Depuis pratiquement un an, le trafic transfrontalier entre la Guinée et certains de ses voisins est sporadiquement perturbé par des décisions de fermeture unilatérales des frontières par les autorités guinéennes. Si ces restrictions sont parfois justifiées comme ce fut le cas lors de la survenue de l’épidémie de covid-19 en mars 2020, la fermeture quasi-récurrente des frontières terrestres entre notamment la Guinée, le Sénégal et la Guinée Bissau pose bien des questions.
Déjà en début d’année dernière, en février, en pleine campagne pour la révision de la constitution pour un troisième mandat, sous prétexte de « menaces d’attaques terroristes et d’introduction d’armes sur le territoire national’’, le gouvernement guinéen avait pris la décision unilatérale de suspendre les importations de marchandises par voie terrestre depuis tous les pays limitrophes pour un délai indéfini. Cette décision prise sans même prendre la peine d’informer ou de consulter les opérateurs économiques, avait alors provoqué l’ire des syndicats de transporteurs. Un mois plus tard, à peine cette interdiction levée, que la pandémie du covid-19 est déclarée, le gouvernement guinéen rebelote et boucle toutes ses frontières, aériennes comme terrestres. Aujourd’hui encore les frontières avec le Sénégal, la Sierra Leone et la Guinée Bissau sont bouclées depuis plus de trois mois pour des raisons purement politiques.
Les conséquences de ces fermetures successives des frontières terrestres sont désastreuses pour le commerce de part et d’autres des frontières, un véritable coup d’arrêt de l’offre et de la demande. Sur les marchés en Guinée comme au Sénégal, certaines denrées de première nécessité commencent à manquer et cette pénurie provoque une flambée des prix. Du côté Guinéen, c’est surtout pour le secteur agricole que la pilule est plus amère. Les producteurs qui se sont retrouvés dans l’incapacité d’écouler leur production destinée aux pays voisins, principalement au Sénégal, ont enregistré un coup d’arrêt et des centaines de milliards de perte. La filière pomme de terre dans la région de Labé au Fouta Djallon par exemple touchée de pleins fouets par la crise du Covid-19, qui a enregistré près de 50 milliards de pertes à cause de la fermeture des frontières, est un élément révélateur.
L’on se rappelle encore de l’impact de l’embargo de la CEDEAO sur le Mali en rapport avec le coup d’État militaire de l’année dernière. La filière avicole guinéenne dépendante à 50 % (soit l’équivalent d’un peu plus de 5000 tonnes par an) des importations de maïs en provenance du Mali, ingrédient de base qui entre dans l’élaboration des aliments de volaille avait eu un gros coup d’arrêt. Les acteurs des chaines de valeur avicole en Guinée étaient obligés de se tourner vers d’autres pays comme le Burkina pour combler le déficit de la production locale.
À l’approche de l’élection présidentielle d’octobre 2020, le gouvernement est revenu à la charge pour boucler à nouveau les frontières, cette fois-ci exclusivement avec le Sénégal, la Sierra Leone et la Guinée Bissau. Depuis plus de trois mois, elles sont toujours fermées tandis qu’au même moment, les frontières avec la Côte d’Ivoire, le Mali en guerre et le Libéria sont rouvertes.
Les conséquences sont dramatiques pour le trafic commercial entre les régions de la moyenne Guinée, de la basse Guinée et les capitales des pays voisins concernés par ces fermetures. Des milliers de camions sont bloqués depuis des mois aux différentes frontières, avec des marchandises parfois périssables dans l’attente interminable d’une autorisation pour traverser la frontière et livrer les marchandises à bon port, notamment avec le Sénégal. En réaction à cette situation, les autorités sénégalaises ont d’ailleurs exigé des transporteurs guinéens bloqués sur leur territoire de déplacer la file de camions vers la frontière guinéenne.
Certains producteurs agricoles au Fouta Djallon expliquent qu’à cause des pertes subies dans le secteur de la production de la pomme de terre suite à l’apparition du coronavirus, ils se sont tournés vers la production de choux pour minimiser les pertes. Ils se sont retrouvés une nouvelle fois face à une décision de fermeture des frontières avec le Sénégal et d’autres pays. Pourtant, expliquent-ils, c’est au Sénégal qu’ils écoulent beaucoup plus leurs produits. Ils courent ainsi le risque de perdre plus de 300 tonnes de choux. Plus de 200 hectares sont cultivés sans aucune perspective de débouchés, parce que ne pouvant pas vendre toute cette production dans la région et ne disposant pas d’une capacité de stockage suffisante, relate à l’Agence Guinéenne de presse (AGP), Mamadou Kaba Diallo, un autre producteur qui tire la sonnette d’alarme. Ce témoignage dresse avec exactitude le tableau sombre qui prévaut dans le secteur agricole guinéen durement éprouvé par la crise du covid-19 mais surtout par la fermeture des frontières pour des raisons manifestement politiques.
Au moment où chaque pays se penche désormais sur des stratégies d’adaptation, de reprise et de relance économique, les autorités guinéennes sont entrain de plomber l’activité économique transfrontalière par des décisions politiques en violation flagrante du principe de libre circulation des personnes et des biens au sein de l’espace CEDEAO. Cette situation qui s’apparente à un blocus va indéniablement se traduire, en plus des pertes financières innombrables, par la menace de disparition des filières agricoles, le ralentissement du commerce transfrontalier, la destruction de milliers d’emplois ruraux et urbains de part et d’autre des frontières et un manque à gagner considérable pour l’État guinéen qui visiblement n’a pas l’air de s’en soucier outre mesure et continue à faire la sourde oreille face aux cris de détresse des commerçants, des producteurs agricoles et des transporteurs.
La défense des intérêts des peuples guinéens et sénégalais intimement liés par l’histoire et la géographie doit prévaloir sur la «guerre d’ego » aux relents politiques que se livrent d’un côté les présidents Macky Sall et Alpha Condé et de l’autre Alpha Condé et le président Emballo de la Guinée Bissau. Il est plus qu’urgent que la CEDEAO s’implique pour mettre un terme à ce blocus.