise correcte de la pandémie et pour le Plan de Résilience économique et Social mis en place par Le Président Macky Sallqui ont hissé notre pays au deuxième rang sur 36 pays, après la Nouvelle Zélande.
Le Président Macky Sall a su mobiliser, motiver et valoriser le capital humain de la santé qui s’est investi d’une manière remarquable, aux côtés du ministre de la santé et de l’action sociale, pour relever les multiples défis causés par la COVID 19.
Le Ministre de la santé et de l’action social reviendra, avec plus de précisions, sur toutes ces questions.
Grâce à la pertinence du PSE, et sur la base de ses différents programmes, la santé et la protection sociale ont beaucoup progressé au Sénégal.
Les orientations stratégiques, à travers le plan d’investissement pour un système de santé et d’action sociale résilient et pérenne, constituent le pari du Président Macky Sall qui vise à « permettre à tous les Sénégalais, au moment où ils en ont besoin, d’accéder à des soins de santé de qualité, sans aucune entrave financière, et sans aucun risque financier ».
C’est dans ce cadre que Le Président de La République a présidé une visioconférence, le jeudi 09 avril 2020, afin de jeter les bases de l’élaboration d’un plan quinquennal de santé Post COVID-19, couplé aux perspectives de réformes qui doivent l’accompagner, pour la mise en œuvre d’un nouveau système de santé qui réponde au mieux aux besoins des populations.
Ce programme, validé en Conseil Présidentiel, en présence de toutes les parties prenantes, a permis une déclinaison de ses axes essentiels, qui portent sur la mise aux normes des infrastructures et équipements, le renforcement de la disponibilité en personnel de qualité dans les structures de santé et d’action sociale, une disponibilité et une accessibilité des médicaments et produits, et enfin l’élaboration de réformes majeures susceptibles de générer une forte résilience du système de santé et d’action sociale, pour un renforcement de la qualité du capital humain sénégalais, facteur clé de succès pour l’émergence.
Cet éditorial de Dr Cheikh Kanté est à retrouver dans le numéro 8 du magazine Tam Tam de l’émergence à télécharger ci-dessous en intégralité.