L’Afrique est un continent constitué de 55 pays, peuplée de 1,3 milliard d’habitants (autant que la Chine), avec un taux de fertilité de 4,7 enfants/femme (Afrique sub-saharienne) alors qu’il est de 1,56 dans l’Union Européenne et de 2,4 dans le monde (source : Banque Mondiale, 2018), et avec une moyenne d’âge de 19 ans. La Banque Mondiale table sur une croissance du Produit Intérieur Brut (PIB) de l’Afrique a 2,7% en 2021 pour un niveau de PIB à 2’300 milliards de dollars (plus que celui de l’Italie mais moins que celui de la France). La pandémie de COVID-19 a causé un impact mondial et d’autres crises pourraient suivre. Il est donc intéressant de s’interroger sur la capacité d’adaptation de l’Afrique face à des chocs éventuels.
La résilience est l’ensemble des stratégies pour identifier les vulnérabilités puis y remédier afin de retrouver un état normal ou d’origine. C’est l’aptitude à résister à des éléments perturbateurs, notamment ceux liés au réchauffement climatique et à l’amenuisement de l’approvisionnement en énergie. Les 3 critères d’une économie résiliente sont :
- la diversité des sources de revenus
- la capacité à continuer à fonctionner en cas de choc
- la réactivité
L’Afrique et la diversité de ses sources de revenus
L’indicateur couramment utilisé pour quantifier la création de richesse est le PIB. Même si cet indicateur ne prend pas en compte le secteur informel qui a une place significative dans les pays en voie de développement, nous l’utiliserons ici comme référence. La vente de matières premières non transformées a une part élevée dans le PIB africain. Or, moins l’économie est diversifiée plus elle est fragile face aux différents chocs potentiels. Mais que se passe-t-il en Afrique si le commerce international se grippe (jeu de mots volontaire) ou que le prix de vente et le volume des ressources à vendre diminuent ?
Une baisse du prix des matières premières constituerait un manque à gagner important dans le budget de pays africains exportateurs à cause du peu de production transformée et de la trop grande dépendance vis-à-vis du commerce international. Par exemple, le baril de Brent a perdu 50% en 10 ans et le caoutchouc naturel a perdu 56% sur la même période. De plus, la baisse de l’approvisionnement en énergie gênera considérablement les échanges commerciaux mondiaux avec pour conséquence une diminution des revenus pour les pays africains.
Par ailleurs, le PIB ne prend aucunement en compte les atteintes au patrimoine naturel, puisqu’il comptabilise l’épuisement des ressources naturelles et leur gaspillage comme une création de valeur. Quel est donc l’avenir des pays vivant de l’exportation de ressources non renouvelables ? Nous constatons également que le changement climatique entraîne une hausse des températures et une baisse des précipitations qui altèrent la capacité de certains territoires à cultiver leurs seules sources de revenus d’exportation.
Le manque de diversité des revenus des pays africains concourt à un potentiel recul de leur PIB en cas de tension sur le commerce international. La situation économique des pays du continent fait qu’il est illusoire de compenser ce recul avec encore plus de dette.
L’Afrique et sa capacité à fonctionner en cas de choc
Une baisse de l’approvisionnement en pétrole entraînera une déstabilisation du commerce international. L’Afrique, qui s’est spécialisée dans des agricultures d’exportation, importe beaucoup de denrées agricoles (blé, riz, sucre, …) pour nourrir sa population. En effet, Il se pose alors la question d’indépendance alimentaire nationale ou régionale. De la même manière, l’importation de biens manufacturés est indispensable pour un continent à faible capacité de production tout comme l’importation de combustibles est vitale pour alimenter les centrales thermiques qui produisent l’électricité.
Dans un monde au pétrole abondant, les pays africains avaient privilégié un échange intercontinental au lieu de commercer avec leurs voisins. Si les pays africains ne modifient pas leur modèle économique et que les transactions inter-régionales ne se développent pas, les pays enclavés connaîtront de grandes difficultés. De la même manière, les métropoles africaines sont très dépendantes de la voiture et ont une offre faible de transports en commun ou de transports décarbonés. Elles peuvent donc être très affaiblies par un déclin de l’approvisionnement en pétrole.
Le problème de beaucoup de systèmes est de ne pas prévoir les mauvais moments. Il manque des plans de secours à court, moyen et long terme pour un fonctionnement sous contrainte comme Cuba qui, lors de la chute de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques, a dû trouver des solutions au manque de pétrole et remplacer ses importations alimentaires par une production locale en circuit court.
