Le Bénin est au rendez-vous de son histoire. Le corps électoral est convoqué, le 11 avril, pour un scrutin présidentiel précédé d’une série de manifestations de l’opposition. Celle-ci dénonce l’exclusion de ses ténors à l’instar de la candidate Reckya Madougou, ancienne ministre de la Justice, inculpée pour financement du terrorisme.
Quasi assuré de sa réélection, Patrice Talon, arrivé au pouvoir en 2016, aligne les meilleures performances macroéconomiques de l’Afrique subsaharienne mais traîne l’image d’un régime autoritaire, sans doute inspiré de Singapour, pour lequel un point de PIB vaut bien une complainte d’Amnesty.
Président bulldozer, Patrice Talon a le mérite d’aller jusqu’au bout de sa feuille de route. Sur ces cinq dernières années, le Bénin a entrepris les réformes les plus audacieuses de son champ politique et économique plus sensible au droit aux céréales à midi qu’aux libertés syndicales. Des conditions draconiennes imposées aux partis politiques ont vu la plupart d’entre eux tomber sous le coup de la loi. Désir de rationnaliser un espace politique fragmenté avec des partis cartables à foison ou volonté d’étouffer toute opposition? Vue de celle-ci, la réponse coule de source: “notre parlement est devenu monocolore. Les présidentielles sont verrouillées”. Du côté du pouvoir, il s’agit d’une restructuration et rationalisation devenue nécessaire.
Sur le plan économique et social, les opérations de déguerpissement ont donné à Cotonou un semblant de capitale. Reste à trouver une alternative durable aux marchands et aux travailleurs de l’informel, de loin la plus forte proportion de la population active.
Salué pour ces réformes et son environnement des affaires, le Bénin est plébiscité par les bailleurs de fonds et les agences de notation. En 2020, cette terre plate située aux portes du Nigeria a franchi pour la première fois la catégorie des “pays à revenu intermédiaire”. Le Bénin est en 2021, le seul pays africain qui a vu la perspective de sa cote de credit rehaussée dans l’échelle de Moody’s. Félicité par le FMI et la Banque Mondiale, Cotonou a vaillamment résisté à la fermeture unilatérale de sa frontière avec le Nigeria.
Ces performances économiques se heurtent toutefois à un sentiment général de recul de la démocratie. Quasi exclue, l’opposition a tenu une série de manifestations violentes les 8 et 9 avril, dénonçant les réformes constitutionnelles de 2019 assorties de nouvelles dispositions électorales.
Si on identifiait des manifestations jusque dans la capitale Porto-Novo, la plupart des flambées ont eu lieu dans le centre et le centre-nord du pays et plus spécifiquement dans les villes de Savé, Kpataba, Bantèn Tchaourou et Papané (proche de Paroukou).
Pour leur part, les autorités évoquent une “réaction graduée” des forces de l’ordre et une “riposte graduée”. Il faut dire que l’opposition jouait son va tout avec l’objectif d’empêcher la tenue du scrutin. D’où la multiplication des barrages autour des localités et sur l’axe routier Bénin-Niger, accompagnée du blocage des camions transportant le matériel électoral vers le nord du pays, poussant les forces de l’ordre à agir.
Les affrontements les plus durs ont eu lieu dans les communes de Savé et Kpataba : des affrontements intenses avec échanges de tirs nourris à l’arme légère. Une situation qui a motivé le déploiement d’unités militaires en soutien à des forces de l’ordres en difficulté.
D’autres heurts d’intensité plus légère ce sont produits à Tchaourou, ville d’origine de l’ancien président Boni Yayi, qui a vu ses axes routiers coupés par des barrages. Ou dans la ville de Papané, où l’on a identifié des manifestants d’origine étrangère.
Manifestations à l’appel de l’opposition
Les mouvements sociaux se sont constitués à l’appel de l’opposition, notamment les Démocrates de Boni Yayi et le Front pour la Restauration de la Démocratie (FRD) de Joel Aivo. Ces deux mouvances, ont respectivement leurs fiefs électoraux dans les régions concernées par les récents troubles de nature quasi-insurrectionnelle.
En appelant leurs militants et sympathisants à manifester après des semaines de campagne tendues, les suites étaient clairement prévisibles. D’autant que la stratégie médiatique de l’opposition, basée sur la délégitimation du Président Talon et de ses réformes, voire sa présentation comme un proto-dictateur, a fourni des narratifs aux manifestants convaincus de faire acte de justice. Joel Aivo ne déclarait-il pas, après son éviction de l’élection, qu’ils se présenterait « envers et contre tous » ?
La condamnation des violences, notamment par le parti des Démocrates, soulève donc quelques interrogations à la veille d’un scrutin qui oppose plus que jamais l’Economie à la Démocratie faute de voir ces deux grandeurs dans une alliance bénéfique.