Majid Kamil est banquier, ancien diplomate et passionné de littérature. Sa chronique “Apostrophe” publiée régulièrement dans Financial Afrik, décortique l’actualité de l’Afrique et du monde à travers les dernières parutions (livres et essais).
Barak Obama a publié, il y a quelques semaines, le premier tome de ses mémoires, sous le titre «un terre promise» (aux éditions fayard, pour la version française). «J’imaginais pouvoir faire cela en cinq cents pages environ». Au fil de l’écriture, l’auteur décidera de scinder le livre en deux volumes. En voici donc le premier, plus de huit cents pages, passionnantes. Personnage indiscutablement exceptionnel, c’est d’abord un intellectuel, un vrai. Qui a beaucoup lu et beaucoup réfléchit. La passion de la lecture, il la doit à sa mère. Il cite Ralph Ellison, Dostoïevski, D.H Lawrence, mais aussi Karl Marx, Herbert Marcuse, Franz Fanon, Michel Foucault, Virginia Woolf.
Homme politique rare, il sait penser par lui-même, aller à contre-courant de soi. « J’ai pris l’habitude systématique de remettre en question mes propres idées (…..) cela m’a vacciné contre les formules révolutionnaires toutes faites que brandissaient beaucoup de gens à gauche à l’aube de l’ère Reagan ». Ainsi, il n’hésite pas à déclarer dans une interview que Bill Clinton n’avait pas transformé la politique comme l’avait fait « Ronald Reagan dans les années 1980, en parvenant à infléchir d’une manière inédite la relation du peuple américain à l’Etat sur la base de principes conservateurs ». Barak Hussein Obama est né à Hawaï en 1961. «Mes grands-parents maternels étaient originaires du Midwest, de souche irlando-écossaise pour l’essentiel». Son grand père est représentant en assurances et sa grand-mère « Toot » (Mamie en hawaïen), qui comptera tant dans sa vie, vice-présidente des comptes en dépôt fiduciaire dans une banque locale. Quant à sa mère adorée, Ann Dunham, elle «avait des opinions bien arrêtées et elle en avait beaucoup». Elle lui expliquait qu’il y ceux qui ne pensent qu’à eux et ceux, au contraire, qui sont capables de se mettre à la place des autres. « Alors a-t-elle conclu en me regardant droit dans les yeux, quel genre de personne veux-tu être ? ». A propos de son père, il a ces quelques mots, « comme je ne connaissais pas mon père, son avis sur la question comptait peu ».
Longtemps son américanité est mise en doute. Au cours d’une campagne contre l’Obamacare, il apparait sous les traits d’un sorcier africain, avec un os en travers du nez. Le Tea Party ravive la rumeur selon laquelle Obama est un musulman né au Kenya. Constat prémonitoire de Barak Obama, «c’était comme si, à travers la voix de Palin, les esprits maléfiques qui rodaient depuis longtemps aux marges du parti républicain contemporain – la xénophobie, l’anti-intellectualisme, les théories conspirationnistes paranoïaques et le racisme- avaient enfin trouver le moyen de se glisser au centre de l’arène». Donald Trump assène qu’Obama, n’étant pas né aux Etats-Unis, c’est donc un président illégitime. Commentaire de ce dernier, «aux millions d’américains terrifiés d’être dirigés par un noir, il a offert un élixir contre leurs angoisses raciales ». Le 45° président des USA répondra finalement à son futur successeur, de façon magistrale, à l’occasion du diner des correspondants de la maison blanche. «Personne n’est plus heureux et plus fier que notre ami Donald de pouvoir tirer un trait sur cette histoire d’acte de naissance. Parce que maintenant il va pouvoir recommencer à se concentrer sur les vraies questions. Est-ce que nous sommes vraiment allés sur la lune ? (………) ».
Diplômé de Columbia et de Harvard, militant associatif, c’est naturellement que Barak Obama se tourne vers la politique. Sa culture, sa vision stratégique, vont le servir. Ainsi, lorsqu’il prend la parole, en octobre 2002, à l’occasion d’un rassemblement contre l’invasion imminente de l’Irak, il tient à souligner, «que, même si nous sommes rassemblés ici aujourd’hui contre la guerre, l’homme qui se tient devant vous n’est pas opposé au conflit armé en toutes circonstances». Il précise, «je ne suis pas contre toutes les guerres. Mais je suis contre les guerres absurdes ». En 2004, il est invité à prononcer le discours inaugural de la campagne de John Kerry à la présidence. A cette occasion il déclarera «il n’y a pas une Amérique noire et une Amérique blanche, une Amérique latino et une Amérique asiatique. Il y a les Etats-Unis d’Amérique ».
Elu sénateur, il considère qu’il a franchi des étapes importantes et il décide de se consacrer entièrement à son travail, notamment au sein de la commission des affaires étrangères.
« Puis une tempête a éclaté et tout a changé », écrit-il.
L’ouragan Katrina vient de ravager les cotes de la Nouvelle Orléans. Obama est révolté par la lenteur de l’administration, face à la détresse des populations, en majorité afro-américaines. «J’ai décidé qu’il était temps de mettre un terme au moratoire que je m’étais imposé sur la scène médiatique nationale». Surtout qu’à cette catastrophe s’ajoute «l’ampleur du désastre auquel avait conduit la guerre» en Irak. Katrina et l’Irak bousculent donc l’agenda politique d’Obama.