L’Afrique et sa réactivité
Face aux défis actuels, le continent africain peut se montrer agile. Il dispose de plusieurs points positifs lui permettant d’évoluer dans une économie en contraction :
- L’Afrique est déjà championne du recyclage. Cette ingéniosité permettrait de faire du neuf avec du vieux pour une transition vers des modèles alternatifs d’avenir gérant la décroissance.
- L’Afrique a l’habitude de vivre dans un environnement low tech. Elle est donc bien placée dans un monde dans lequel il faudra hiérarchiser les priorités et procéder à des arbitrages difficiles afin d’organiser la sobriété de consommation. On peut donc penser qu’une baisse de confort dérangerait plus les pays développés.
- L’Afrique construit sa zone de libre échange qui, espérons-le, contribuera à l’industrialisation et au renforcement de son indépendance alimentaire grâce à un commerce intra-africain renforcé.
- L’Afrique a une population jeune. Alors qu’un effort important sera nécessaire, disposer d’une force de travail vigoureuse et nombreuse pourrait être un avantage s’il est possible de nourrir la population et de la faire adhérer à un projet.
Le continent a aussi des handicaps et lourdeurs structurels qui sont facteurs d’instabilité face à de potentielles contraintes physiques :
- Les raisons sont multiples (culture, absence de retraite, …) aboutissant à un taux de fécondité très élevé en Afrique. Il faut trouver du travail et nourrir cette population.
- Face aux épreuves futures, l’Afrique n’a ni conçu ni mis en place de plan de secours pour protéger son économie. Ce manque de préparation va lourdement handicaper la capacité du continent à s’adapter pour survivre.
- Les dirigeants des pays en voie de développement ont promis une croissance permettant une course à l’équipement pour rattraper le standard des pays développés.
- Compte tenu de la production d’électricité qui se fait en majorité dans des centrales alimentées par des combustibles fossiles et de la prévalence de la voiture individuelle pour la mobilité, le mix énergétique de l’Afrique est trop carboné donc dépendant d’importations d’énergie.
- A cause de son faible taux d’industrialisation, le continent africain dépend trop des pays du Nord et d’Asie pour se fournir en produits manufacturés. A cause de son modèle économique datant de l’ère coloniale, le continent africain dépend trop de l’extérieur pour se fournir en denrées agricoles de base.
- Certains territoires sont trop étendus rendant les États impuissants dans la lutte contre le terrorisme. L’insécurité gêne le développement économique de certaines régions.
- Dans la plupart des pays africains, à cause de finances fragiles et de la grande part du secteur informel dans l’économie, il y a peu d’amortisseur social. Dans ce contexte, les populations vivent au jour le jour et il est donc compliqué d’orienter l’économie et l’éducation vers des secteurs d’avenir.
L’Afrique, malgré certains atouts, présente une impréparation inquiétante. Des stratégies doivent être conçues longtemps en avance pour pouvoir être déployées avec sérénité au moment opportun. Gérer dans l’urgence accentuerait le chaos.
L’inexorable décroissance de l’approvisionnement en énergie provoquera une chute du PIB au niveau global. L’Afrique, qui vise un rattrapage des économies développées, risque d’être déstabilisée plus fortement et d’accentuer son retard de développement voire d’inverser les progrès de ces dernières années. Le remède aux problèmes actuels impliquerait un changement du paradigme qui est de copier le style de vie des économies développées à forte intensité énergétique dans lesquels le renouvellement toujours plus rapide des produits est favorisé. Il faudrait donc produire localement ce qui est vital et se passer du reste.
Faute de réflexion sur un monde d’après, les promesses de croissance ne pourront être maintenues. L’absence de solutions conduira inévitablement à un soulèvement violent de la population contre ses dirigeants comme lors des printemps arabes de 2011 durant lesquels la faim avait causé un embrasement régional. L’Afrique par manque d’ambition et de vision se prive de choix. Elle ne peut maintenant que subir sans être actrice de son destin. Alors que l’Europe se posait la question avant la COVID-19 de comment remplacer les revenus de la population mise au chômage par l’intelligence artificielle, l’Afrique doit s’interroger sur le remplacement des moyens de subsistance de sa population jeune et grandissante quand ce qui la nourrissait autrefois ne fonctionne plus. Les pays doivent réunir urgemment des panels interdisciplinaires pour réfléchir à des scénarios de fonctionnement sous énergie contrainte. Le coût de l’inaction est toujours plus élevé. En effet, chaque jour sans une solution mise en place est un clou dans le cercueil du développement futur. Mais est-ce déjà trop peu trop tard ?