Les Etats du G5 Sahel et la France, initiatrice de la force Barkhane, ont prévu de se réunir à N’Djaména les 15 et 16 février. Cette rencontre doit permettre d’entériner une nouvelle stratégie de lutte antiterroriste tout en dressant le bilan du contexte, un an après le sommet de Pau dans le sud de la France. Si les chefs d’Etat des cinq pays membres (Burkina Faso, Niger, Mali, Mauritanie et Tchad) doivent se retrouver dans la capitale tchadienne, Emmanuel Macron a, pour sa part, décidé de ne pas se déplacer physiquement contrairement à ce qui était initialement prévu.
Officiellement le chef de l’Etat français entend respecter les mesures de fermeture des frontières instaurées en France dans le cadre de la lutte contre la Covid 19. Officieusement, ce changement répond à la volonté de l’Elysée de ne pas se rendre au Tchad au moment où les tensions politiques se multiplient. Le 5 février, plusieurs personnalités ont été arrêtés parmi lesquels le secrétaire général de la Convention tchadienne pour la défense des droits de l’homme (CTDDH), Mahamat Ibedou, après avoir participé à une manifestation non autorisée. De son côté, l’opposant Succès Masra, fondateur du parti Les Réformateurs, s’est réfugié à l’ambassade des Etats-Unis à N’Djaména. Les protestations visaient la candidature du président Idriss Deby Itno à la présidentielle d’avril prochain. Le président tchadien brigue un sixième mandat consécutif. La France sera néanmoins représentée par les ministres Jean-Yves Le Drian (Affaires étrangères) et Florence Parly (Armée).
Renforts
Selon les informations de Financial Afrik, plusieurs décisions seront entérinées au cours de cette rencontre. L’une d’entre elles réside, sur la forme, dans le renforcement des forces en présence. Outre l’apport d’un nouveau bataillon tchadien pour compléter les sept bataillons du G5 Sahel, la Talk Force européenne Takuba, actuellement composée de neuf pays (Suède, Tchéquie, Estonie…), bénéficiera d’une hausse de moyens tout au long de l’année avec la participation d’autres Etats à l’instar du Portugal, ou du Danemark. Dominées par la France, l’Allemagne et l’Espagne, les programmes européens de formation (European Union Training Mission, EUTS) devraient également connaître une tendance haussière. Les effectifs, notamment d’instructeurs, sont appelés à passer de 750 à 1050 en 2021 puis à 1250 en 2022. Cette montée doit permettre de confirmer la professionnalisation progressive des armées africaines, phénomène notable ces derniers mois. Selon Franck Paris, conseiller Afrique d’Emmanuel Macron : « L’opérabilité de ces armées est de plus en plus marquée. Elles progressent dans leur autonomie. Un chemin considérable a été réalisé ». Au total, 8000 soldats dont 5100 Français s’investissent sur le théâtre sahélien. Contrairement aux multiples effets d’annonce de ces dernière semaines, Paris maintient son engagement et ne modifie pas le niveau d’effectif de Barkhane (5100 hommes).
Djimé Adoum à la tête de la coalition Sahel
Le sommet de N’Djaména doit par ailleurs déboucher sur une meilleure coordination entre pays de la zone. Alors que la menace terroriste s’étend, selon le DGSE française, au sud de l’Afrique de l’Ouest et dans le Golfe de Guinée, les pays de la Cédéao s’engageront à une meilleure surveillance de leurs frontières et à la mutualisation du renseignement. Pour la première fois dans ce type de rencontre, le président en exercice de l’organisation sous-régionale, le Ghanéen Nana Akufou-Addo, assistera aux débats. Le transfert de Paris à Bruxelles du siège de la Coalition pour le Sahel, lancée début 2020, sera également officialisé. L’ancien ministre tchadien de l’agriculture, Djimé Adoum, en prendra les rênes. Ce dernier présidait précédemment le CILSS (Comité inter-Etat de lutte contre la sécheresse au Sahel), organisation sous-régionale de développement créée en 1973 en vue de développer cette zone.
La Katiba Macina en ligne mire
Sur le fond, la France réitérera par la voie de son chef de la diplomatie, un principe intangible à ses yeux: les tentations du rapprochement voire de la négociation avec les groupes djihadistes dont les plus menaçants : l’Etat islamique au Grand Sahara (EIGS) et le Groupe de soutien à l’Islam et aux Musulmans (GSIM). Les récents propos des autorités maliennes mais aussi burkinabè, notamment du premier ministre Christophe Dabiré, laissent à penser qu’une porte reste entrouverte pour un tel scénario. Paris continue de se ranger derrière l’Accord d’Alger, lequel vient d’être relancé par les gouvernants de la transition à Bamako. Si de tels rapprochements venaient à se confirmer, sa participation à contenir la menace islamiste deviendrait caduque. Après la neutralisation de plusieurs leaders djihadistes dont Abdelmalek Droukdel en juin 2020 au Mali, le fondateur de la Katiba Macina, Amadou Koufa, devient plus que jamais l’ennemi à abattre aux côtés d’Iyad Ag Ghali, patron du GSIM affilié à Al-Qaïda.