Depuis les indépendances, l’Afrique a connu 200 coups d’Etat réussis et avortés si l’on en croit l’ancien président malien, Alpha Omar Konaré, cité dans le denier livre de Vincent Hugeux. Intitulé «Tyrans d’Afrique», cet ouvrage d’un grand spécialiste de l’Afrique dresse un tableau implacable d’une Afrique où la démocratie reste un vœux pieux et où l’analyse politique des mouvements internes est réduite à une lecture fortement surpondérée des relations avec les anciennes puissances colonisatrices et des largesses des bailleurs de fonds.
En dépit de la multiplication des scrutins (600 en trois décennies selon l’auteur qui a beaucoup de mal à se départir du préjugé extérieur), le continent compte peu d’alternance démocratique.
Ce dont on est pour le moins d’accord avec l’auteur de ce livre riche en apocryphes est que la machine démocratique africaine, coûteuse, semble reléguer l’économie au second plan et maintenir la population dans un clientélisme favorable au maintien de l’inertie et aux rentes de situation. À l’inverse de l’Asie du Sud Est, où l’autoritarisme quasi-scientifique a conduit au développement, le dirigisme africain des premières années de l’indépendance a plongé le continent dans la faillite, suivie de 20 ans d’ajustements structurels.
Alors qu’en 1960, la part de l’Asie du Sud-Est dans l’économie mondiale était de 4%, en 1992, elle était de 25%. Au même moment, la part du continent africain dans le commerce mondial stagnait et stagne encore aujourd’hui à 2%. Du Japon post Meiji à l’Indonésie, ces régimes forts fondés sur la méritocratie et l’investissement dans l’école publique ont construit des économies fortes avec des champions mondiaux à l’image de Samsung en Corée du Sud, de Petronas en Malaisie ou encore de Alibaba en Chine…
Pendant ce temps, les entreprises africaines qui ont participé aux belles années des filières exportatrices sont tombées en faillite. Démembrés et privatisés au profit des multinationales. C’est pourquoi le cycle long de croissance engagé entre 2004 et 2013 sur le continent résulte moins de l’industrialisation que des achats boulimiques de matières premières par la la Chine, devenue le premier partenaire commercial de l’Afrique, son premier client, son premier fournisseur et, aussi, son premier créancier. Cette absence d’industrie rapproche les économies africaines du modèle de Bangladesh plutôt que de celui des dragons. Capter les emplois de la mondialisation des services(centresd’appelstéléphoniques) plutôt, et à des rares exceptions près,
qu’exporter des produits à haute valeur ajoutée comme semblait le professer Jim Yong Kim, ancien président du Groupede la Banque Mondiale, appelant les africains à faire focus sur la création de l’emploi et à ne pas considérer l’industrialisation comme une fin en soi. Bref, Les modèles autoritaristes africains n’ont pas réussi à impulser le développement économique et social. Les démocraties nées des la vague des conférences nationales souveraines encore moins.
Après trois décennies de scrutins à répétition, force est de le dire, le lien entre démocratie (et démocrature) et taux de croissance est des moins évidents. La thèse soutenant le développement économique d’abord, la pluralité politique ensuite et, pour consolider l’un et l’autre, la démocratie, se soutient sur le champ africain. A quelques exceptions près, le droit de vote appliqué dans un contexte de grande pauvreté (40% des africains vivent avec moins de 2 dollars par jour) d’analphabétisme et de faible pluralité du marché de l’emploi conduit à l’achat massif des votes en échange du sandwich ou du tee shirt électoral. La volonté populaire se voit étouffée par le rapport de force financier. Bien entendu, il y a autoritarisme et autoritarisme, la différence tenant à la distance entre Lee Kuan Yew et Sékou Touré, le confucianisme à la Mao et l’authenticité à la Mobutu résumée au port vestimentaire.
C’est évident, il fait mieux vivre au Rwanda de Paul Kagamé qu’au Mali de Bah N’Daw. Dans des contextes africains où l’eau, l’électricité, la route et la nourriture font défaut, les modèles inspirés de la France bonapartiste, de la Prusse de Bismarck et de l’Espagne de Franco ne sont-ils pas préférables à ceux puisés dans la démocratie à la Nigériane où l’Etat faible peine à assurer ses fonctions régaliennes ?
L’on prête à Napoléon III ces propos déclarés en 1853 : «la liberté n’a jamais aidé à fonder d’édifice durable ; elle le couronne quand le temps l’a consolidé». Plus d’un siècle et demi plus tard,un lointain successeur de l’auteur de ces propos, Jacques Chirac en l’occurrence, se fendait du tonitruant “la démocratie est un luxe en Afrique”. En fait disons que la démocratie est plutôt un luxe dans tout pays en extrême sous développement”. Mais, en définitive, le peuple n’a pas de choix à faire entre le droit au pain et le droit au vote, l’un ne pouvant être garanti sur la durée sans l’autre.