Reckya Madougou, 46 ans, est donc candidate aux présidentielles du Bénin prévues le 11 avril prochain. La nouvelle a fait le tour des villages et salons de ce petit pays plat, à cheval entre le Nigeria et le Togo, transformé depuis peu en laboratoire à ciel ouvert du renouveau africain. L’ancienne ministre de la Justice a déposé sa candidature le 4 février 2021 se posant de facto en sérieux challenger face au président Patrice Talon, 62, ans, candidat à sa propre succession, au terme d’un mandat auréolé d’un bilan positif. Des vingt candidatures déclarées, outre celle du président sortant, c’est Reckya Madougou qui suscite le plus de dynamiques auprès de l’opinion publique béninoise.
Prix spécial du leadership lors des Financial Afrik Afrik Awards, Reckya Madougou est candidate du parti “Les Démocrates” de l’ancien Président Boni Yayi, qui a pris la décision à l’occasion de la séance de concertation tenue mercredi 3 février 2021. Son engagement au service de l’économie inclusive que l’on retrouve dans son dernier livre “soigner les certitudes” revêt quelque part les allures d’un programme politique et les prémices d’un duel idéologique entre l’économie sociale qu’elle incarne à son corps défendant et le libéralisme économique à la Patrice Talon qui, de 2016 à 2020, a vu le Bénin franchir pour la première fois la catégorie des Pays à revenus intermédiaires (PRI).
Actuelle conseillère spéciale du chef de l’État togolais, Reckya Madougou aura comme colistier Patrick Djivo, ancien député à l’Assemblée nationale choisi pour briguer le poste de vice-président. Plus que la femme politique plusieurs fois ministre, Reckya Madougou est connue en dehors de son pays comme une actrice du développement, ayant aidé plusieurs pays africains à concevoir des instruments spéciaux dédiés au financement agricole, à l’emploi des jeunes, à l’autonomisation des femmes et à l’inclusion financière.
« Touche pas à ma constitution »
En 2018, elle a été choisie comme membre exécutif et a suivi avec succès le programme intensif et élitiste « Driving Government performance, leadership that produces results» de la prestigieuse Harvard Kennedy School.
Très engagée dans l’activisme communautaire, elle a mené la grande campagne citoyenne « Touche pas à ma Constitution » à la tête de la société civile de son pays entre 2004 et 2006, son acte de naissance politique, aujourd’hui répliquée dans plusieurs pays africains. Après son passage remarqué dans le secteur privé, notamment dans les télécommunications et l’automobile (directrice commerciale et marketing chez l’opérateur GSM BBCOM, directrice de projet à Nasuba Telecoms, Membre du Conseil d’orientation de l’autorité des postes et télécommunications du Bénin, directrice commerciale chez le concessionnaire Volkswagen au Bénin couvrant plusieurs pays de la sous-région, promotrice de plusieurs cabinets d’études…), Reckya a été plusieurs fois ministre dans son pays.
Ainsi, en 2008, elle est devenue membre du gouvernement de la République du Bénin et y est restée cinq ans, d’abord en tant que ministre chargée de la microfinance, de l’emploi des jeunes et des femmes, où elle s’est distinguée en autonomisant plus de deux millions de bénéficiaires: des femmes, des jeunes, des entrepreneurs, des artisans et des agriculteurs, grâce à des programmes de partenariat entre le secteur public et le secteur privé qui ont contribué à faire du Bénin en 2012 le pays ayant le plus faible taux de pauvreté monétaire de l’espace UEMOA (Union Économique et Monétaire Ouest Africaine). De même, dès 2009, le Bénin occupe la première place de l’inclusion financière au sein de la CEDEAO (Communauté Économique Des États de l’Afrique de l’Ouest).
Ensuite promue Garde des Sceaux, ministre de la justice, de la législation et des droits de l’homme, Porte-parole du gouvernement, Reckya Madougou a également marqué son passage notamment à travers le dégel d’une importante crise ayant paralysé sur plusieurs mois l’administration judiciaire avant sa prise de fonction ainsi que plusieurs réformes dont celles de la magistrature et des tribunaux de commerce qui a contribué à l’éligibilité du Bénin au programme américain Millenium Challenge Account (MCA).
Reckya Madougou a également appuyé la conception et la mise en place par le gouvernement ivoirien en 2012 du Fonds d’Appui aux Femmes de Côte d’Ivoire (FAFCI) pour le financement des activités génératrices de revenu des femmes, qui connaît un grand succès.
