Le 1er mai marque la fête des travailleurs, ramenant à la surface le débat sur la rémunération des travailleurs. En Afrique, le salaire minimum sous ses différentes appellations varie d’un pays à l’autre, parfois sans base rationnelle. Comment expliquer en effet l’écart entre le Cameroun, locomotive économique de la Communauté économique de l’Afrique Centrale (CEMAC) où le salaire minimum est de 36 279 FCFA et le Gabon où il est de 150 000 FCA soit 275 dollars, à la notable exclusion du personnel domestique et de ceux des collectivités publiques ?
Si l’on ignorait tous les autres facteurs de compétitivité (coûts des capitaux, taxes, énergie …), l’on peut aisément estimer que l’investisseur choisirait le Cameroun plutôt que le Gabon. De même, en théorie, un travailleur opterait pour le pays d’Ali Bongo plutôt que celui de Paul Biya jusqu’à ce que, à terme, les différences s’estompent. L’investisseur éviterait aussi la Guinée Equatoriale (90 000 FCFA de SMIC) si d’autres facteurs, parfois plus décisifs, ne prenaient le dessus.
Protéger le salarié tout en ne fermant pas les entreprises
Bref, de 2828 Dirhams (315 dollars) au Maroc à 58 900 FCFA au Sénégal (107 dollars), 60 000 FCFA (110 dollars) en Côte d’Ivoire ou …26 dollars en Ethiopie, le montant du salaire minimal, objet de controverse entre les économistes, doit protéger le salarié tout en ne fermant pas les entreprises.
D’où l’importance de bien calculer le niveau du SMIG, gendarme de paix entre la protection sociale et le maintien d’une compétitivité sans laquelle les entreprises fermeront ou ne seront pas créées. Si l’Afrique est le bastion des bas salaires, elle ne profite pas de cette condition pour attirer, à l’exception de l’Ethiopie, les emplois de la mondialisation (délocalisation, outsourcing) en raison d’une faible productivité apparente et des coûts de facteurs encore élevés comparés à l’Asie. D’ailleurs, le ratio Afrique-Asie de la productivité de la main-d’œuvre a baissé, passant de 67% en 2000 à 50% en 2018 selon la Commission économique pour l’Afrique (CEA).
C’est certain, le niveau faible des salaires n’est pas forcément signe d’attractivité des investissements. Dans nombre de cas, ce niveau reflète plutôt une paupérisation généralisée qui, rapportée au niveau élevé de rémunération dans les pays développés, crée un appel d’air en faveur de l’immigration. En effet, sur la base des chiffres de 2019 et 2020, il faudrait 59 ans au salarié éthiopien indexé au SMIC pour rattraper son homologue français (1 907 dollars) logé à la même enseigne du salaire minimum de croissance. Aux USA, un salarié émargeant au SMIC peut espérer toucher bientôt le double de 1 160 dollars selon l’engagement du président Joe Biden sur la base d’une SMIC horaire actuel de 7,25 dollars pour 40 heures par semaine. Cet engagement présidentiel a dû être amendé face aux levées de boucliers des restaurateurs américains estimant que la mesure allait pousser nombre d’entre eux à mettre la clé sous le paillasson.
La crainte des libéraux
Il est à noter que beaucoup de pays de tradition libérale ont longtemps hésité à adopter un salaire minimum, de peur de ne pas enfreindre aux sacrosaintes lois de la concurrence. Au Rwanda, il n’y a pas à forcément parler de SMIC, ce qui n’empêche pas le salaire moyen du pays (175 000 Franc Rwandais soit 175 dollars) d’être au même niveau que celui de la plupart des pays africains où un SMIC est d’usage.
Pour sa part, l’Afrique du Sud a adopté le SMIC en janvier 2019 pour la première fois en le fixant à 3 500 Rands soit 241 dollars. Un petit pas timide dans ce pays champion d’Afrique des inégalités où le revenu brut par habitant était de 5 430 dollars en 2017. En d’autres termes, un ouvrier au SMIC devrait travailler 22 ans pour gagner ce que le salarié payé au salaire moyen gagne en une année. En France, où le salaire moyen est de 5430 dollars, il faudrait au même travailleur payé au SMIG, un peu moins de 3 ans pour égaler le salaire annuel moyen.
Si l’instauration du SMIC est souvent le résultat des luttes syndicales, dans le fond, il est admis qu’un salaire minimum élevé détruit des emplois, notamment ceux des plus pauvres. C’est d’ailleurs, sur la base de ces considérations qu’aux USA, le vice-président de la Fédération nationale des restaurants (NRA) Sean Kennedy, avait contesté l’annonce du président américain de doubler le SMIC. «Cette mesure « entraînera des coûts insurmontables » pour de nombreux établissements qui n’auront pas d’autre choix que de licencier davantage ou de fermer définitivement», prédit M. Kennedy dans des propos aux antipodes de ceux de Janet Yellen, nouvelle secrétaire au Trésor, convaincue qu’augmenter le salaire minimum permettra à des dizaines de millions d’Américains de sortir de la pauvreté tout en créant des opportunités pour d’innombrables petites entreprises du pays.
Le débat n’est pas tranché même si l’on préférerait facilement le sort du travailleur chinois (291 dollars par mois) à celui du Kenyan (185 dollars) ou encore à celui de Bangladesh (85 dollars). Quant au détenteur de capitaux, à la recherche d’un meilleur retour sur investissements au moindre coût, il réfléchira à deux fois n’eut été des considérations extra-économiques, avant d’opter pour Genève, qui a voté un SMIC à 4 000 dollars, le plus élevé du monde. Ce niveau a été fixé par vote, de quoi faire retourner John Stuart Mill dans sa tombe. L’auteur des “Principes d’économie politique” publiées en 1848 était catégorique. “Si la loi ou l’opinion parvenait à tenir les salaires au dessus du taux qui résulterait de la concurrence, il est évident que quelques ouvriers resteraient sans emploi”. Dans la fidèle tradition libérale anglo-saxonne, Ronald Reagan n’en disait pas moins: “le haut niveau du chômage est dû en grande partie à la loi sur le salaire minimum [et] l’indemnisation du chômage n’est qu’un congé prépayé pour les pique-assiettes (freeloaders) » aurait-il dit selon son rival Jimmy Carter.
Reste qu’au delà des points de vue divergents entre partisans et adversaires du salaire minimum, il y a cette réalité violente: en France, entre 2009 et 2018, les versements aux actionnaires du CAC 40 ont augmenté de 70 %, la rémunération des PDG du CAC 40 de 60 %, alors que le salaire moyen au sein de ces entreprises n’a augmenté que de 20 % et le Smic de 12 % sur la même période, estime une étude de Oxfam France et du Bureau d’analyse sociétale pour une information citoyenne (Basic).