Par Rodrigue Fénélon Massala Kengue, grand reporter.
Admis depuis le 21 avril dans un hôpital espagnol à Logroño, près de Saragosse, des suites du Covid-19, Brahim Ghali, 73 ans, secrétaire général du mouvement séparatiste du Front Polisario, est sous le coup d’une accusation de viol. La victime présumée, Khadijatou Mahmoud , née dans un camp de réfugiés à Tindouf, affirme avoir été abusée par celui qui à l’époque était l’ambassadeur de la République Arabe Sahraouie Démocratique(RASD, soutenu par Alger, qualifié de fantomatique par le Maroc et non reconnu par l’ONU) à Alger. Interrogée par Financial Afrik, Khadijatou déclare prête à mener son combat jusqu’au bout. Selon les informations, Brahim Ghali, inculpé par la justice espagnole en 2016 pour «tortures et violations des droits de l’homme», serait entré dans le territoire espagnol sous une fausse identité, munis d’un passeport diplomatique algérien. En réaction aux protestations du Maroc, la ministre espagnole des Affaires étrangères, Arancha Gonzalez, avait invoqué, dans une déclaration en date du 23 avril 2021 à l’Agence Maghreb arabe presse (MAP), des “raisons strictement humanitaires”. Mais, bien plus que les bisbilles entre Madrid et Rabat, c’est cette histoire de viol qui est à la une de la presse ibérique et marocaine.
Les faits et les enjeux
Les faits remontent à 2010. La jeune Khadijatou Mahmoud se présente devant la représentation du polisario à Alger pour obtenir une autorisation de sortie des camps. Une ONG d’aide humanitaire l’avait invitée en Italie, en reconnaissance de l’aide qu’elle lui avait apportée lors d’une mission effectuée dans les camps de Tindouf. En ce moment là, Khadijatou prenait du service en tant que traductrice auprès du «premier ministre de la Rasd». Khadijatou se rappelle encore de sa joie à la perspective d’effectuer son premier déplacement à l’étranger hors des camps où des milliers de Sahraouis sont parqués dans des conditions sommaires. Se pointant à 7 heures du matin devant l’ «ambassade» de la «Rasd» à Alger, dans le but de décrocher un RDV avec Brahim Ghali, elle s’était vue signifier, via le portier de cette «ambassade», de repasser plus tard. «Repassez à 19 heures!», lui avait déclaré l’agent, selon ses dires. Khadijatou ne savait pas ce qui l’attendait en réalité en rencontrant le tout puissant Brahim Ghali. Après un échange de salamalecs, le voici qui fondit littéralement sur elle, selon la version de la jeune fille. «J’ai quitté les lieux alors que je saignais», se souvient-t-elle aujourd’hui, des sanglots dans la voix.
De la douleur physique, mais aussi et surtout, de graves séquelles psychiques qui ne sont toujours pas près de s’effacer. Près d’une décennie après cette agression, Khadijatou Mahmoud poursuit toujours son combat pour obtenir réparation, notamment auprès de l’Audience nationale, la plus haute juridiction en Espagne, où elle avait déposé plainte pour viol contre celui qui est aujourd’hui le chef du Polisario. Seulement voilà, l’espoir de réparation semblait très mince, car son «bourreau »ne pouvant se hasarder en Espagne et, plus généralement, en Europe, où il fait l’objet d’un mandat d’arrêt. Quelques année plus tard, profitant d’un départ en Espagne dans le cadre du programme de vacances, Khadijatou a commencé à briser l’omerta. Le récit du viol sera livré en privé pour la première fois d’abord à ses collègues de l’ONG Européenne a Tindouf juste après les faits mais elle ne pouvait pas porter plainte et plus tard à une consoeur espagnole, Esther Sieteclesias de Arazon. La victime nous confie que pour des raisons familiales et culturelles liées à la société conservatrice sahraouie mais également par crainte d’être persécutée, elle n’a pu révéler son drame et dénoncer son violeur que de retour en Espagne en 2018 avec le soutien de sa famille adoptive et de ses collègues humanitaires.
David contre Goliath
Toutefois, il sied de noter que sa première plainte déposée en 2018 avait été rejetée par l’Audience Nationale sous prétexte que les deux parties impliquées ne sont pas de nationalité espagnole et que l’accusé ne réside pas en Espagne. Sur ce point, le conseil de la victime précise que, aussi bien Brahim Ghali que Khadijatou, du côté de son père Mahmoud, étaient des citoyens espagnols jusqu’en 1975, fin de la colonisation espagnole sur le «Rio de Oro», les provinces marocaines du Sud. Ainsi, le contexte actuel du mouvement «Mee Too» et des indignations consécutives aux révélations sur les viols collectifs en Espagne, pourrait pousser la justice espagnole à se saisir de l’affaire. D’autant que, la présence de Brahim Gali en Espagne, sous une vraie ou fausse identité, offre une opportunité à Dame justice qui avait vite fait de rejeter un dossier opposant une plaignante quelconque au puissant chef séparatiste d’un mouvement Polisario souvent utilisé par Madrid dans son agenda géopolitique et halieutique de la rive Nord Africaine de l’Atlantique. Bref, Khadijatou parviendra-t-elle à avoir gain de cause dans ce dossier qui peste la sardine à mille lieux ? L’Espagne qui avait invoqué la compétence universelle dans l’affaire Pinochet peut-elle à minima retenir la compétence juridictionnelle vis-à-vis d’un chef d’un État non effectif qu’elle ne reconnaît pas ? Soutenue par une avocate et assistée par une psychologue, la victime présumée devrait, dans ce combat de David contre Goliath, ne pas se faire trop d’illusions. Certes, ce mercredi, le leader séparatiste, à la tête de son mouvement depuis 2016, serait convoqué (information démentie par le Polisario) par la justice espagnole mais pour une autre affaire d’enlèvement et de tortures.