Une dimension continentale
Au Togo pour le compte du Bureau International du Travail (BIT), elle a pu accompagner le gouvernement dans le processus de conceptualisation puis de création du Fonds National de la Finance Inclusive (FNFI) en 2014 qui a hissé le Togo en 2019 à la première place de l’inclusion financière dans l’espace UEMOA. De même qu’elle a conduit le processus de formulation et de formalisation du Mécanisme Incitatif de Financement Agricole fondé sur le partage de risques (MIFA) qui permet de derisquer l’agriculture pour y accroître le financement bancaire. Le MIFA est en passe de révolutionner le secteur de l’agrobusiness au Togo avec des résultats très encourageants à sa phase pilote en 2019. Elle a également très activement pris part aux travaux de la task team présidentielle ayant élaboré le Plan National de Développement (PND) 2018-2022.
En République du Congo, Reckya Madougou a élaboré la stratégie de création du Fonds d’Appui à la Promotion de l’Entreprenariat des Jeunes (FAPEJ).
En 2015, elle a été désignée comme ambassadrice Unitlife pour l’Afrique lors des Assemblées générales des Nations-unies, avec pour objectif de promouvoir des financements innovants en faveur de la lutte contre la malnutrition dans les pays africains, sous le leadership de Dr. Phillippe Douste-Blazy, ancien ministre français des Affaires étrangères.
Aujourd’hui, elle conseille plusieurs gouvernements africains sur des questions relatives à l’inclusion financière, à la création d’emplois et d’entreprises, à la numérisation de l’économie, à l’autonomisation des jeunes et des femmes et à la lutte contre la pauvreté. En 2018, avec plusieurs personnalités intellectuelles, elle a lancé le Think & Do tank, Team RM (Team des Réflexions et Méthodes à succès) pour travailler sur la transformation structurelle de l’Afrique. C’est ainsi qu’en mai 2020, sous le haut patronage de SEM Cyril Ramaphosa, Président de la République d’Afrique du Sud et président en exercice de l’Union Africaine, elle initie en partenariat avec Ecobank, la Confédération des Institutions financières d’Afrique de l’Ouest et la Fondation haïtienne Louis G. Lamothe, un webinaire inédit de haut niveau ayant pour thème: «Finance Inclusive et Covid 19. Atelier virtuel de préparation des acteurs à la résilience». Ce séminaire a réuni des membres de gouvernements de toutes les régions d’Afrique et des Caraïbes, les représentants des MPMEs (micro, petites et moyennes entreprises), les acteurs financiers, des organisations internationales. L’objectif étant de proposer des solutions de résilience aux chocs générés par cette pandémie et d’assistance bien ciblée pour sauver le tissu économique africain.
Ce séminaire a eu un grand écho et ses recommandations ont connu déjà des mises en œuvre pour certaines par des gouvernements, des organisations sous-régionales et internationales et le secteur privé. Sa recette principale fut la participation d’une trentaine d’acteurs de premier plan de l’élite économique du continent africain et de la diaspora et des Caraïbes, des experts de la finance inclusive et des mécanismes de développement, des acteurs gouvernementaux, des acteurs de l’économie réelle, des patrons de multinationales et décideurs dans des organismes internationaux.
Suite à ce séminaire dont l’une des recommandations était la facilitation du financement des MPMEs, le Think & Do tank, Team RM en partenariat avec Untapped, une entreprise internationale de technologie à impact basée à San Francisco (États-Unis) a lancé The Nest Afrique francophone. Une plateforme de développement de l’écosystème des start-ups en Afrique. Elle met en relation des entrepreneurs africains avec des busines angels et acteurs financiers et techniques du monde via des concours de pitch en ligne au cours desquels les entrepreneurs décrochent d’importants engagements d’investissement et d’appuis divers.
Militante du développement, Reckya Madougou a reçu plusieurs distinctions dont le prestigieux « Woman of courage Award » du gouvernement américain en 2007 (Département d’État). Élevée au rang de Commandeur de l’ordre national du Bénin (2012) et de celui du Togo (2014), elle est aussi récipiendaire du Prix spécial pour la promotion de l’inclusion financière en Afrique » obtenu au Congo (2015), du Prix du FIDA en « reconnaissance de ses mérites pour la promotion de l’entreprenariat des jeunes « .
(2011). En outre, une lettre spéciale de félicitation lui a été adressée en 2011 du siège de l’Organisation des Nations-
Unies par l’administratrice générale du PNUD d’alors, Helen Clark, en reconnaissance de ses efforts
et innovations en faveur de l’autonomisation des femmes et des jeunes.
Reckya Madougou est entre autres, titulaire du diplôme d’études supérieures de l’École des Hautes études internationales de Paris (HEI) (2000), option Affaires Internationales et d’un diplôme d’ingénierie commerciale obtenu à l’Institut Supérieur Européen de Gestion de Lille (1998). Elle est également diplômée de l’Institut National d’Economie (devenu Ecole Nationale d’Economie. À la Harvard Kennedy School aux États-Unis d’Amérique, elle a suivi le programme « Driving Government performance» dont elle obtient le parchemin en 2018.