Avec pour ambition de créer la plus grande zone de libre-échange au monde dotée d’un marché de 1.2 milliard de consommateurs pour un PIB d’environ 2.500 milliards de dollars US, la ZLECAF a récemment été adoptée par 54 pays sur 55 (à l’exception de l’Erythrée). L’objectif étant de réduire les tarifs douaniers sur près de 90 % des produits et créer une zone continentale dans laquelle devront circuler sans restriction les biens, les personnes et les services.
Pour atteindre ses objectifs, la ZLECAF entend recourir à divers instruments déjà utilisés et mis en œuvre par différentes zones de libre-échange. Il s’agira par exemple de la notion des règles d’origine, des investissements intra-africains ou encore la politique de concurrence. Certains de ces instruments sont déjà en application dans certaines zones de libre-échange sous régionales ou Communautés Économiques Régionales (CER). Avec huit CER officiellement reconnues, les pays africains se sont d’ores et déjà exposés à l’expérience d’une zone de libre-échange, telle que la CEDEAO.
Dès lors, la coexistence de la ZLECAF et la CEDEAO et surtout le point sur l’avenir de l’espace ouest africain sont des questions qui sont soulevées par le déploiement graduel de la ZLECAF.
ZLECAF, outil d’harmonisation : À la lecture du Traité de l’Accord Portant Création de la Zone de Libre Échange Continentale Africaine, l’on comprend que l’objectif demeure la mise en place d’un marché commun harmonisé. Certaines dispositions du Traité font d’ailleurs référence aux notions de «marché unique» et «union douanière continentale» au titre des objectifs généraux de la ZLECAF.
De même, des dispositions du Traité accordent, sous certaines conditions, une préséance audit traité sur tout autre accord régional en cas d’incompatibilité ou de conflit. Une telle disposition pourrait notamment trouver application dans les méthodes de calcul des règles d’origine. Cet objectif d’harmonisation se retrouve également dans le protocole sur les règles et procédures relatives au règlement des différends qui crée un organe de règlement des différends (ORD) entre les États membres. Il est entre autres prévu que la saisine de l’ORD par un État membre doit être précédée de la procédure des consultations en vue de trouver une solution à l’amiable.
Toutefois, tout en maintenant cet objectif d’harmonisation à travers le continent, il apparait que la ZLECAF est bâtie sur des acquis des CER dans l’optique d’aboutir à des règles communes. Ceci est d’ailleurs rappelé par le Traité au titre des principes de la ZLECAF.
Dans ce contexte, la question de la coexistence de la ZLECAF et certaines CER, telles que la CEDEAO, de même que le point sur l’avenir des CER se posent.
Coexistence et avenir de la CEDEAO : Avec un PIB d’environ 600 milliards de dollars US et un flux migratoire significatif, l’espace CEDEAO apparait comme l’une des CER les plus dynamiques du continent. En 2016, la valeur des échanges dans l’espace CEDEAO avoisinait 11 milliards de dollars US. L’ensemble de ces éléments explique le rôle joué par les institutions de la CEDEAO lors des négociations pour la ZLECAF.
À cet égard, la question du fonctionnement de la ZLECAF face à la CEDEAO et les autres CER déjà existantes est un point fondamental qui a été soulevé par le Traité. Ainsi, il est rappelé dans le Traité de la ZLECAF que la libre circulation des capitaux et des personnes sera atteinte en s’appuyant sur les initiatives des CER. De même, ce Traité tempère le principe de préséance sur les autres textes régionaux en permettant aux pays membres de CER qui ont atteint des niveaux d’intégration plus élevés que la ZLECAF de maintenir ces niveaux d’intégration issus des CER.
On comprend ainsi que tout en visant une harmonisation règlementaire sur le continent, la ZLECAF entend faire subsister la CEDEAO pour peu que soient atteints des niveaux d’intégration élevés. À ce titre, l’on pourrait conclure que les entreprises de l’espace CEDEAO qui bénéficient actuellement du Schéma de Libéralisation des Échanges (SLE)[1] pourront continuer à se référer aux exigences qui y sont prévues. Le même principe pourrait aussi prévaloir pour le tarif extérieur commun en vigueur dans l’espace CEDEAO et qui régit les droits de douane applicables aux biens importés dans l’espace CEDEAO.
Une telle approche pourrait fonctionner durant une période de transition, à l’image de la ZLECAF qui sera déployée sur le continent en différentes phases plus ou moins longues. Cependant, se posera à terme la question d’un remplacement complet des organes politiques et législatifs, ainsi que le cadre économique de la CEDEAO par la ZLECAF et ses institutions. À titre d’exemple, lorsque l’Accord de Libre Échange Nord-Américain (ALENA) fut signé en 1992 (et entré en vigueur le 1er janvier 1994), il a automatiquement supplanté un accord préexistant entre le Canada et les États-Unis, l’Accord de Libre Échange (ALE) qui a gouverné la zone de libre-échange entre les États-Unis et le Canada entre 1987 et 1994.
[1] Le SLE est l’instrument crée en vertu de l’article 3 du traité révisé de la CEDEAO. Il vise à clarifier notamment la définition de produits originaires dans le cade de la détermination des règles d’origine des produits pouvant bénéficier des tarifs préférentiels ou suppression de droits de douane.