Format full digital, le 8 avril 2021, à l’occasion de la 24 ème mission multisectorielle du Club Afrique Développement, le réseau panafricain de dirigeants et d’opérateurs économiques de la banque Attijariwafa bank. Côté affaire, cette rencontre qui se tenait à Dakar a vu plus de 250 chefs d’entreprise de tous les pays d’accueil s’inscrire pour les séances B to B. Côté conférence, la mission multisectorielle a abrité un panel de haute intensité sur la question clé de la dynamique de croissance et de transformation des économies africaines. Y ont pris part, Lionel Zinsou, ancien Premier Ministre de la République du Bénin, fondateur et Managing Partner de SouthBridge, Dr. Jean-Denis Gabikini, Directeur du développement économique, de l’intégration et du commerce de la Commission de l’Union Africaine, Dr Chérif Salif Sy, ancien Ministre, économiste sénégalais, Président du Forum du Tiers-Monde, Souleymane Astou Diagne, professeur d’Economie. Egalement présents, Mohamed Abdallahi Cherif, chef du Bureau Sénégal de la Banque Africaine de Développement. Et, entre autres, Sébastien Kadio Morokro, administrateur Directeur Général de Pétro Ivoire.
10 000 entreprises de 40 pays
Le but des échanges comme a eu à le préciser, d’emblée, Mounir Oudghiri, Administrateur Directeur Général de CBAO Groupe Attijariwafa bank, est, « par delà nos ensembles régionaux, de passer en revue les changements profonds de nos économies et les équilibres géostratégiques”. Son homologue, Fatimata Ndiaye, Directrice Générale du Crédit du Sénégal, l’autre filiale d’Attijariwafa bank au Sénégal, dit espérer que cette crise née de la pandémie Covid-19 soit l’élément déclencheur d’une nouvelle Afrique dans laquelle les gens se parlent, se rencontrent et construisent l’avenir. Pour sa part, Mouna Kadiri, Directrice du Club Afrique Développement, est revenue sur le chemin parcouru par ce vaste réseau d’affaires, fort de plus de 10 000 entreprises de 40 pays et qui totalise 22 000 rendez-vous d’affaires structurés. En plus de cela, plus de 23 missions multisectorielles ont été réalisées depuis 5 ans pour fédére plus de 3000 chefs d’entreprises avec plus de 4000 rendez vous B to B structurés et accompagnés. «Je saisis l’occasion pour réitérer la mise à disposition permanente de l’outil du Club Afrique Développement, notamment via ses services à la demande et sa plateforme en ligne : mises en relation à la demande ou structurées, possibilité de se connecter en permanence à plus de 30000 opérateurs à travers le monde, d’accéder aux appels d’offres en temps réel…cet outil est à votre service transcendant la conjoncture et derrière ce service, vous trouverez les 16 banques du Groupe sur le continent mises en réseau à votre écoute pour accompagner votre développement. Ainsi tout comme vous nous démontrez que vous ne lâchez rien, pour vous, nous ne lâchons rien non plus», dira Mouna Kadiri.
Les vaccins, la maîtrise de la dette et l’intégration, des facteurs clés de la relance
Introduisant le débat sur les facteurs de la relance post-Covid, Lionel Zinsou a rappelé la réalité d’un continent jeune où les plus de 65 ans représentent seulement 5% contre 25% en Europe. L’Afrique traine le paradoxe d’être d’un côté la zone la plus résilitente face au Covid-19 et, de l’autre, l’endroit où l’on vaccine le moins. “La solidarité commence à fonctionner en Afrique mais elle ne fonctionne pas entre le reste du monde et l’Afrique”, estime le patron de la Southbridge Bank, fustigeant un certain “nationalisme du vaccin” qui handicape des programmes comme l’initiative Covax, mécanisme mondial de partage des risques pour l’achat groupé et la distribution équitable de vaccins contre la COVID-19 coordonné par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS ). Et l’ancien premier ministre du Bénin de regretter l’absence d’un outil industriel, notamment l’industrie pharmaceutique, qui aurait pu affranchir l’Afrique de sa trop forte dépendance vis-à-vis de l’étranger. De plus, précise l’économiste, derrière le constat général d’un continent qui a résisté au choc, il faut se livrer à une lecture fine des tendances. “La croissance du PIB par tête d’habitant a régressé de 6% en Afrique, dans la même proportion que les grands pays”. Mais, chez ces derniers, poursuit l’économiste béninois, “si la création de valeur a régressé, le revenu des ménages, lui, a été protégé. Ce revenu a même été augmenté de 6% dans un pays comme les USA qui a mis en place un mécanisme de concours financiers et de transfert vers les ménages ».
