Par Eugene Nyambal.
Non, le combat politique aux États-Unis n’a opposé ni Donald Trump et le reste du pays, ni les Démocrates aux Républicains. Il s’agissait d’un combat sans pitié pour le contrôle de l’avenir du monde entre d’une part(1) le bloc mondialiste comprenant les Démocrates et Républicains internationalistes qui pensent que l’hégémonie américaine passe par la mondialisation, le contrôle des organisations internationales, les guerres perpétuelles et la maitrise du changement climatique et, d’ autre part (2) le bloc populiste, isolationniste et antimondialiste moins organisé et disposant de moins de ressources, que dirige Trump et qui pense que la grandeur de l’Amérique passe par un retour aux sources avec le concept de « Make America Great Again », parfois abrégé en MAGA, et que le pays doit passer avant le reste du monde (« L’Amérique d’abord »).
Au nom de la souveraineté nationale, ce bloc est contre le multilatéralisme, les interventions militaires à l’extérieur, contre l’immigration et soutient le Brexit en Europe. Sur le plan géographique, il s’agit d’un affrontement entre (1) l’Amérique des grandes métropoles de la Côte-Est et de la Côte Ouest qui a organisé et profité de la mondialisation : Hollywood et les nouvelles technologies de l’information en Californie (Yahoo, Google, Facebook, Youtube, Apple, etc.) et des grandes métropoles de l’Est qui contrôlent la politique nationale, l’ État profond, les organisations internationales, ainsi que la finance et la bourse (Washington DC et New York et ; (2) l’Amérique du Centre et du Sud moins peuplée, plus rurale, laborieuse, celle des Télévangélistes ayant peu profité de la mondialisation. Le bloc ayant profité de la mondialisation vient de remporter une victoire écrasante avec un contrôle de tous les pôles du pouvoir : la Maison Blanche, le Congrès, le Sénat et les médias. Dès lors, la question pertinente est de savoir qui a réellement gagné, comment ils ont a gagné et quelles sont les conséquences de cette victoire pour l’Amérique et le reste du monde.
Une alliance idéologique pour la mondialisation entre les Démocrates et les Républicains libertaires et néoconservateurs
Avant que Donald Trump ne soit président et que MAGA ne crée le ciment idéologique populiste, il était plus facile pour les élites américaines de maintenir l’illusion mensongère de la concurrence dichotomique entre Républicains et Démocrates. Trump est venu bouleverser l’ordre établi en mettant l’accent sur les politiques défavorables à la mondialisation pour résoudre les problèmes des Américains les plus pauvres : fin des négociations commerciales multilatérales notamment le partenariat transpacifique, retrait des accords de Paris sur le climat, politiques anti-migratoires, approbation des pipelines Keystone et Dakota Access pour le transport du pétrole canadien vers les États-Unis malgré leur impact sur l’environnement, exigence de la réciprocité commerciale, confrontation avec la Chine, pression sur les alliés de l’OTAN pour qu’ils augmentent leur budget militaire et refus de poursuivre les guerres perpétuelles de l’Occident à l’étranger. Il a également élargi la base électorale de son parti aux minorités noires traditionnellement fidèles aux Démocrates. Face à ces menaces, les Démocrates et les Républicains anti-Trump ont trouvé un terrain d’entente commun contre lui sur la mondialisation et sa personnalité extravagante. Le bloc mondialiste qui a gagné les élections comprend : (1) les Démocrates mondialistes, progressistes, multilatéralismes et militaristes (Clinton, Obama) appuyés par les multinationales, ainsi que les élites médiatiques, des nouvelles technologies, du cinéma et de la finance internationale; (2) les Républicains libertaires partisans du moins d’État, du libre-échange et de la libre circulation des personnes et farouchement opposés aux politiques protectionnistes de Trump ; les Républicains modérés sans ancrage idéologique à droite (Sénateur Mitt Romney); les Républicains néoconservateurs (Bush, Cheney, Bolton) partisans des guerres perpétuelles ayant semé le chaos en Irak, Afghanistan et proches du militarisme du bloc Clinton-Obama, mais inquiets face aux réticences guerrières de Trump. Cet aréopage conservateur et ses Think-Tank (« Club de Réflexion ») sont restés réfractaires au populisme et fidèles au mondialisme dans un parti dont la base sociologique avait basculé vers les classes populaires. Pour assurer la victoire, les élites mondialistes ont mobilisé une grande coalition autour d’un référendum sur la personnalité de Trump en s’appuyant essentiellement sur les minorités visibles et invisibles et les populistes de gauche ayant voté pour Sanders aux primaires contre Biden et dont les préoccupations sociales sont proches de celles des partisans de Trump. Les Progressistes convergent avec les populistes Trumpistes sur les inégalités sociales et la nécessité de réduire les excès de la mondialisation sur le tissu économique et social ou d’augmenter le salaire minimum. En revanche, ils divergent avec les Trumpistes sur les questions d’immigration, du changement climatique ou du rôle prépondérant de l’État pour augmenter les dépenses sociales. Cette aile gauche du parti Démocrate est un caillou dans la chaussure de Biden dont le cabinet sera essentiellement composé des élites des affaires et de la finance, des interventionnistes militaristes de l’administration Obama et des néoconservateurs et des représentants des progressistes et des minorités.
