Le banquier ivoirien qui évolue dans l’Océan indien depuis ces dernières années partage un autre regard du monde bancaire en Afrique. Un regard qui part de l’évolution des relations entre banquiers et clients qui gagneraient à être démystifiées afin que « tout le monde y trouve son compte ». En marge de l’inauguration d’une nouvelle agence de la Banque pour l’industrie et le commerce des Comores (BIC-Comores) filiale d’ Atlantic Financial Group, Gervais Atta reçoit dans son bureau au décor à la fois sobre et élégant. Malgré cette inauguration en grande pompe, qui a vu le déplacement du PDG d’Atlantic Financial Group, Léon Konan Koffi, dans la capitale moronienne, Gervais Atta relate avec énergie ses premières appréhensions du monde bancaire. «Pour moi c’était un métier hostile » en confiant avoir longtemps perçu les banques comme «des institutions qui ruinent au lieu d’accompagner».
Si son dress-code, tiré à quatre épingles, le place dans l’archétype universel du banquier impitoyable, le discours qu’il tient aujourd’hui est d’un tout autre registre. «Chaque client est une expérience humaine nouvelle», précise-t-il avec conviction. Le nouveau Directeur général de la BIC-Comores insiste sur le «contact humain» qu’une banque doit entretenir avec ses clients. Il pointe du doigt les relations entre banques et clients qu’il estime «biaisées» à cause «d’une crise de confiance née de certaines banques qui ont fermé en Afrique comme ailleurs, du manque de qualité dans la gestion des comptes, mais aussi des complicités entre banquier et usurier». Pour ce banquier diplômé de l’école supérieure de banque de Paris (CFPB) et d’un Exécutive MBA de la Sorbonne Business School-IAE de Paris, la solution semble sans équivoque «il faut démystifier la banque pour pouvoir établir une relation de confiance».
Démystifier et démocratiser
Si les caricatures et même les films hollywoodiens présentent les banques comme des institutions impitoyables, Gervais Atta définit avant tout une banque comme « un lieu où l’on rencontre des hommes et des femmes de toutes les classes sociales, des milliardaires, comme des jeunes entrepreneurs, et chacune de ces personnes est un projet nouveau enrichissant. C’est ce qui rend le banquier polyvalent. » Il tient à préciser que « Les procédures nous obligent quelques fois à tenir une carrure qui peut être critiquée, mais le banquier reste avant tout humain. Notre métier nous pousse à épouser les projets et à se mettre à la place de chaque client tout en l’invitant à revoir sa copie au besoin. Le banquier doit pouvoir comprendre mais ses décisions doivent être basées sur les procédures. Sans cela on est peut-être un banquier, mais on peut très rapidement devenir un mauvais banquier ». Par ailleurs, l’Afrique subsaharienne présente 19,3% de taux de bancarisation strict en 2018 d’après le Rapport sur la situation de l’inclusion financière dans l’UEMOA 2018. C’est l’un des taux de bancarisation les plus faibles au monde. S’il est utile de préciser que certains pays se démarquent plus que d’autres, il faut tout de même « aller vers les clients pour leur expliquer qu’une banque ce n’est pas sorcier, même si cela parait prestigieux » explique Gervais Atta. Dans son parcours professionnel en Afrique de l’Ouest et dans l’Océan indien, le banquier a mis en pratique son approche en misant sur l’innovation tel que le lancement du mobile banking aux Comores, et la transformation digitale des services et des produits à Madagascar et en Côte d’Ivoire. Pourtant des barrières culturelles africaines, telles que « l’appétence pour le cash en Afrique » peuvent constituer un frein contre la bancarisation précise-t-il avant de rajouter la « peur » des outils modernes et dématérialisés. Optimisme, Gervais Atta place toujours la solution entre les mains du banquier qui doit « prendre son bâton de pèlerin » et aller vers le client en « parlant son langage » et avec des solutions innovantes et adaptées pour gagner sa confiance. Une succes story lui vient au bout des lèvres, celle du mobile banking M-pesa lancé chez le voisin kenyan en 2007 et qui a permis de « faire passer le taux de bancarisation de 12% à 70% grâce à la confiance et à l’innovation » partage-t-il.
«La banque du futur est la banque que l’on rend au client»
Sa définition d’une bonne banque ? « C’est une banque qui innove qui tient compte de son temps et de son époque pour faciliter la vie aux clients. » précise-t-il sans hésitation. Il se justifie en notant que « c’est tout cela qui permet de sortir du système bancaire traditionnel pour aller vers un système bancaire moderne qui est plus rapide et à l’écoute des clients et même des prospects. C’est aussi une banque qui accepte le développement de ses clients dans l’intérêt de tous ». Il s’explique amusé « si j’étais le banquier d’Ali Baba lorsqu’il vendait deux cartons, je suis sûr que cette loyauté entre client et banquier se serait maintenue et que je serai le banquier du milliardaire qu’il est aujourd’hui ». Gervais Atta parle d’une bonne banque comme étant « figitale » en illustrant l’idéal de « pouvoir aligner un sacro-saint mélange du physique, qui fait appel à la banque traditionnelle, et du digital qui fait appel au changement. » Un processus accéléré par la pandémie de COVID-19 qui « nous a imposé une nouvelle façon de voir la banque. Cette expérience nous a démontré que l’on peut faire des opérations bancaires en Afrique sans nous déplacer. Ce qui fait gagner du temps et de l’argent pour le client ».
Pour le banquier ivoirien, les banques africaines doivent maintenir cette nouvelle manière de travailler même après la crise car « l’obligation de gagner est pour tout le monde ». Visionnaire, pour Gervais Atta cette évolution pave la route à la banque du futur qu’il décrit comme une « banque que l’on rend au client » en permettant de « transformer le client en son propre banquier » sur la base de trois mots clés « proximité, sécurité et rapidité ». À la BIC-Comores, Gervais Atta ambitionne de mettre en œuvre cette trinité en misant sur la proximité des points de contact clients, comme des agences de plus en plus décentralisées, dans cet archipel de plus de 850 000 habitants.
RMM, Comores (stagiaire)