Par Vilévo DEVO.
Ancien cadre de la BCEAO, le togolais Vilévo DEVO prend à contre-pied la tendance dominante du débat sur le Franc CFA en passant en revue les postures et les oxymores. « Au fil des ans, les critiques du franc CFA semblent combattre davantage la France politique que les dispositions, outils et mécanismes utilitaires mis en œuvre pour consolider le vivre ensemble monétaire et solidaire en Afrique francophone au sud du Sahara ».
Le franc CFA est confronté en Afrique de l’Ouest à une fronde qui prend des tournures sans bienfait. Cette fronde existe également en Afrique centrale francophone. Elle y est même très active et remonte plus loin dans le temps qu’en Afrique de l’ouest. Les frondeurs véhiculent, notamment dans le milieu universitaire, des certitudes infondées sur de supposés bienfaits du franc CFA à la France, ancienne puissance coloniale ; celle-ci ruserait de sa garantie de convertibilité illimitée du signe monétaire et du taux de change fixe au détriment des pays émetteurs. En zone anglophone et au sein de la diaspora, le franc CFA fait également face à une hostilité, souvent de principe, alimentée par une profonde méconnaissance du signe monétaire et de ses règles de fonctionnement. Le compte d’opérations auprès du trésor français en particulier, dépositaire des réserves de change officielles des États parties, y est retourné sous toutes ses coutures imaginaires susceptibles d’en faire une incongruité. Plus généralement, c’est la compréhension de la proximité des relations monétaires de la France avec ses anciennes colonies qui y semble d’une insurmontable complexité. En dépit de leur caractère délébile, les rémanentes prises de position hostiles au franc CFA perpétuent une tradition de frondeur qui fascine et distrait depuis 40 ans une large frange de l’opinion publique. Les frondeurs, originellement des intellectuels et professionnels de banque, se sont associés au tout-venant pour se faire une renommée d’anti franc CFA.
Des critiques délébile du vade-mecum du vivre ensemble monétaire.
La fronde anti franc CFA a pu commencer ouvertement en Afrique centrale avec la publication intitulée « Monnaie, servitude et liberté : la répression monétaire de l’Afrique » du camerounais Joseph Tchuindjang Pouémi écrit en 1979. Ce livre, rédigé sur un ton de révolte, semble avoir figé la conscience populaire sur des faits qui normalement sont à ranger de nos jours dans le placard de l’histoire comme des souvenirs d’une époque révolue. Pourtant, il est toujours présenté comme un grand classique. L’auteur avait des arguments pour appuyer sa formule de répression monétaire et donner un large écho à ce qu’il dénonçait. Dans sa réaction aux critiques, il a du reste prévenu lui-même les praticiens du secteur bancaire que l’ouvrage pouvait paraître troublant. Vu de nos jours, ce qu’il mettait en évidence, même avéré en son temps, n’était ni indélébile ni déstructurant pour un espace monétaire communautaire en construction. La gouvernance monétaire était en effet à la peine dans les pays africains nouvellement indépendants et surtout, aux mains des français.
Ces derniers étaient encore présents dans les instances dirigeantes, notamment à la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (Bceao) et à la Banque des États de l’Afrique Centrale (Beac). Le modèle de vivre ensemble monétaire qui s’annonçait n’était pas convainquant pour tous, notamment pour les nationalistes africains. Une union monétaire apparaissait à cet égard un projet aventureux durant cette décennie 1960 compte tenu de sa complexité. Les premières banques de développement naissaient, notamment le Crédit du Togo redénommé Banque Togolaise de Développement avant d’être cédée, plusieurs décennies après, au Groupe Orabank par les pouvoirs publics togolais pour des raisons mercantiles. La loi bancaire voyait le jour avec une définition approximative de la banque, mais pragmatique pour l’époque. Le franc français, monnaie de référence pour la fixité du taux de change du franc CFA, était quasiment inconvertible hors Zone Franc, la zone de services de la France avec les pays africains parties. Cette Zone Franc, maison d’accueil et de coaching des zones émettrices de franc CFA, était sous un régime de strict contrôle des changes ; elle était une zone fermée ou presque. Le franc CFA y était inconvertible hors franc français, nonobstant les clauses de convertibilité illimitée liant les États parties à la France. Ce régime de contrôle des changes a été totalement levé en 1968. Le secteur bancaire commençait à peine à éclore et la politique de la monnaie et du crédit était jugée répressive en raison, entre autres, du modèle en vigueur basé sur les limites individuelles de refinancements consentis aux banques par la Banque Centrale etc.
Des zones émettrices résilientes.
