Le multipartisme abrogé par le président Ahmadou Ahidjo au lendemain de l’indépendance en 1960 a été réinstauré en 1991 à la faveur du vent d’Est et du sommet de la Baule. Retour sur les premiers pas du pluralisme politique avant l’indépendance et sur les trois décennies de la restauration du multipartisme au Cameroun.
Le Cameroun est l’un des pays africains à avoir instauré le pluralisme politique dans la marche vers son indépendance. Alors que le pays est sous tutelle de l’Organisation des Nations Unies (ONU) et respectivement administrée par la France et la Grande-Bretagne dans la partie orientale et occidentale, les premiers contacts avec les mouvements syndicaux proches du socialisme poussent des jeunes Camerounais à prendre conscience pour la libération de leur pays. C’est ainsi que naquit le 10 avril 1948, l’Union des Populations du Cameroun (UPC), le tout premier parti politique du pays.
Moulés dans la lutte syndicale, ses dirigeants n’attendront pas longtemps pour endosser la cause de l’unification et de l’indépendance. Son principal dirigeant, Ruben Um Nyobè est chargé de porter ce message d’unité et de liberté aux Nations unies. Les forces coloniales n’entendront pas de cette oreille pour déclarer la guerre, puis, décréter carrément la dissolution de l’UPC en 1955. La chasse ouverte par le pouvoir colonial contre les dirigeants, militants et sympathisants de cette formation politique sera féroce et occasionnera la mort de milliers de Camerounais jusqu’à l’assassinat du Mpodol Ruben Um Nyobè le 13 septembre 1957. A en croire des analystes, ce fut l’un des premiers génocides en Afrique.
A l’accession de l’indépendance le 1er janvier 1960, quelques formations politiques en bonne intelligence avec la France et la Grande-Bretagne fonctionnent. Mais l’espace politique est hanté par l’UPC qui, suspendue ou dissoute, est le véritable animateur de la vie politique. Une vitalité qui donne l’insomnie au pouvoir d’autant que les dirigeants et militants de l’UPC n’ont jamais accepté l’indépendance « factice octroyée par la France ». En 1966, le président Ahidjo décrètera de manière unilatérale, la fin du multipartisme au Cameroun. Sa formation politique l’Union camerounaise (UC) devient l’Union nationale camerounaise (UNC). On impose aux Camerounais d’y adhérer et d’y militer sous peine de répression d’autant que le parti a la primauté sur l’Etat.
L’accession de Paul Biya au pouvoir en 1982 fera bouger des lignes. Le discours change puisqu’on évolue vers plus de démocratie et de démocratie. Mais les habitudes restent pratiquement les mêmes jusqu’à la naissance le 24 mars 1985 du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), qui prend en réalité le flambeau de l’UNC. Le multipartisme rêvé et souhaité par de millions de Camerounais se fait toujours attendre.
Le discours de François Mitterrand
Il faudra attendre le vent d’Est au seuil de la décennie 1990 ainsi que le discours du président français François Mitterrand lors du sommet Afrique-France à la Baule (France) en 1990 pour que le Cameroun soit embarqué dans la mouvance continentale de restauration du pluralisme politique. Evidemment, cela ne coulera pas de source comme l’on n’y croirait. Il y eut des résistances, des contestations, des emprisonnements et même des morts. Des apparatchiks du régime organiseront à travers le pays des marches contre le multipartisme, surtout que le pluralisme politique sera décrit comme « une chose importée des Blancs qu’on veut imposer aux Africains ». Pendant ce temps, la roue de l’histoire tourne, et rien ne semble l’arrêter.
Face à cette réalité, le pouvoir lâche du lest. La session parlementaire dite des « libertés » de 1990 consacrera la loi sur le multipartisme. Le 12 février 1991 l’administration légalise les premiers partis politiques au rang desquels le parti nationaliste l’UPC, qui, malgré la suspension de ses activités politiques en 1955, a continué de fonctionner dans la clandestinité se positionnant bon an mal an comme un contre-pouvoir au régime d’Ahidjo.