En clair, poursuit Lionel Zinsou dans son diagnostic implacable, “en Afrique, nous avons une économie plus résiliente mais, socialement, nous sommes plus fragiles”. Et l’ancien CEO de PAI Partnes de recommander à ce que les priorités des politiques publiques dans l’après Covid-19 soient orientées vers la mise à niveau de la Santé publique et le renforcement des filets de sécurité.
A la suite du béinois, l’économiste sénégalais Cherif Salif Sy a estimé que “le Covid-19 a freiné l’élan du renouveau africain”. Du haut de ses 35 ans d’expérience à l’Union Africaine, le président du Forum du Tiers Monde a appelé à des politiques de relance dynamiques face à une pandémie dont le bilan macabre interdit de parler d’opportunités. Pour sa part, le professeur Souleymane Astou Diagne a souligné le contexte particulier de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) où 97% des entreprises évoluent dans le secteur informel, ce qui pose un problème structurel. Et d’appeler à des “des Etats gérés par des administrations de développement en lieu et place des administrations de commandement”. Venant au coût de la relance, le professeur Diagne rappelle que l’UEMOA l’avait estimé à 6 000 milliards de FCFA au sein de ses 8 Etats membres. Dans l’ensemble, l’Afrique a enregistré des baisses de revenus de 2,6% contre 4,4% dans le monde.
Attentif au débat, Jean-Denis Gabikini a mis l’accent sur l’architecture mise en place par le sommet des chefs d’Etat africains. La priorité étant au sein de l’Union Africaine de régler la question de la vaccination et de garantir la relance économique à court terme. Ces deux priorités passent par la mobilisation des ressources. L’UA a mandaté à cet effet une troïka composée entre autres, de l’ancien ministre sud-africain des Finances, Trevor Manuel, de l’ancienne ministre nigériane des Finances, Ngozi Iweala, devenue entre temps directeur de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), de Donald Kaberuka, ancien président de la Banque Africaine de Développement (BAD) et de Tidjane Thiam, ancien CEO de Crédit Suisse. Au delà de la mobilisation des ressources confiée à ces éminentes personnalités, la stratégie de relance passe aux yeux de Jean-Denis Gabikini par la reconfiguration des chaînes de valeur mondiales et la réhabilitation des programmes d’autosuffisance. “L’Afrique doit cesser de dépendre excessivement des importations en encourageant la transformation locale, gage de la croissance des emplois”. A cet effet, le lancement de la zone de libre-échange continental (la ZLECA) depuis le 1er janvier dernier offre un momentum pour repenser les infrastructures numériques nécessaires à la relance.
Egalement participant à ce débat, Sebastian Kadio de Petro-Ivoire, a, en bon représentant du secteur privé, lié la problématique de la compétitivité à l’efficacité des politiques fiscales et à la possibilité donnée aux entreprises d’élargir leurs marchés. “S’il y a un point qui me semble important c’est celui de développer l’agilité des entreprises. C’est l’un de nos gros défis aux côtés de la qualité des ressources humaines”. L’adaptation des entreprises à un nouvel environnement dicté par l’amélioration constante des services est aussi un facteur clé, mentionne monsieur Kadio qui rappelle que dans son secteur le terme de “station de service” a pris aujourd’hui tout son sens. “L’on ne se limite plus à la distribution du carburant. L’expérience client engendre de nouveaux métiers”. De son côté, Anis Ben Abdallah, expert comptable, ManagingPartner K&B Partners, estime que la relance passe par plus d’intégration continentale, plus de synergie, plus de renforcement des infrastructures logistiques et plus de proximité.
DTS : l’Afrique aura sa quote part, comprise entre 33 et 100 milliards de dollars, soit entre 1,5 et 4% du PIB
Du reste, recommande Lionel Zinsou, en se félicitant d’une gestion collective de la crise par l’Union Africaine, sous la présidence du sud-africain Cyril Ramaphosa, il faut profiter des opportunités nouvelles qui se dessinent dans la post pandémie. L’approche collective de la dette adoptée par l’instance continentale semble donner ses fruits, étant à l’origine de la décision majeure du FMI d’une allocation de DTS de l’ordre de 650 milliards de dollars dollars. L’Afrique aura sa quote part, comprise entre 33 et 100 milliards de dollars, soit entre 1,5 et 4% du PIB, « ce qui n’est pas négligeable dans un contexte où nous n’avons pas la même liberté que celle des pays développés de créer nos moyens financiers par nos banques centrales». Ces DTS ne vont pas, qui plus est, être comptabilisés dans la comptabilité des Etats. Dans le même élan, l’Union Européenne a décidé qu’une partie de ses allocations en DTS ira à l’Afrique, en particulier vers les pays à faible niveau de développement.
