Par Par Dr El Hadj Abdourahmane Diouf, expert en échanges commerciaux internationaux.
Loin des soubresauts d’une actualité africaine dominée par le politique, Dr El Hadj Abdourahmane Diouf pose le regard de l’expert sur ce qui constitue certainement le traité commercial le plus important dans ce 21 ème siècle naissant. Après avoir publié la partie 2 où l’ancien directeur exécutif du Club des investisseurs du Sénégal (CIS) décortique une sorte de cheval de Troie européen et une partie 3 consacrée au rôle des taxes à l’exportation, nous vous présentons ci-dessous la partie 1 dans une sorte de retour au contexte global de l’accord.
La ZLECAF vient s’incruster dans un écosystème commercial élaboré de longue date avec des ramifications dont il faut comprendre les subtilités pour espérer en tirer un gain. Les Etats africains s’inscrivent dans une frénésie normative qui multiplie leurs engagements commerciaux sans les doter d’une stratégie qui les met en cohérence. On leur rappelle souvent leurs obligations sans qu’ils soient conscients de leurs droits.
Les lieux d’impulsion des droits et obligations commerciales internationales des pays africains sont nombreux. Des accords sont signés sans en comprendre la substance. Des obligations sont hypertrophiées alors qu’elles sont molles et qu’une bonne lecture aurait permis de s’en délier. Des niches de compétitivité commerciale sont méconnues. Elles ne seront jamais optimisées. Certaines fois, par méconnaissance ; d’autres fois par frilosité et toujours par passivité avec la certitude de ne pas avoir les ressorts pour faire bouger les lignes du système commercial.
Multilatéralité réductrice
Chaque Etat africain élabore sa politique commerciale dans l’expression de sa souveraineté nationale stricte. Il définit ses orientations sur les politiques d’importation, d’exportation, d’accès au marché et de défense commerciale. C’est la particularité de l’Etat national qui s’exprime. Ces Etats sont individuellement membres de l’OMC qui est l’organisation faitière qui régule les échanges mondiaux depuis le 1er janvier 1995. Chaque pays membre y dispose d’une liste de concessions qui consigne son offre de libéralisation. Il déclare à la face du monde la manière dont son marché se laisse convoiter ou entend aller à la conquête des autres. Il y prend des engagements individuels qui diluent sa souveraineté. Au point qu’il est visible que les politiques commerciales nationales soient plus le reflet des obligations internationales à respecter qu’une politique souverainiste basée sur l’évaluation intrinséque de ses besoins. L’espace multilatéral n’est pas un terrain de conquête pour les pays africains.
Régionalité frileuse
L’OMC n’est pas toujours rigide dans son agenda de libéralisation. Elle aménage des espaces de commerce préférentiel à des régions du monde qui en manifestent la volonté à travers des accords commerciaux régionaux (ACR) comme la CEDEAO ou la CEEAC. Ce sont donc des Accords Commerciaux Régionaux (ACR) qui peuvent prendre la forme d’une Union douanière ou d’une zone de libre-échange. La CEDEAO est une union douanière avec un tarif extérieur commun. Chacun de ses 15 pays membres se déleste de l’essentiel de sa souveraineté au profit d’une politique commerciale communautaire. L’Union douanière autorise la libre circulation dans la région, à la fois des marchandises originaires et des marchandises importées ; alors que la zone de libre-échange n’autorise que la libre circulation des marchandises originaires. La réalité est que la libre circulation sans entrave n’est pas effective. Les égoïsmes nationaux priment sur la volonté proclamée de l’intégration régionale.
Partenaires hégémoniques
Des Accords de Partenariat Economique (APE) sont signés avec l’Union Européenne (UE). Dans le cadre de l’Afrique de l’ouest, c’est la CEDEAO qui est la signataire. L’accord liant la CEDEAO (union douanière) à l’Union européenne (union douanière) est un APE qui agrège deux unions douanières pour en faire une Zone de libre-échange. En Afrique de l’ouest et du centre notamment, des pays en développement qui ne disposent pas des mêmes facilités commerciales que les Pays les Moins Avancés (PMA) ont jugé utile, pour conserver un accès préférentiel sur le marché européen, de signer des APE individuels avec l’UE. On peut citer le Ghana, le Cameroun et la Côte d’ivoire. Ce dernier pays vient de signer également un autre accord commercial bilatéral avec la Grande Bretagne suite au Brexit. La zone de libre-échange de l’APE rogne sur les constructions commerciales intégrationnistes africaines. Elle déconstruit et transfère les agendas européens sur un marché bilatéral mieux contrôlé et adouci par l’illusion de l’aide au développement.
Par ailleurs, des accords commerciaux sont aussi signés avec des partenaires comme les Etats Unis (AGOA) et l’Europe (TSA). Ces avantages commerciaux ne sont pas réciproques et n’entrent donc pas dans la catégorie des ACR. Ce sont des accords commerciaux bilatéraux préférentiels. Il n’est pas recommandé de s’y appuyer pour bâtir une politique commerciale durable. Ils ne sont pas prévisibles.
Ecosystème défavorable
En résumé, les règles de l’OMC ne tiennent pas suffisamment compte des spécificités africaines. Les pays africains n’y ont pas été les acteurs des normes commerciales qui s’appliquent à eux. Les APE vident de leur sens les efforts d’intégration régionale sur le continent. Ils rétrécissent les flexibilités commerciales données par l’OMC et affinées au niveau des organisations régionales. Les ACR eux-mêmes promeuvent des normes commerciales qui sont souvent mises en échec par les distorsions comportementales des Etats. Des accords bilatéraux subsistent, mais sont d’application unilatérale sans prévisibilité sur les politiques commerciales locales.
ZLECAF rédemptrice ?
La ZLECAF est une zone de libre-échange (ZLE) alors que les ACR qui la composent sont des unions douanières finies ou en construction. Comme ZLE, elle est un ACR qui promeut le commerce intra-africain en assumant de discriminer les entités commerciales qui lui sont extérieures. Les organisations économiques européennes, américaines, asiatiques ou autres, qui sont organisées en ACR n’ont pas un accès préférentiel au marché de la ZLECAF. Les préférences continentales sont assumées. C’est une innovation, protégée juridiquement, qui n’ouvre pas de contestations sérieuses chez les partenaires. Seul bémol, les avantages commerciaux précédemment concédés aux partenaires extérieurs sont coulés dans du marbre. Ils bénéficient d’une clause de statu quo. C’est une concession qui donne des gages de fiabilité et ne ferme pas les possibilités d’épanouissement commercial dans le futur. L’avenir est à écrire.
En mettant en place la ZLECAF, l’Afrique se dote du manteau juridique qui lui faisait défaut pour être un interlocuteur crédible. En se dotant d’un secrétariat exécutif, la ZLECAF est en situation de mettre en exergue un intérêt général qui transcende les pays et les régions. Pour la première fois, l’Afrique a l’opportunité d’exister dans le commerce mondial et d’avoir les grandes puissances comme interlocutrices dans le cadre de relations bilatérales équilibrées. Naturellement, il faudra aller plus loin et arriver à une union douanière africaine. Elle aura alors la possibilité d’intégrer l’OMC, de dégager des positions de négociations communes, de mettre en œuvre une politique commerciale communautaire et de se positionner comme bloc monolithique viable qui minore nos vulnérabilités commerciales actuelles.