À l’heure de la quatrième révolution industrielle, la problématique de la durabilité de l’émergence des économies numériques se pose avec acuité. Le Guinea investment forum (GUIF) qui s’est ouvert le 24 février 2021 à Conakry et qui a été clôturé ce vendredi 26 février a permis à des acteurs institutionnels, de la gouvernance et du privé de confronter leur approche sur ce nouveau paradigme qu’est l’économie numérique, ainsi que sur les impacts de la dématérialisation des économies sur le développement durable. C’est l’une des thématiques de panel parmi d’autres qui a suscité le plus de l’intérêt. Avec d’un côté l’impérieuse nécessité pour les États de suivre le rythme de l’évolution technologique pour ne pas être en marge de cette révolution. De l’autre, les limites de cette course effrénée à l’innovation en termes d’intégration, d’inclusivité, d’éthique, de protection des données, in fine de viabilisation de façon durable de l’ensemble de cet écosystème.
Les quatre composantes de la durabilité numérique selon Thierry Lacroix de OnePoint
Pour le Directeur Afrique de OnePoint, qui est intervenu par visioconférence depuis Paris, l’économie numérique est bien entendu une opportunité à saisir car « toute transformation est considérée par certains comme dangereuse mais s’il n’y a pas d’audace, il n’ya pas d’innovation. Je ne sais pas si tout est possible avec l’Économie Numérique mais en tous cas, on l’a vu à travers cette crise sanitaire et constatons qu’elle contribue à la résilience des économies mais également de la société. L’économie numérique ne représente pas un danger en tant que tel mais il y a des points d’attention à prendre en compte pour garantir une économie numérique au service de ses usagers », souligne-t-il.
» Parmi ces attentions, poursuit-il, j’en retiendrais quatre. Le premier point, c’est la cybersecurite et la protection des données. Sur ce, la réglementation est un point essentiel, notamment en terme de législation. En légiférant sur les aspects transactionnels, la protection des données et la cybersécurité qui sont des éléments fondamentaux pour mitiger les risques liés à l’économie numérique. Le deuxième point, c’est un enjeu de souveraineté finalement parce qu’on parlait jusque-là de souveraineté économique et depuis un an, on parle de souveraineté numérique. Elle est donc fondamentale, notamment pour de nombreux pays à travers monde et notamment pour le continent africain ».
Selon Thierry Lacroix, de plus en plus d’acteurs privés et publics produisent des données, il faut pouvoir les analyser et les sauvegarder localement à travers la création de Data Center régionaux ou nationaux, c’est également quelque chose de fondamentale dans l’atteinte de la souveraineté numérique. « Le troisième point qui permet de mitiger ces risques-là, c’est de garder en tête, cette nécessaire inclusivité des personnes mais également des territoires. Chez nous à OnePoint, nous travaillons sur des questions d’identité numérique pour lesquelles, on l’a bien vu en interrogeant de nombreux acteurs dans le monde y compris en Afrique, il ressort que la notion de l’inclusivité est au cœur des enjeux et constitue un des facteurs principaux de succès le plus évident finalement de l’identité numérique dans le monde. Donc la transformation numérique ne sera bénéfique que si elle arrive à prendre en compte les femmes, les jeunes, les séniors, les populations rurales, le désenclavement, l’administration publique qu’on oublie trop souvent, le secteur informel ou les personnes en situation de handicap. Nous travaillons en ce moment sur un projet d’inclusion des PME/TPE dans un pays de la zone UEMOA afin de formaliser les TPE et PME à travers le numérique et tout l’enjeu, c’est justement d’identifier des cas dont peuvent bénéficier ces acteurs économiques qui sont aujourd’hui dans le secteur informel et dont l’inclusion ne peut pas exclusivement se limiter à payer des impôts, des TVA, mais ils doivent pouvoir également bénéficier de nouveaux services qui sont utiles pour eux et leurs clients finaux. Sur ce, on voit l’importance de la formation, puisqu’on se rend compte finalement qu’on n’a pas créé un fossé de « l’illectrolisme » qu’on pourra retrouver auprès de certaines populations » fait-il remarquer.
» Le dernier point que je voudrais relever, c’est le sujet de l’empreinte positive. Nous avons une conviction qui est celle de la responsabilité, certes économique mais elle doit être aussi sociale, environnementale et technologique. Donc dans un monde post-covid-19 en plein bouleversement, il faut rechercher un modèle qui doit être aujourd’hui un modèle de performance avec des organisations qui ont une emprunte postitive, c’est-à-dire qui font anticiper les ruptures technologiques; il faut produire de l’innovation à impact positif; développer ses technologies, ses conceptions de produits, de service avec une emprunte postitive avec des innovations et des applications numériques éco-responsables et respectueuses de l’environnement pour finalement créer des organisations résilientes. Je pense que si vous prenez en compte ces quatre aspects là, l’économie numérique est bien entendu source de proximité, de croissance inclusive et d’empreinte postitive » conclut Thierry Lacroix.