Trente ans plus tard après le retour au pluralisme politique, le ciel s’est quelque peu éclairci. Au 15 avril 2021, le Cameroun compte 317 formations politiques légalisées. Sur cette multitude de partis, à peine une vingtaine mène régulièrement les activités, tandis qu’une dizaine au maximum concoure au suffrage universel. Le parti présidentiel, le RDPC, domine outrageusement la scène politique.
Les partis traditionnels à l’instar du Social democratic front (SDF), l’Union nationale pour la démocratie et le progrès (UNDP), l’Union démocratique du Cameroun (UDC) font plus que résister à la machine du parti au pouvoir réussissant une présence sans discontinue à l’assemblée nationale et dans les conseils municipaux depuis les premières élections pluralistes post indépendance en 1992. Certes, d’aucuns ont perdu le terrain, mais, ils ont parfois fait bouger des lignes malgré leur infériorité d’élus à l’hémicycle. Ils continuent le combat pour une démocratie intégrale se présentent comme une alternative au pouvoir.
Dans ce landernau politique en mouvements, émergent depuis quelques années, de nouvelles forces politiques, entre autres, le Mouvement de renaissance du Cameroun (MRC) et le Parti camerounais pour la réconciliation nationale (PCRN). A leurs côtés, évoluent d’autres mouvements qui n’ont eu de cesse de se frayer du chemin malgré un contexte sociopolitique généralement défavorable. Le renouvellement de la classe dirigeante est un espoir pour l’avenir.
Majoritaire au parlement, l’opposition refuse l’alternance
Pour sa part, le parti historique, l’UPC engluée dans d’interminables et indescriptibles batailles de leadership n’arrive pas à donner la pleine mesure de son potentiel. « L’âme immortelle du peuple camerounais » dont le 73è anniversaire a été célébré le 10 avril dernier dans l’éparpillement total n’a pas su exploiter le capital de sympathie que des Camerounais éprouvent pour elle comme ce fut le cas au plus fort de sa popularité lorsqu’il menait contre l’Occident-oppresseur le noble combat pour l’unification et l’indépendance du Cameroun.
En dehors de ces partis qui sortent du lot, pour le reste, environ 300 partis, ce sont des formations politiques sans relief, dont beaucoup gravitent autour du RDPC notamment pendant des élections et d’autres grands moments de la vie politique de la nation pour se donner une certaine existence. Ces partis dont la seule présence est d’amuser la galerie diront les plus intransigeants se résument généralement à leurs dirigeants et aux membres de leurs familles, et ne participent à aucun rendez-vous électoral.
Toutefois, si l’opposition n’a pas pu obtenir l’alternance politique au cours des trois dernières décennies, il convient de souligner qu’elle était majoritaire au parlement au terme des législatives de 1992, obtenant 92 sièges contre 88 au parti au pouvoir. Le RDPC avait négocié des alliances pour conforter sa majorité à l’Assemblée nationale avant de renverser définitivement la tendance depuis lors. Beaucoup de militants et de sympathisants de l’opposition ont considéré cet acte comme une « trahison », et ont soit abandonné la politique, soit se rapprocher du RDPC qu’ils comptaient pourtant renverser.
Tout compte fait, le retour au pluralisme politique a apporté des avancées notables aussi bien sur le plan politique, économique, social que culturel. Des évolutions significatives ont été notées dans différents domaines pour ce qui est notamment des libertés individuelles et collectives. Malgré des résistances, la démocratie camerounaise se construit et se peaufine même si les citoyens s’identifient de moins en moins aux formations politiques à cause des intérêts partisans. La culture politique est un acquis qu’il faut consolider. Ce qui laisse présager que les prochains scrutins devraient renforcer cet ancrage à la liberté et à la démocratie.