Ingrédients de la victoire: un mariage entre la réinvention du système électoral et l’alliance avec les forces de l’argent et des medias
Premièrement, sous l’impulsion de l’équipe ayant porté Obama au pouvoir (David Plouffe, John Podesta, David Axelrod), les Démocrates ont réussi utiliser la pandémie du Covid-19 comme excuse pour redéfinir les règles du jeu électoral sur la façon dont les votes seraient exprimés et comptés dans les « swing states» ou États clés (Wisconsin, Michigan, Pennsylvanie, Géorgie et Arizona) dont la législature est pourtant contrôlée par les Républicains. Ainsi, les bulletins de vote par correspondance ont été envoyés à tout le monde, même à ceux qui n’en demandaient pas. Les exigences d’identification des électeurs ont été suspendues, des urnes mobiles ont été déployées, le traitement des bulletins de vote défectueux a été assoupli et les listes électorales n’ont pas été actualisées. Sur cette base, les Démocrates ont mobilisé des équipes chargées de faire voter et collecter les bulletins des groupes ayant une faible propension à voter tandis que les Républicains continuaient de compter sur des stratégies électorales éculées, notamment le porte-à-porte pour aller voter le jour des élections, le réseau télévangélique, les publipostages de la radio et télévision. Deuxièmement, les Démocrates ont réussi à créer une alliance avec les médias grand public, les géants des médias sociaux (YouTube, Twister, Facebook, Amazon et Google) et l’État profond afin de maitriser et contrôler le narratif électoral et réduire leurs adversaires au silence en cas de besoin. Les conservateurs n’avaient pas les moyens de rivaliser avec cette machine. Car ils n’ont pas su développer une offre politique et un écosystème de communication adaptés à l’évolution de la société américaine.
Troisièmement, les Démocrates ont mobilisé des moyens financiers illimités pour la victoire. Il convient de noter que la plupart des hommes les plus riches du monde sont proches des Démocrates (Bezos, Gates, Zuckerberg, Ellison, Ballmer, Page, Brin). Cette oligarchie a dépensé plus que jamais pour faire triompher le mondialisme qui lui a permis de s’enrichir à une échelle sans précédent. Á titre d’exemple, Mark Zuckerberg et son épouse ont débloqué 350 millions de dollars pour soutenir les équipes chargées de l’inscription des électeurs et de la supervision des élections et pousser les gens à aller voter. George Soros, Michael Bloomberg et d’autres hommes d’affaires ont également donné des centaines de millions de dollars pour soutenir la campagne et favorisé au niveau des États, l’élection de dirigeants capables d’orienter les politiques publiques en faveur des démocrates. Face à cette armada, Trump a mis en place une machine de mobilisation des fonds à travers les petites contributions des donateurs individuels galvanisés par son message populiste autour de l’idéologie conservatrice de « l’Amérique d’abord ». En dehors de quelques magnats des casinos, les milliardaires conservateurs ont peu contribué à sa campagne.
Une gouvernance difficile en raison de la coalition hétéroclite au pouvoir
Sur le plan national, deux dangers guettent la nouvelle administration. En premier, la restriction de la liberté d’expression et le néo-maccartisme visant à éradiquer du monde politique, de l’entreprise, des médias et de la culture près de la moitié des Américains ayant voté pour Trump. Ceci pourrait radicaliser cette frange de la population qui a perdu foi dans le processus démocratique et se traduire par la montée des tensions et de la violence. Ensuite, les politiques mondialistes et militaristes de l’administration Biden risquent de diviser la base progressiste du parti démocrate. Face à la montée des inégalités sociales et raciales dans un pays où 1 % de la population contrôle 50 % de la richesse nationale, la demande sociale est forte. Si leur mobilité sociale est entravée par le retour en force du libre- échange effréné, un nombre croissant de Noirs, d’Hispaniques et de Blancs pauvres pourraient faire défection et s’allier aux populistes de la Droite Trumpiste contre leur ennemi commun. Ceci pourrait permettrait au parti Républicain de reprendre le Congrès en 2022 et peut-être la Maison Blanche en 2024. Au niveau international, on devra logiquement s’attendre à une amélioration des relations avec la Chine afin de poursuivre le modèle mondialiste permettant de délocaliser la production et l’emploi afin de dégager le maximum de profits pour les entreprises et de faire financer les déficits américains par les surplus des pays bénéficiaires de la mondialisation. Concernant la libre circulation des personnes, les politiques d’immigration seront assouplies conformément aux promesses électorales de Biden. Par ailleurs, il y aura un retour en force du multilatéralisme comme instrument de politique étrangère (changements climatiques, négociations commerciales multilatérales, gestion collective de la pandémie du Covid). Ceci renforcera l’emprise des organisations internationales sur les pays pauvres afin de faire échec à toute tentative d’alliance de ces pays avec les puissances concurrentes comme la Chine. Á ce sujet, le FMI a profité de la crise de la Covid-19 pour augmenter substantiellement ses prêts à l’Afrique, verrouillant ainsi tout endettement futur avec la Chine. Tout pays ayant un programme avec le FMI n’a pas le droit de s’endetter ailleurs sans l’autorisation préalable du Fonds et peut difficilement mettre en œuvre des politiques visant à développer ses industries. Enfin, les guerres et les politiques de déstabilisation risquent de reprendre à grande échelle au Moyen-Orient, en Afrique et ailleurs pour le contrôle des ressources stratégiques.