En novembre 2001, le Crédit Rural de Guinée (CRG) a réussi sa mutation à travers un processus d’institutionnalisation et une opération de privatisation. Passant ainsi de son statut de «projet » depuis sa création, tournant grâce à des conventions de subvention entre le gouvernement guinéen et l’Agence française de développement (AFD) avec l’accompagnement technique de l’ Institut de recherche et d’applications des méthodes de développement (IRAM), à une société anonyme qui capte aujourd’hui plus de 60 % de parts de marchés avec 250 salariés, 348 personnels de soutien, 1.500 élus bénévoles et 120 caisses. Sur plus de 300.000 bénéficiaires, 44 % sont des femmes, 60 % de ses clients sont en zone rurale et 40% des crédits destinés au financement de l’agriculture. Ce qui prouve que le CRG est resté attaché à son modèle. À date, le CRG est entièrement géré par des nationaux, à travers une direction générale et un conseil d’administration qui regroupe entre autres, l’État guinéen, la banque centrale, les bailleurs de fonds, les représentants des élus, entre autres. Le capital du CRG est détenu en majorité par les bénéficiaires et les salariés de l’entreprise.
Au moment de cette mutation en 2001, le capital du CRG était de 428,5 millions de francs guinéens soit environ 252.000 euros, répartis entre les représentants des caisses locales (40%), les représentants des salariés du CRG (35 %), les autres partenaires (25%, dont l’État 15% et l’IRAM 1,8%) et le reste, portés jusqu’à présent par les caisses locales, en cours de répartition entre banques privées, organisations professionnelles et autres investisseurs. Le conseil d’administration est composé de 12 membres: 5 représentants des caisses locales, 4 salariés et 3 des partenaires extérieurs. Le président est élu, le directeur, un cadre guinéen présent depuis le début du projet, est nommé par le conseil.
Le CRG a su s’adapter et subsister à travers le temps grâce à sa stratégie participative, à sa proximité avec ses clients même dans les zones les plus reculées du pays, en adaptant par exemple les calendriers de remboursement aux conditions agricoles qui prévalent dans chaque caisse locale où la mise en place de la « gestion en commun » qui est une des pratiques fondatrices de la culture du CRG. Elle renvoie à la recherche permanente, et à géométrie variable selon les caisses, de la répartition des tâches et des pouvoirs entre élus (membres des comités de gestion et de surveillance des caisses locales) et salariés. La gestion en commun va, aujourd’hui, au-delà du simple discours pour faire des élus des partenaires incontournables de l’allocation et du suivi des prêts, comme des grandes décisions prises en assemblée générale.
Ébola, le coup de frein
La survenue de l’épidémie Ébola en Guinée entre décembre 2013 et décembre 2015 a stoppé l’allure de croissance soutenue du CRG impactant considérablement ses prévisions de résultats. Selon une étude interne menée par le CRG, les conséquences ont été dramatiques pour le personnel qui a enregistré 123 décès parmi les associés emprunteurs et 4 décès parmi les employés.
Sur le plan économique, le CRG a enregistré une baisse importante des activités avec la fermeture des marchés hebdomadaires locaux et la fermeture des frontières qui ont occasionné des difficultés d’écoulement des stocks de produits agricoles, sachant que 60% de certaines productions agricoles, cœur de métier de ses principaux clients, sont vendues hors du pays; la peur de la propagation s’est emparée du personnel qui a amené le CRG à procéder à la fermeture provisoire de certains caisses; s’en est suivi la mise en congés des travailleurs, le gel des salaires ainsi que la suspension des services avec des reports d’investissements. Cela s’est traduit par une baisse et l’arrêt de l’octroi de crédits dans certaines zones. Selon la direction générale du CRG, en 2014, sur une prévision d’octroi de 124 milliards GNF (12 millions 400 euros), le CRG n’a pu réaliser que 92 milliards (9 millions 200 euros), soit 32 milliards (3 millions 200 euros) en moins par rapport à la prévision. Le volet épargne a, lui aussi été touché : les déposants ont effectué de nombreux retraits pour faire face à leurs besoins quotidiens, les activités étant bloquées par ailleurs. Cette double baisse des activités a entraîné de nombreux retards dans les remboursements des échéances prévues (qui s’élèvent à 1,47 million d’euros). Le CRG a ainsi accusé un résultat financier déficitaire d’environ 14 milliards GNF soit 1,5 million d’euros en 2014. L’année 2015 sera, elle aussi, déficitaire avant une reprise effective courant 2016.
La concurrence
En 2019, malgré une tendance baissière du taux de recouvrement, le CRG a ainsi octroyé pour plus de 250 milliards de crédits (25 millions d’euros), sécurisé environ 160 milliards (16 millions d’euros) d’épargne et dégagé des bénéfices nets de 2,8 milliards de GNF (280 000 euros). Malgré la crise de la Covid-19, en 2020, le chiffre d’affaires de l’institution a progressé de 25% par rapport à 2019 passant à environ 300 milliards GNF (30 millions d’euros). Le CRG a enregistré une hausse de l’épargne entre 2019 et 2020 de 30 milliards (3 millions d’euros) à 40 milliards (4 millions d’euros) pour un encours sous gestion d’environ 170 milliards GNF (17 millions d’euros). Avec 85-90 % des parts du marché et captant 39 % des dépôts et 37 % des crédits, le CRG est présent aujourd’hui dans plus 2500 villages de la Guinée avec 172 caisses d’opération, pour plus de 400 000 emprunteurs et épargnants en 2018 dans les 33 préfectures à travers la Guinée. Le CRG, comme un patrimoine national, mène depuis des décennies le lead de la microfinance en Guinée malgré l’arrivée de nouveaux acteurs étrangers. Résistant là où a échoué le crédit mutuel lancé un an plus tôt (1988) qui lui, se focalisait sur les centres urbains. Tombé en faillite au début des années 2000, le CRG a repris le flambeau et la place laissée par le crédit Mutuel pour se déployer dans les centres urbains et au bout de trois décennies, s’est imposé comme un acteur incontournable de la microfinance rurale et urbaine.
Cependant, la donne devrait changer. Selon un rapport de la Banque mondiale, l’entrée en lice de nouvelles institutions de microfinance (IMF) et la progression des sociétés Anonymes (SA) de microfinance vont accroitre la concurrence dans les années à venir avec de nouvelles IMF disposant de capitaux, d’expertise technique et ciblant aussi le marché de la petite entreprise en milieu rural et urbain. Même si le CRG affiche des chiffres solides, ses parts de marché commencent à se réduire. Le groupe Cofina, le Réseau des Caisses Populaires d’Epargne et de Crédit de Guinée-YETE MALI, une autre IMF- coopérative guinéenne créée en 1997 et la Béninoise Finadev, devront voir leurs parts de marché qui représentaient 96 % de l’encours d’épargne et 87 % de l’encours de crédit en 2016 s’amenuiser année après année. Car le marché de la microfinance va être de plus en plus concurrentiel. Le CRG qui a déjà pris les devants pour suivre le rythme de la modernisation de ses offres de produits et services, devrait encore garder son leadership pour plusieurs années. Quant à la coopérative Yetemali, elle devrait se réadapter également et suivre le même rythme pour tenir face à la concurrence ouverte qui s’annonce.