Entretien réalisé par Rodrigue Fénelon Massala, Grand Reporter.
Comme l’annonçait Financial Afrik en exclusivité, la congolaise Débora Kayembe Buba est la première africaine élue recteur de l’université d’Edimbourg, classée huitième dans le monde. En quatre siècles, 53 recteurs s’y sont succédés, tous blancs dont deux femmes. Pour son premier entretien, celle que Le Monde présente comme une ancienne réfugiée, avocate et militante des droits de l’homme, a choisi Financial Afrik pour sa première sortie médiatique. Premières impressions.
Qui est Madame Debora Kayembe ? Pouvez –vous brièvement vous présenter à nos lecteurs ?
Je voudrais d’emblée avant tout propos témoigner toute ma gratitude à Financial Afrik qui m’offre l’occasion de m’exprimer pour la toute première fois après mon élection, dans un prestigieux journal panafricain de vocation internationale. Pour revenir à votre question : je suis Debora Kayembe Buba Feza , je suis né le 10 avril 1975 à Kinshasa dans l’ancienne Zaïre, l’actuel République Démocratique du Congo. Mon père était le Professeur Kayembe Buba Jean Baptiste , il était professeur ordinaire en Math Physique et ma Mère Sylvia Bwalya, une Zambienne , interprète. Je suis le produit d’une combinaison panafricaine par essence. Avocate de formation et Linguiste, car je parle 5 langues couramment ( français, Anglais, Swahili, Lingala, kikongo ); militante des droits de l’homme depuis l’âge de 19 ans.
Vous venez d’être élue recteur de l’Unversité d’Edimbourg. Qu’est cela représente pour vous-même et pour le continent africain ?
Mon élection à la tête de l’université d’Edimbourg constitue une révolution qui va marquer l’histoire de l’humanité. C’est un pas qualitatif géant dans le combat pour l’égalité des peuples. Je suis honoré de faire partie de ce processus et fière d’être la personne qui ouvre cette porte aux peuples d’Afrique.
Que ressentez-vous après ce sacre qui vous permet de gravir la plus haute marche de responsabilité académique dans une université écossaise loin de la terre de vos ancêtres ?
Je crois fermement que bien loin de mon Congo natal, mon accession à la haute cour de l’université d’Edimbourg ,honore au plus haut degré le peuple congolais et l’Afrique en général; je dois à cet effet travailler dur afin de contribuer d’une manière significative et prospective au développement de l’ Afrique surtout dans le domaine de l’éducation. Ma fonction va me rapprocher de l’Afrique et du Congo, mon pays natal, à travers la multiplication des échanges scientifiques et académiques que j’envisage entreprendre entre l’Ecosse et le continent.
Pouvez-vous brièvement nous présenter les grands axes de votre feuille de route ou programme universitaire que vous allez développer durant votre mandat ?
J’attends d’abord donner la chance aux enfants des familles pauvres d’Ecosse à travers un programme spécial de bourse d’étude parcequ’il sied de le spécifier, l’université d’Edimbourg a un total de 75% des étudiants internationaux . Ainsi, je vais ouvrir les portes de l’université aux enfants écossais intelligents issus des milieux modestes. Ensuite, une priorité sera accordée au continent Africain à propos de l’éducation, le développement personnel de la femme africaine, un programme spécial sur le planning familial pour les familles Africaines résident ici et surtout une éducation sanitaire pour tout le continent. Enfin, pour l’Ecosse, j’ambitionne inscrire dans mon agenda, un programme antiraciste, en parvenant à démanteler le curriculum du statut quo qui existe présentement et de promouvoir une éducation antiraciste. En ma qualité de militante des droits de l’homme, je compte continuer à promouvoir la paix et la justice à travers le monde.
Vous êtes arrivée en Ecosse en 2011. Comment l’avocate des droits de l’homme a-t-elle pu intégrer la sphère académique et/ou universitaire du Royaume jusqu’à devenir Recteur ? On a aussi noté que des parlementaires britanniques ont demandé le vote d’une motion à votre égard pour saluer votre brillante élection. Qu’en est-il ?
D’abord il faut clarifier un élément important : la Fonction de Recteur en Grande Bretagne est purement politique, elle n’a rien avoir avec les titres académiques. Je suis une figure de marque en politique en Écosse, incontestablement durant les deux dernières années, j’étais l’une des femmes les plus influentes dans la sphère politique écossaise à travers mon combat pour la lutte contre les inégalités et pour la promotion des droits de l’homme. La Motion au parlement britannique a été introduite par Owen Thompson un député national, c’est purement une procédure protocolaire exigée par la coutume parlementaire britannique. Pour moi c’est un honneur et je remercie le parlement pour cette marque de considération à travers tous les messages de félicitations que plusieurs députés ne cessent de m’adresser depuis mon élection.
Qu’est ce qui vous a éloigné de votre Congo natal pour venir demander l’asile au Royaume Uni ?
Je vais être brève à ce sujet parce que ce dossier est en cours de traitement devant la Cour pénale internationale ; je devais quitter le Congo car c’était une question de vie ou de mort. Mes amis activistes de droits de l’homme m’ont aidé au péril de leurs vies pour échapper à cette épreuve et je suis vivante grâce à eux, ils sont tous malheureusement mort présentement et je profite des colonnes de Financial Afrik pour leur rendre un vibrant hommage.
Vous êtes la première femme noire a être portée à la tête de la 3eme plus prestigieuse université du Royaume Uni après 4 siècles . Quel message avez-vous à lancer à l’endroit des dirigeants du continent qui investissent peu dans l’éducation la recherche et la formation ?
comme je l’ai dit plus haut , la femme va montrer au monde qu’elle peut donner la vie, éduquer ses enfants à la maison , bâtir son foyer et bâtir une nation, il n’y a plus de limites dans le rôle de la femme. Elle est capable de tout quelque soit ses origines. Aux dirigeants Africains, je lance ce vibrant message : un pays sans éducation nationale est un pays mort ; l’âme de son peuple sera jetée dans les oubliettes. Investir dans le secteur de l’éducation constitue un atout majeur pour l’éclosion d’une nation car l’éducation doit demeurer la priorité des priorités . Vous savez ! Les britanniques considèrent l’éducation qui est une combinaison de l’enseignement et de la santé comme le centre de gravité du développement et de l’émancipation d’une société. Une fois que nos dirigeants Africains comprendront cela, l’Afrique dirigera le monde demain.
Quel partenariat comptez-vous développer avec les universités africaines ?
Je suis à l’écoute des universités Africaines. Mon programme aura un intérêt direct sur le développement de l’éducation entre l’Ecosse et l’Afrique. L’Afrique a beaucoup à apprendre de l’Ecosse et de même l’Ecosse de l’Afrique. Un partenariat juste et équitable constituera la base du partenariat et des échanges. Tel est mon leitmotiv.
En guise de conclusion quel sera votre mot de la fin ?
Je remercie tous ceux qui m’ont soutenu pendant toutes ces années. Des années pénibles et, malgré tout, dans la résilience. Nous avons accompli nos devoirs, c’est difficile d’oublier les épreuves que j’ai traversées dans ce pays, loin de la terre de mes ancêtres. Ne perdez pas espoir, soyez déterminés dans tous ce que vous faites, pensez aux autres avant vous-même, pardonnez à vos ennemis mais ne retournez plus jamais auprès de ceux qui vous ont fais souffrir. Que Dieu bénisse l’Afrique et l’Ecosse.