La révolution numérique en marche en Guinée
Pour ainsi accélérer le développement de l’économie numérique, le gouvernement Guinéen a engagé depuis maintenant une décennie des réformes structurantes et la mise en place d’un cadre réglementaire permettant de créer un environnement propice à l’investissement « Nous avons adapté notre législation à celle de la CEDEAO, ce qui a permis de créer un environnement harmonieux, structuré et permettant de rassurer les investisseurs. Nous avons promulgué la loi sur la cybersécurité et sur la protection des données à caractère personnel, ainsi que la loi sur les transactions électroniques, ce qui est extrêmement important dans l’écosystème du numérique pour permettre de garantir les investissements. Sur le plan infrastructurel, nous avons lancé le projet de Backbone nationale d’une distance de 4500 km et nous constatons que l’ensemble des opérateurs ont enregistré une amélioration de la connectivité et du service….nous disposons aujourd’hui d’un Data center certifié…alors il est très bien de mettre en place toutes ces infrastructures, mais il faut des hommes pour pouvoir se les approprier et il faut permettre aux jeunes entrepreneurs d’émerger dans le numérique. C’est pour cela que nous mettons la formation au centre de notre stratégie. Nous avons ainsi mis en place une agence de l’innovation et de l’économie numérique qui va être l’organe en charge de la promotion mais aussi de la mise en œuvre de la politique du gouvernement en termes de déploiement d’infrastructures numériques mais aussi d’accompagnement et de digitalisation de l’administration publique. Nous projetons aussi de lancer la première technopole d’envergure en Afrique de l’ouest » dresse Said Oumar Koulibaly, ministre guinéen de des Postes, télécommunications et de l’économie numérique.
L’innovation made in Guinea
Mountaga Keita est un cas d’école. Diplômé de la Harvard University en commerce international et CEO de la startup Tulip Industries, il est l’inventeur de la borne de télémédecine » Octupus » qui lui a permis de rafler plusieurs prix internationaux
« J’ai passé 23 ans à l’étranger, notamment aux États-unis. J’étais banquier ( Bank of América, entre autres) et je gagnais très bien ma vie donc je n’avais aucune raison de rentrer au pays mais pour moi revenir en Guinée, c’était un devoir, parceque je me souciais de la situation de sous sous-développement de mon pays. C’est alors je me suis dit qu’il vaut mieux participer au développement de mon pays que de rester dans ma zone de confort. Parceque si l’on veut se développer, il faut sortir de notre zone de confort. Je suis alors sorti de ma zone de confort de Washington DC, je suis revenue en Guinée en 2013. Sur place, j’ai observé que ce n’est pas au niveau de l’intelligence que nous nous différencions des Européens, des Américains ou des Asiatiques, c’est plutôt au niveau du manque de matériel. Nous n’avons pas d’équipement adéquat. Alors ayant observé cela à mon retour, notamment dans les hôpitaux, le manque de synergie dans l’administration, je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose, alors je me suis mis à apprendre en autodidacte, c’est comme ça que je me suis retrouvé dans le digital dans le but d’apporter des solutions viables à ces problématiques.
Nous avons finalement pu créer des équipements grâce à l’entreprise que nous avons mis en place Tulip Industries; des équipements qui répondent aux besoins des populations car les besoins étaient criards et à chaque fois, il fallait tendre la main à l’étranger alors que nous pouvions le faire ici chez nous sur place. Ce micro que j’utilise là en ce moment, je peux le reproduire parfaitement en Guinée, alors si nous pouvons reproduire comme la Chine l’a fait, la chine n’invente pas, elle reproduit et améliore certaines choses, nous pouvons faire la même chose. Les équipements de base nous pouvons les fabriquer ici chez nous en Guinée en Afrique. C’est ce qui m’a motivé personnellement a créé cette entreprise. Au départ j’étais seul de 2015 à 2016 et aujourd’hui nous sommes 71 dans cette entreprise. Il y a trois (3) ans, lorsque nous avons fait l’étude de valorisation, elle était autour de 100 000 euros, aujourd’hui la valorisation de l’entreprise est autour de 45 millions d’euros en seulement 3 ans [applaudissements] donc le digital c’est un marché très puissant, très fort et assez prometteur. Il faut arrêter de se plaindre de ce qui manque en Guinée ou en Afrique, il faut plutôt saisir cela comme opportunité pour se développer.
La question de l’inclusivité est prise en compte chez nous tant dans sa composante accessibilité avec des technologies adaptées en langues nationales mais aussi en termes de déploiement. Nous nous sommes étendu aujourd’hui à 23 pays d’Afrique. Nous avons 28 représentations déjà actées. De la Guinée à la Mozambique en passant par le Sénégal et nous comptons profiter d’un marché potentiel africain de 1.3 milliards d’habitants. Nous ne pensons pas seulement à la Guinée car nos problèmes sont les problèmes aussi des autres, donc il faut viser de long en large. Nous serons autour de 2 milliards d’habitants dans 10 ans et nous comptons être présents dans les 54 pays d’Afrique. Nous demandons au gouvernement Guinéen simplement de nous faire confiance. On peut se sourcer en Guinée, on peut se sourcer en Afrique au niveau infrastructure digital, c’est 100% possible. Aujourd’hui les équipements fabriqués par Tulip Industries sont sollicités par des pays d’Afrique de l’ouest, d’Afrique centrale, nous sommes souvent invités par des ministres et même par des présidents qui souhaitent qu’on déploie nos technologies dans leurs pays, qu’on leur démontre l’efficacité de nos équipements. Nous sommes d’ici mais beaucoup d’entre nous on fait les meilleures écoles du monde, Harvard, Oxford, etc… nous avons l’initiative et la compétence. Aujourd’hui par exemple pour la tablette de diagnostic Covid-19, c’est un système 100% Guinéen avec un entrepreneur Guinéen qui a pu digitaliser cet outil de diagnostic. C’est cet outil que nous utilisons aujourd’hui ici aucours de ce forum. Cette tablette a permis au gouvernement d’économiser 2 millions d’euros. Donc oui, il faut faire confiance aux entrepreneurs Guinéens. Nous sommes capables de le faire et nous le faisons déjà en répondant à tous les standards en termes de compétitivité et exportons notre expertise à l’étranger » interpelle le fondateur de la startup Tulip Industries qui appelle finalement les africains à sortir du complexe du made in Africa.