En 2007, il annonce sa candidature à la présidence des Etats-Unis. Pourquoi une telle décision ? « Je ne voulais être ni un solliciteur, toujours en marge du pouvoir et en quête de faveurs distribuées par les bonnes âmes de gauche, ni un professionnel de la contestation brandissant en permanence sa colère et son bon droit en attendant que l’Amérique blanche expie ses fautes». «Je savais que, pour accomplir cela, il fallait que j’emploie un langage qui parle à tous les américains (….) la meilleure éducation pour chaque enfant, une assurance-maladie pour chaque américain ». A l’instar de Mandela, Obama est convaincu qu’il faut inscrire « le combat des Afro-américains dans le cadre d’un combat plus large pour une société plus égalitaire, plus juste et plus généreuse ». Il est conscient, écrit-il que « c’était beaucoup demander aux noirs et cela exigeait une bonne dose de patience stratégique ». Il avait déjà développé certaines de ces idées dans son livre précédent, « l’audace d’espérer ».
Le symbole que fut l’élection (et la réélection) d’Obama pourrait se résumer par ces deux anecdotes (qui ne sont pas si anecdotiques).
Il vient de s’installer à la maison blanche. Longeant la roseraie, il va saluer les jardiniers en train de travailler. « L’un des plus anciens était Ed Thomas, un grand noir élancé aux joues creusé qui travaillait à la maison blanche depuis quarante ans » Le nouveau président lui demande dans combien de temps il compte prendre sa retraite. « Je ne sais pas, monsieur le Président, (….) mais je me dis que je pourrais rester tant que vous êtes là. Pour être sûr que le jardin soit bien entretenu ».
Par ailleurs, le président et sa famille insistent pour que les majordomes, dont certains ont servi sous Reagan, soient plus détendus. En réponse à leur insistance, un des employés dit « vous voyez, vous et la First lady, vous ne vous rendez pas vraiment compte, monsieur le président, de ce que ça signifie pour nous de vous vous voir ici ».
Obama, qui se décrit comme « un réformateur, conservateur de tempérament, à défaut de l’être dans ma vision du monde », ne néglige aucun détail. Il apprendra, par exemple, à faire un salut militaire impeccable.
Pour atteindre ses objectifs, Obama saura rassembler au-delà de son parti et de ses soutiens. Ainsi il offre le ministère de la défense au républicain Robert Gates, ancien du cabinet de Georges Bush ; les affaires étrangères à son adversaire des primaires Hillary Clinton. Il promeut des jeunes comme Ben Rhodes, auteur de ses discours, dont l’un des plus célèbres, celui du Caire. Rhodes a publié, en 2019, un ouvrage, passionnant et plein d’admiration, sur son patron, intitulé « Obama Confidentiel ».
Comme il le rappelle, Obama est né d’un père Kenyan, et il a vécu en Indonésie. « Ces expériences m’ont appris à voir mon pays avec les yeux d’autrui ». Et il ajoute « cette double vision, ainsi que ma couleur de peau, me distinguaient de mes prédécesseurs ». En politique intérieur il bouscule le système, met en place la couverture médicale, désormais connue sous le nom de « l’Obamacare », organise le sauvetage des banques (c’est son gouvernement qui développe les fameux « stress tests » pour les banques) et du secteur de l’automobile, fait adopter la loi climat, etc. Obama effectue des voyages officiels, tache de parler avec tout le monde. Il participe à des sommets. L’occasion de dresser des portraits de ses interlocuteurs. En voici quelques-uns:
Gordon Brown, le premier ministre britannique est « sérieux, responsable, et comprenait la finance internationale ». Angela Merkel, « un mélange de talent organisationnel, de flair stratégique et de patience inébranlable ». Nicolas Sarkozy « tout en emportements émotifs et en propos hyperboliques ». Lula, « peu convaincant ». Si Jacob Zuma semblait « assez avenant », une large partie de la bonne volonté acquise grâce à la lutte héroïque de Mandela était dilapidée pour cause de corruption et d’incompétence des dirigeants de l’ANC ». Les entretiens avec Hu Jin Tao sont soporifiques. Difficile de résumer un livre si riche. Un mot sur Nasser, « colonel charismatique et raffiné », qui a institué « un Etat laïc avec parti unique ». D’autres dirigeants arabes tentèrent de l’imiter mais « ils n’avaient ni sa sophistication, ni son art pour galvaniser les foules ». Quant au Hamas, il est qualifié de « groupe de résistance palestinienne ». La situation au Moyen Orient est analysé avec une certaine sincérité. Benyamin Netanyahou, Mahmoud Abbas, le Roi d’Arabie Saoudite et Hosni Moubarak ne sont pas ménagés. Seul trouve grâce aux yeux de l’auteur, celui qui est alors le Prince héritier des Emirats Arabes Unis. Son épouse et leurs deux filles sont omniprésentes, bien évidemment. On ne peut pas comprendre Barak sans Michelle, auteure du passionnant « Devenir ». L’Afrique est totalement absente de ce premier volume. Peut-être dans le second ?