Tout ce qui précède, loin d’être exhaustif et pleinement représentatif de l’environnement socio-économique de la période, révèle les difficultés originelles auxquelles furent confrontées les zones émettrices de francs CFA dans les années antérieures à la parution de l’ouvrage du Professeur Tchuindjang Pouémi. La servitude monétaire que Pouémi le camerounais évoquait en 1980, année de première parution de son livre, avait des raisons que Kako Nubukpo le togolais ne peut plus avancer 40 ans plus tard. En effet, lorsque le Professeur Nubukpo évoque à son tour une servitude volontaire, il reprend l’oxymore de son collègue, feu le Professeur Pouémi, et en abuse volontairement car tout ce qui justifiait une telle appréciation a disparu au profit de nouveaux rapports de force face à de nouveaux enjeux. Continuer à parler de servitude volontaire, s’agissant des zones émettrices de franc CFA assure une popularité populiste mais ne traduit plus la réalité du terrain. Quarante ans après l’oxymore « servitude et liberté » du Professeur Pouémi, force est de reconnaitre que la gouvernance monétaire s’est africanisée, sensiblement professionnalisée et a énormément changé en bien. Les zones concernées ont apporté des gages qu’elles pouvaient financer le développement et préserver concomitamment les pouvoirs d’achat. En outre, les cadres juridique et institutionnel ont connu des extensions majeures, faisant des zones émettrices de francs CFA des zones monétaires ouvertes, attrayantes et très élaborées. La preuve en est qu’elles ont enregistré trois nouvelles arrivées, dont une ancienne colonie portugaise et une espagnole. Le droit des affaires de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), à laquelle les États émetteurs de francs CFA sont tous parties, est venu compléter cet espace monétaire et économique en construction aux enjeux devenus considérables. L’environnement international aussi a beaucoup changé après la disparition en 1971 du dollar américain convertible en or. Le Fonds Monétaire International (FMI) a par ailleurs pris, à partir de 1980, un véritable ascendant sur les pays africains dans la gestion macroéconomique.
De nos jours, les pays émetteurs de francs CFA, regroupés en véritables zones monétaires dotées de signes monétaires stables et solides, résistent surtout aux désastreuses conséquences de la mal-gouvernance macroéconomique dont l’onde de choc les atteint de plein fouet. S’y ajoute une gouvernance monétaire calamiteuse en Afrique centrale. Ces zones ne souffrent nullement de dysfonctionnements majeurs des dispositions, mécanismes et outils utilitaires mis en œuvre, souvent présentés à tort comme desservant les pays africains. Bien au contraire, elles ont fait la preuve qu’un vivre ensemble monétaire et solidaire était possible entre États souverains. En effet, quatre décennies après le lancement du franc CFA de l’Afrique de l’ouest et celui de l’Afrique centrale, les États européens se faisaient enfin violence pour passer eux-aussi à leur monnaie unique, transcendant leurs divergences politiques et les difficultés inhérentes au vivre ensemble monétaire. En Afrique, la thématique et la problématique du vivre ensemble monétaire sont plus que jamais d’actualité grâce à l’expérience du franc CFA.
De nouveaux enjeux, de nouveaux rapports de force.
La servitude, si tant est qu’elle existe encore et demeure préoccupante, ne pourrait se justifier que par les rapports de force entre les zones émettrices et le partenaire européen que symbolise la France, dépositaire entre autres d’un modèle de garantie du franc CFA. Ces rapports de force étaient encore dans un passé récent notoirement favorables à la France, ancienne puissance colonisatrice, au point de perpétuer une apparence de servitude monétaire longtemps disparue. C’est cette servitude monétaire longtemps disparue que tentent d’entretenir les anti franc CFA au moyen de clichés, de méjugements et diverses manipulations délictueuses de l’information. La France est en train de perdre son influence dans les zones émettrices de francs CFA nonobstant le compte d’opérations des deux Banques Centrales d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique Centrale auprès de son trésor public, la fixité du taux de change du franc CFA par rapport à l’euro etc., dénoncés comme aliénant les africains francophones. Elle y déploie pourtant de colossaux efforts via des créneaux financiers, culturels et militaires. Le terrain perdu, sous le coup d’une impopularité grandissante, est récupéré par les chinois, russes, turcs, indiens, israéliens, iraniens etc. qui, ayant bien saisi les enjeux, n’hésitent plus à renforcer leur présence en installant des bases militaires, si nécessaires, en formalisant des modèles d’assistance multi-services ad hoc ou en vendant des armes à qui peut gêner l’ordre établi etc.
