«La numérisation des salaires est une alternative à la bancarisation qui n’est pas adaptée aux populations à faibles revenus»
En lançant le projet de numérisation des paiements, l’Etat du Sénégal a misé sur la stratégie pour accélérer la croissance, l’innovation et le développement inclusif. De ce fait, la numérisation est un enjeu capital pour les entreprises au Sénégal où moins de 20% des employés reçoivent leurs salaires par voie numérique. Ayant tenté l’expérience de la numérisation, la Compagnie sucrière sénégalaise (CSS) revient sur un procédé qui séduit de jour en jour de nouveaux adeptes. Son Secrétaire général, Claude Fizaine, expose dans cette interview accordée à Financial Afrik, les avantages de la dématérialisation des bulletins de paie.
Comment est né le projet de la CSS de numériser les salaires de ses travailleurs?
Le projet est né de la volonté de CSS de réduire le plus possible les versements de salaires en espèces tout en protégeant au mieux la population concernée des dangers de la bancarisation. C’est pourquoi nous avons considéré un mode de paiement direct, sans frais pour le salarié et ne nécessitant pas l’ouverture de compte bancaire. De plus, lorsque le produit en question s’appuie sur des partenaires financiers significatifs de l’entreprise et offre des services connexes non négligeables (micro-crédit notamment), il répond alors pleinement à nos préoccupations. C’est pourquoi nous nous sommes rapprochés de YUP dans un premier temps, puis de Wizall Money. Pour les employeurs, les avantages sont d’éviter les contraintes relatives à la gestion et à la distribution de quantités importantes de cash ainsi que toutes les dérives qui peuvent se greffer à cette distribution. De plus, cela permet d’offrir aux populations d’employés concernées des outils adaptés à leur situation financière et familiale, ce qui ne peut qu’avoir des répercussions positives sur leurs vies personnelle et professionnelle.
Peut-on considérer la numérisation comme une alternative à la bancarisation jusque-là très faible sur le continent ?
La numérisation est justement une alternative à la bancarisation qui n’est pas adaptée aux populations à faibles revenus et génératrice de frais et d’endettement et de surendettement. Les salariés n’ont besoin que d’une SIM pour percevoir les montants qui leur sont dus.
Quel est l’impact de la numérisation du paiement des salaires dans la région ouest-africaine ?
La réponse appartient aux acteurs du secteur tels que YUP, Wizzall Money…Toutefois, il est clair que la cible est large (populations à faible revenus notamment) et que des activités se prêtent tout particulièrement à ce type de versements : agro-industrie (personnels saisonniers et/ou journaliers, producteurs locaux qui apportent leur production, petits transporteurs,…), activités pour lesquels les travailleurs sont isolés ou déplacés (chantiers de construction, mines, sites pétroliers,…). Par conséquent et si les conditions sont réunies, y compris les mesures incitatives qui manquent à ce jour, on peut anticiper une forte croissance de ce mode de règlement des salaires.
Quels sont les obstacles à franchir pour arriver à cette digitalisation ?
Les obstacles sont de 4 natures. D’abord, l’adhésion ou la confiance des bénéficiaires : fiabilité des transactions, absence de coûts, services offerts (micro-crédit notamment). Ensuite la présence sur le terrain d’un réseau de points de paiement suffisants et assurant un règlement rapide et en une fois des sommes dues (mobilisation des liquidités suffisantes au moment requis). Aussi, la confidentialité et l’intégrité des transactions : celle-ci n’étant pas assurée dans les petits points de paiement (boutiques,…) il faut privilégier l’implantation d’agences bancaires, de guichets automatiques, de points cash. C’est pourquoi, à notre avis, les produits adossés à des réseaux bancaires ont plus d’avenir. Par ailleurs, ceci représente pour des sociétés comme la CSS des contreparties intéressantes à apporter à ces partenaires financiers, avec un maximum de sécurité apportée à la gestion et à l’intégrité des transactions en question, du fait des relations de partenariat global entre l’entreprise, la banque et l’opérateur. Et, enfin, le coût du service : en effet, ce coût constitue pour l’entreprise une charge supplémentaire nette. Or les tarifs pratiqués actuellement sont particulièrement élevés (entre 1,5% et 2,5% HT selon les volumes traités).
Ceci est clairement une barrière. Cela provient du fait que les opérateurs tarifient le service au titre d’un service aux entreprises alors qu’il s‘agit en fait d’un service aux plus vulnérables, complémentaire à la microfinance. Par conséquent, ce service devrait d’une façon ou d’une autre être subventionné (soit par des organismes internationaux, soit par les Etats soit par les opérateurs et leurs partenaires).
La CSS a fait l’expérience de la digitalisation du paiement des salaires, quels avantages en tirez-vous ?
Le principal avantage est de mettre notre force de travail la plus vulnérable financièrement dans une situation la plus sécurisée possible lorsqu’il s‘agit de percevoir sa rémunération et de gérer ses finances. Lorsque les travailleurs sont confortables dans leur vie quotidienne, y compris financièrement, ceci ne peut qu’avoir des répercussions positives et constructives pour l’entreprise qui a su financer et mettre en place une solution adaptée à leurs problèmes quotidiens et favoriser le dialogue social. Par ailleurs, ceci est aussi une opportunité non négligeable de renforcer notre partenariat avec certains de nos partenaires financiers et de les globaliser.