Par Samir Bouzidi*
En pleine recrudescence du Covid-19, ce constat implacable : l’Afrique ne fait qu’observer passivement le monde se faire vacciner, attendant fébrilement son tour sans toutefois être maître de son propre destin. Il faut dire qu’à l’exception de trop rares pays africains (Maroc, Afrique du Sud, Guinée, Egypte…), la santé de centaines de millions d’africains a été placée entre les mains de l’OMS et de son programme Covax qui promet d’offrir 2 milliards de doses de vaccins aux pays en voie de développement. Trop peu et peut-être trop tard…
Le bonheur des uns et le malheur de l’Afrique….
Ironie du sort, les médecins et scientifiques africains dans les pays producteurs de vaccins (US, UK, France, Allemagne…), n’ont jamais été aussi nombreux, faisant le bonheur de l’industrie pharmaceutique, des autorités sanitaires publiques et des patients dans les pays d’accueil. Résultant d’un exode massif entamé depuis quarante ans, ce fléau en Afrique traditionnellement analysé sous le prisme du préjudice au développement est désormais une question de santé publique…
Face à l’accélération du danger, les pays africains ne peuvent plus se contenter d’être seulement des cobayes et renouer rapidement avec leur diaspora médicale !
L’Afrique victime d’un «mercato» mondial !
Il est compliqué de mesurer précisément l’étendue de cette hémorragie des chercheurs et médecins africains tant le phénomène est ancien et mal répertorié ! Néanmoins une première étude de l’OCDE datée de 2011 concluait déjà qu’un scientifique africain sur dix exerce dans un pays de l’organisation. En France, une destination historique pour l’immigration scientifique des talents africains, l’ordre des médecins recensait en 2019 parmi les 260 000 médecins inscrits à l’ordre, entre 60 à 80 000 professionnels d’origine étrangère (africains du nord, libanais, sénégalais, ivoiriens, camerounais, béninois, congolais, guinéens, vietnamiens, européens de l’est…) soit pratiquement 1 sur 4. Et de l’aveu même de cette organisation professionnelle, la tendance s’accélère depuis les années 2010 avec les départs massifs en retraite notamment dans les campagnes, remplacés quasi systématiquement par des médecins étrangers. Mêmes proportions chez les chercheurs étrangers qui représentent un tiers du contingent des 270 000 praticiens que compte la France avec là aussi une prédominance d’Africains (source : ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation).
Une tendance enfin corroborée par l’étude de profilage des compétences via Linkedin de trois pays africains (Mali, Cameroun et Senegal), élaborée en 2020 par la startup Impact Diaspora. Ainsi selon l’étude qui se base sur un échantillon de 10 000 hautes compétences diasporiques par pays, en France, USA et Canada, le secteur de la santé arrive dans le top 5 des métiers exercés par les diasporas soit 7 à 10 % du total des compétences.
Et rares sont les pays africains épargnés par le fléau. Depuis les fiefs historiques connus d’immigration scientifique (Zimbabwe, Maurice, RDC, Burundi, Algérie, Mauritanie, Tchad, Guinée…), jusqu’à impacter plus récemment des pays pourtant mieux structurés médicalement (Maroc, Tunisie, Kenya, Nigéria…).
Les causes sont connues ! Aux facteurs endogènes : incuries des politiques publiques de recherche scientifique, faible rémunération, manque d’équipements de recherche et d’opportunités dans le secteur public ou privé, favoritisme accordée aux consultants étrangers et décourageant les experts nationaux qualifiés…sont venus s’ajouter ces dernières années les besoins accélérés de l’industrie pharmaceutique des pays développés et les effets des politiques d’immigration choisie favorisant les profils scientifiques (France, Us, Canada, Allemagne, Belgique, Suisse…).
Avec de nouvelles stratégies publiques…
Pour l’heure, rares sont les Etats africains à avoir mené des programmes de mobilisation de leur diaspora médicale mais avec la posture du «moi d’abord» des pays développés par rapport aux vaccins, il est à espérer que bon nombre de dirigeants sortent de leur léthargie actuelle.
Et la diaspora médicale, profondément humaniste, est en attente car elle ne peut rester impassible face à des situations d’urgence qui affectent leur pays. D’ailleurs, en dépit de nombreuses entraves, beaucoup de médecins de la diaspora profitent d’un séjour au pays pour soigner informellement et gratuitement leurs proches et concitoyens dans le besoin.
Il revient désormais aux stratégies publiques proactives de «fertiliser» ces élans philanthropiques et bien plus. Un bon premier pas consisterait à recenser sérieusement ces hautes compétences et de nouer un dialogue structuré avec les chefs de file. Le potentiel en philanthropie, partage d’expériences, investissement dans le secteur privé mais également en soft power est indéniable. A titre d’exemple, un petit pays du Moyen-Orient, vient de « damer le pion » à toutes les grandes puissances dans la course au vaccin notamment car il avait pris soin d’impliquer depuis de nombreux mois, de hauts cadres de sa diaspora exerçant chez Pfizer ou Moderna, les laboratoires producteurs des deux premiers vaccins.
Et pourquoi pas un «life diaspora bond» ?
Sans compter qu’en anticipation d’une campagne de vaccination populaire qui s’annonce onéreuse et hors moyens pour les finances publiques de bon nombre de pays du continent, la diaspora dans son ensemble pourrait apporter un précieux soutien financier en prenant en charge les vaccins pour leurs proches, les concitoyens les plus modestes…Un « life diaspora bond » en quelque sorte que les banques et fintech seraient inspirées de stimuler en prélevant zéro frais sur les transferts dédiés à cette cause…
A propos de l’auteur
Samir Bouzidi est Ethnomarketer & expert international en mobilisation des diasporas africaines. Entrepreneur engagé – fondateur de la startup solidaire “Impact Diaspora”.