Les ambitions mercantiles de douze (12) clubs de l’élite européenne du football dans leur volonté d’imposer à l’UEFA, à leurs fans et au monde du football une Super league (SL) dissidente de la league des champions pour booster leurs revenus n’auront finalement pas tenues plus de 48 heures après l’annonce du projet le 18 avril 2021. Sous le tollé généralisé que cette initiative a suscité à l’UEFA et en Europe, particulièrement en Angleterre, qui a été suivi de l’engagement personnel de Boris Johnson, le premier ministre Britannique qui a promis de tout faire pour que le projet échoue, ainsi que les menaces de la fédération anglaise de football et de la Premier league anglaise, les six (6) clubs anglais engagés dans ce projet ont tous renoncé. Suffisant pour faire le voler en éclats puisque les clubs italiens vont leur emboîter le pas et se désister les uns après les autres sous la pression des fans.
Une débandade pour sauver la face et les meubles face à l’indignation générale que le projet de SL a suscité de part le monde. Seuls les deux plus grands clubs du football espagnol, Barcelone et le Réal Madrid sur les trois au départ avec l’Atletico Madrid qui s’est retiré depuis et la Juventus dans une posture ambiguë n’ont pas encore officialisé leur départ. Ce, malgré l’aveu d’échec et la décision prise par Florentino Perez qui devait assurer la présidence de la SL, de la suspendre en promettant de proposer une forme « remodelée » du projet.
L’opposition idéologique
Dans ce duel sans précédent, deux camps s’affrontaient: les défenseurs d’un football des valeurs et du mérite sportif qui croient d’abord que le football est une opportunité pour tous de s’affirmer et qu’il appartient aux supporters plus qu’aux dirigeants, puisqu’il est avant tout d’abord un divertissement et devrait être fondamentalement centré sur l’aspect sportif en générant des profits pour les clubs grâce aux activités connexes. De l’autre, ceux qui, au contraire estiment que le football est un business. Une entreprise comme tout autre et que le gain devrait être sa locomotive quitte à se passer des principes et valeurs qui régissent ce sport. La Super league menée par le duo de choc Valentino Perez (Real Madrid) Andréa Agnelli (Juventus) avec le soutien financier du mastodonte JP Morgan prêt à sortir le cahier de chèque pour injecter 6 milliards d’euros (la banque américaine a reconnu vendredi 23 avril avoir « clairement mal-évalué » le projet) s’est heurtée à la réalité implacable d’un sport qui, malgré une tendance accrue à la modernisation, garde encore jalousement ses valeurs originelles qui en font le sport le plus populaire au monde.
Un combat horizontal opposant finalement dirigeants des grands clubs mondiaux, chefs d’entreprises cotées en bourse aux acteurs à la base dans une confrontation idéologique qui a failli remettre en cause les fondements même du football mondial centré sur l’égalité des chances et le mérite sportif et changer à jamais son système de fonctionnement. Les cris de cœur, les reproches, l’indignation collective et les rappels à l’ordre des entraîneurs, des joueurs et la colère des fans des clubs concernés qui ont menacé leurs clubs de boycott ont finalement eu raison du projet de scission.
Le fond du problème
Pour comprendre cette controverse, il suffit d’analyser l’argumentaire développé par les promoteurs du projet. Notamment le numéro deux, Andréa Agnelli, président du club Italien de la juventus de Turin. « Le football n’est plus un jeu mais un secteur industriel et il faut de la stabilité (…) Aujourd’hui, le match qui vaut le plus n’est pas la finale de la C1 mais le play-off pour la Premier League (le championnat de football anglais). Ce n’est pas de la stabilité « , déplore-t-il dans une posture qui relègue le sportif au second plan tout en dénonçant le manque à gagner de la champions league (C1), compétition organisée par l’UEFA qu’il espérait voir se faire supplanter par la SL pour engranger plus de profits.
En parlant de « Play-off », Agnelli envoie un message clair en projetant le modèle du football européen sur celui de la NBA, le championnat nord-américain de Basket ball. Avec un championnat régulier qui permet d’identifier les top équipes qui vont s’affronter dans un final appelé « Play-off » pour déterminer le vainqueur. Un système pyramidal qui bénéficie sans aucun doute à l’élite puisqu’il n’y a aucune chance qu’une équipe sorte de nulle part pour arriver au sommet et jouer les troubles fêtes en Play-off face aux grosses écuries du championnat. Le but selon lui, c’est de proposer un football « attractif », mais surtout de faire exploser le potentiel marketing de ces matchs au sommet. Sauf que ce système est hautement élitiste et n’offre quasiment aucune possibilité d’inclusivité qui permettrait à une équipe nouvelle d’écrire son histoire de la base au sommet comme l’ont fait ceux de l’élite, ce qui représente un élément central qui caractérise le football. Pour la simple raison que, dans un tel schéma, les grosses écuries ont 10 fois plus de chance de s’imposer avec le pouvoir financier. En recrutant les meilleurs joueurs des équipes moyennes, les meilleurs coachs et en offrant des salaires plus attractifs. À la fin du compte, les équipes de bas de tableau ne serviront finalement que de pépinière de talents pour les clubs de l’élite. Pire, les clubs fondateurs de la SL s’offrent le luxe du league semi-fermeé avec à la clef une qualification d’office pour éviter toute compétition qualificative où ils pourraient éventuellement être recalés. Ce qui enterre totalement le mérite sportif de la SL.
L’Espagnol Florentino Perez, président du Réal Madrid, le cerveau du projet estime pour sa part que le football doit s’adapter à ce système avec une élite au sommet. Un système qui, dans une certaine mesure cloisonne et étiquète le football entre celui des clubs « riches » et « pauvres » offrant la part belle à l’élite. L’obstination des dirigeants espagnols du Réal Madrid et du FC Barcelone à se maintenir dans un projet qui a échoué avant même de prendre son envol avec les défections en Cascade des clubs anglais et italiens est en réalité une façon désespérée de s’accrocher pour ne pas perdre la face avec ce désaveu sanglant. Cela pourrait même avoir des conséquences sur leurs mandats de président en cas de résultats négatifs de leurs équipes.
La réaction de l’Américain Frank McCourt, le propriétaire du club français l’Olympique de Marseille, résume à juste titre la problématique. » En tant qu’Américain ayant eu le privilège d’être dirigeant et propriétaire de clubs sur les deux continents, j’ai appris que la culture du sport en Europe est très différente de celle des États-Unis et qu’elle doit être respectée. En Europe, le système n’est pas fondé sur la centralisation du pouvoir et la gratification entre les mains de quelques-uns. Bien sûr, nous devons trouver un modèle qui soit durable et cela nécessite des changements. C’est l’effort entrepris par l’UEFA, que nous soutenons. Ce n’est pas le moment de briser ce modèle. C’est le moment de le transformer tout en restant fidèle aux valeurs fondamentales de la culture du football européen. Nous tous, à l’Olympique de Marseille, nous nous opposons fermement aux propositions formulées par quelques clubs pour créer une Super Ligue européenne », a décrit le président de l’OM.
La balle est désormais dans le camp de l’UEFA qui a l’impérieuse nécessité d’engager des réformes structurelles et stratégiques pour répondre aux difficultés de tous les clubs européens sans exception face à la crise et mettre en place des mécanismes de concertation pour prévenir une crise future.