En clair, estime Lionel Zinsou, «cette crise aura démontré que l’Afrique est plus efficace collectivement». Cette Afrique collective s’illustre par exemple à travers la plateforme d’approvisionnement créée par Afreximbank, le contrat arraché à Johonson & Johnson pour la production de 2 millions de doses de vaccins par jour (précision de Jean-Denis Gabikini ) et un secteur privé actif, partie prenante des programmes de relance. « Ce secteur privé, de plus en plus panafricain à l’instar d’Attijariwafa bank, mais aussi des banques nigérianes, mauriciennes et de la plupart des opérateurs télécoms, aura un rôle majeur à jouer dans la relance. Attention seulement, dans cet élan dynamique, à ne pas regarder l’Afrique avec les lunettes du passé, avertit Lionel Zinsou. Les dettes contractées à des taux soutenables (4 à 6%) financent des projets d’énergie et d’infrastructures avec des taux de rendement interne (TRI) de 18%. Les institutions financières d’intégration sont de plus en plus crédibles à l’image de la Banque Ouest-Africaine de Développement (BOAD) qui est entrain de doubler son bilan après avoir bouclé une levée de fonds historique avec une souscription de 6 fois , de la BADEA, qui structure la solidarité entre l’Afrique et les pays arabes ou encore de la TDB en Afrique Australe. « C’est complètement nouveau, ces banques sont rentables. Il y a une certaine renaissance» déclare Zinsou estimant par ailleurs, sur sollicitation de Financial Afrik, qu’il faut arriver à convaincre les forces adeptes du nationalisme économique, qui veulent du protectionisme et qui luttent contre la ZLECA. «Le nationalisme économique est une menace pour ce grand marché commun dont nous avons besoin». Un avis que ne partage pas totalement le professeur Cherif Salif Sy. «Le nationalisme économique n’est pas le nationalisme politique. Il faut les dissocier. Je ne pense pas que le développement des secteurs stratégiques sur un territoire soit un frein à l’intégration . Déjà où pour les grands pays industriels où le financement était local, la question était posée ».
Les deux économistes présenteront aussi des visions opposées sur le sujet de la dette. Il faudrait un monitoring de l’endettement public, déclare en substance le sénégalais. Le béninois estime pour sa part qu’avec un taux d’endettement de 55% du PIB contre 100% pour l’Europe, l’Afrique n’est guère surendettée. La mobilisation des ressources passe par l’endettement, estime Zinsou apellant, après avoir évoqué les rapports d’une grande banque internationale à l’analyse généralisante et alarmiste à partir du défaut de paiement de la Zambie et des taux d’endettement de l’Angola, à arrêter avec le pathos de la dette. «Ces pays ne représentent même pas 10% du PIB Africain. Il ne faut pas que quelques arbres nous empêchent de voir la forêt tropicale », dit l’ancien patron du fonds PAI Partners convaincu que « la croissance remboursera la dette ». Un enthousiasme tempéré par Dr. Jean-Denis Gabikini, Directeur du développement économique, de l’intégration et du commerce de la Commission de l’Union Africaine: “en Afrique, il n’y a pas beaucoup de bonne dette. Certes, 85% des pays ont des capacités de soutenabilité de la dette mais ces dettes restent non productives ». Revenant à la charge, Cherif Salif Sy estime que tout cela dépend “dans quelle monnaie on emprunte et d’où on emprunte” dans un parallélisme avec le Japon endetté à 230% de son PIB auprès de créanciers essentiellement locaux. “Notre dette est de plus en plus saine. Il ne faut pas rester dans les clichés des années 80”, souligne Zinsou.
En clair, à la fin d’intenses échanges dans le cadre de la 24 ème mission multisectorielle du Club Afrique Développement, un consensus semble se dégager entre les intervenants : dans les grandes ruptures qui se dessinent, l’Afrique compte 15 ans d’avance sur l’usage de la technologie. Reste à consolider l’élan par des institutions financières continentales solides à l’instar, rappelle, Jean-Denis Gabikini, du Fonds Monétaire Africain (FMA), qui compte à ce jour 12 signatures et 1 ratification.