À force de privilégier en Afrique une politique versatile, consistant selon l’intérêt du moment à distribuer plutôt des bonus d’allégeance que de réalpolitique, à être plutôt pro coup d’état que pro démocratie, la France est en train de perdre lamentablement un vaste espace constitué de pays majoritairement en panne de vision, globalement sous peuplés, aux populations très jeunes et malléables, d’expression encore française et immensément riches pour la plupart. Les anti franc CFA feignent d’ignorer la disparition de cette servitude monétaire des africains que relevait feu le Professeur Pouémi il y a 40 ans. Ils savent pertinemment que les dégâts causés par leur activisme à l’influence française sont en train de tourner les rapports de force, à moindres frais, à l’avantage de ceux qui ne sont connus que depuis peu dans les zones émettrices de francs CFA ; en l’occurrence, depuis qu’il est établi que les États parties ont de l’uranium, du pétrole, du gaz, de l’or et tous ces minéraux qui transforment les occidentaux et assimilés en prêt-à-tout. Si une zone monétaire pouvait être une chasse gardée, manipulable à travers ses dispositions opérationnelles, comme le prétendent les anti franc CFA, les français n’auraient pour rien au monde raté une si belle occasion pour poser une main tranquille sur la caverne d’Alibaba africaine. En s’attaquant au franc CFA via des clichés et infox liés essentiellement à son passé colonial, ses détracteurs participent à l’impopularité grandissante de la France et ouvrent des boulevards aux nouvelles puissances impérialistes que sont les chinois, russes, indiens, turcs etc. Tout ce monde se précipite dans la sous-région parce que le franc CFA est stable, solide et convertible grâce au partenariat avec l’Europe. De toutes les façons, si ses détracteurs arrivent à leur fin, c’est-à-dire à déstructurer le franc CFA, chinois, russes, etc. s’y connaissent en dollarisation des économies qu’ils assiègent et en pratiques souterraines pour protéger leurs intérêts. Ce sera adieu la préservation du pouvoir d’achat et bienvenue aux poches de pauvreté et de communautarisme dans la sous-région concernée.
Fronde anti franc CFA : une tradition récemment politisée.
Au fil des ans, les critiques du franc CFA semblent combattre davantage la France politique que les dispositions, outils et mécanismes utilitaires mis en œuvre pour consolider le vivre ensemble monétaire et solidaire en Afrique francophone au sud du Sahara. L’argumentaire hostile au franc CFA n’est plus technique ou d’ordre opérationnel, mais privilégie ce qui décrédibilise la France, principale et historique partenaire dans la construction de ce signe monétaire et de ses édifices. Pourtant, cette même France est promue à la Banque Africaine de Développement (BAD) et à l’Union Africaine (UA) notamment. La fronde était intellectuelle. Elle s’est travestie en activisme politique. Ces nouveaux activistes attendent en outre de la Communauté Économique Des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), ce regroupement politique insincère, inutilement couteux pour le contribuable, qu’elle anéantisse le franc CFA. À ce propos, la Cedeao sous la houlette du Nigéria déconsidère la pertinence des dispositions, mécanismes et outils en production dans les zones émettrices en s’interdisant de les approfondir. Au final, la fronde anti franc CFA déconstruit progressivement le vivre ensemble monétaire en y introduisant de la controverse inutile, fragilise le partenariat avec l’Europe et ouvre un boulevard à l’aventure géopolitique. Il serait temps qu’elle quitte la sphère politique pour des études sérieuses sur l’intégration monétaire et l’intégration économique dans cette partie de l’Afrique qui apporte chaque jour des preuves que les pays qui la composent ont renoncé irréversiblement à leur droit souverain de battre monnaie, dans l’espérance d’un vivre ensemble monétaire et solidaire.
* L’opinion de l’auteur ne saurait refléter, ni de près ni de loin, la position de la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest où il a servi pendant 25 ans avant d’être à son propre compte comme Consultant depuis 15 ans.
4 commentaires
C’est rien qu’un torchon votre article, et vous voulez que l’on vous prenne au sérieux avec ça.
Celui qui a pondu ça n’est qu’un vendu.
pour réequilibrer le débat sur le franc cfa dans votre journal ultra conservateur et françafricain avec entre autres nadim michel kalife pourrai-t-on avoir des avis différents et plus nuancés sur la question commeceux de mamadou koulibaly ou nathalie yamb,et d’autres
Pourrait-on avoir un contre avis. N’étant pas économiste, je constate cependant que des pays comme le Nigeria, Ghana, le Kenya et l’Afrique du Sud ont leur propre monnaie. Ces monnaies connaissent certes des hauts et des bas fasse au dollars mais ces Pays sont complètement indépendants financièrement sont aussi plus développés selon moi et réussissent à vivre sans être sous la tutelle financière d’un pays occidentale. Pourquoi l’Afrique n’arrive t’elle pas à créer une monnaie communes sans la dépendance de l’occident ? Ces pays eux aussi ont subi des difficultés après les guerres mais restent indépendants??? Merci de nous éclairer avec d’autres avis d’économistes car c’est un sujet qui intéresse l’ensemble de la population africaines francophones même ceux qui ne peuvent pas s’exprimer librement .
Pensez vous vraiment qu’on va avaler de tels sottises ?