La dégradation de la situation sécuritaire dans la province mozambicaine du Cabo Delgado et l’incurie du gouvernement central de Maputo à endiguer la menace que font peser les groupes armés dans cette zone, la plus pauvre du pays, soulève de plus en plus l’inquiétude de la communauté internationale.
Depuis le violent assaut, fin mars, de deux cents hommes du groupe Ahl-al-Sunnah wa al Jamma’ah (ASWJ), plus connu sous le nom d’Ansar Al-Sunna ou « Chabab » (les « Jeunes), sur la ville portuaire de Palma, située non loin du futur site où le Français Total devait développer un projet d’exploitation de gaz liquéfié (GNL), la situation ne fait qu’empirer.
Ce groupe affilié à l’Etat islamique (EI), organisation ayant revendiqué l’attaque via sa nouvelle agence Amaq, opère depuis 2000 dans la région, mais ses premières actions remontent à 2017. On déplore à ce jour plus de 2800 victimes civiles et militaires ainsi que des centaines de milliers de déplacés. La prise de Palma survient après celle du port de Mocimboa da Praia, en août 2020.
Total s’est vu contraint de retirer son personnel de la zone avant d’annoncer, le 26 avril, la suspension de son projet via un communiqué. « Compte-tenu de l’évolution de la situation sécuritaire dans le nord de la province du Cabo Delgado, Total confirme le retrait de l’ensemble du personnel du projet Mozambique LNG du site d’Afungi », explique le groupe tricolore sur son site. « Cette situation conduit Total, en tant qu’opérateur du projet Mozambique LNG, à déclarer la force majeure ».
Face à ce contexte, Emmanuel Macron devrait saisir l’opportunité de la présence du président mozambicain Filipe Nyusi à Paris, les 17 et 18 mai, où il doit assister à la conférence sur les nouvelles formes de financements du développement, pour tenter de persuader son homologue d’ouvrir le pays à une coalition internationale. Il sera d’autant plus enclin à pousser ce scénario que les poids-lourds de la South african développement community (SADC) seront présents dans la capitale française parmi lesquelles l’Angolais Joao Lourenço, le Congolais Félix Tshisekedi ou le Sud-africain Cyril Ramaphosa. Une réunion devrait être organisée en marge de la conférence spécifiquement sur ce dossier.
En novembre dernier, Emmanuel Macron fut l’un des premiers responsables étrangers à mobiliser ses partenaires européens pour suggérer une réponse militaire à l’insurrection. Toutefois, le Mozambique oppose jusqu’à présent une fin de non-recevoir quant au déploiement de soldats sur son sol. Cacique du Front de libération du Mozambique (Frelimo) au pouvoir depuis la fin de la guerre civile en 1994, le chef de l’Etat réélu en 2019 goute peu la culture de l’ingérence extérieure. A la faiblesse chronique de la présence de l’Etat au Cabo Delgado s’ajoute l’incurie de l’armée elle-même. Créée en 1994, celle-ci connaît de sérieuses tensions au sein de son commandement entre les cadres du Frelimo et ceux de son frère-ennemi, la Résistance nationale du Mozambique (Renamo), intégrés dans cette nouvelle armée nationale. En outre, l’armée mozambicaine s’avère démunie face à ce type de nouvelle criminalité. Sous équipée, elle manque cruellement de moyens en renseignements et aéroportés.
Le président Nyusi a longtemps semblé ignoré le problème. Il n’a désigné un commandement militaire sur cette zone qu’en janvier dernier en la personne du général Eugénio Ussene Mussa. Ce dernier est décédé un mois plus tard. Pour l’heure, Maputo s’est contenté du renfort de Sociétés militaires privées (SMP) comme Dyck Advisory Group (DAG). Arrivé à terme fin avril, le contrat de cette société sud-africaine n’a pas été renouvelé. Bien qu’elle soit directement intervenue à Palma, elle a été épinglé par Amnesty International pour des exactions sur des civils. La société russe Wagner, qui a envoyé 160 hommes, a révélé toute son impuissance.
Pour leur part les Etats-Unis, qui ont classé les Chababs comme groupe terroriste en mars dernier, ont été autorisés à piloter des programmes de formation de l’armée mozambicaine. Un détachement d’une douzaine d’instructeurs issus des Forces spéciales (Bérets verts) sont présents dans le pays depuis le début de l’année. Ils n’ont aucune prérogative opérationnelle et forment loin de la zone de conflit. Le Portugal a envoyé une soixantaine de formateurs. Des sociétés comme Paramount opère également dans le pays.
On voit cependant difficilement comment Maputo pourrait se sortir seul du guêpier terroriste sans grossir sa réponse militaire en recourant à l’aide d’Etats-tiers. La planche de salut pourrait précisément venir de la SADC, qui craint une extension du conflit à d’autres pays, en tête desquels la Tanzanie. L’existence d’assaillants sud-africains, ougandais ou encore congolais parmi les Chababs souligne une africanisation progressive de ce groupe.
Une importante réunion de l’organisation sous-régionale devait se tenir, le 29 avril, à Maputo sur ce sujet. Celle-ci devait en particulier plancher sur un rapport du chef d’Etat-major de la force en attente de la SADC, le général botswanais Michael Mukokomani, autour de la constitution d’une force de 3000 hommes à travers trois bataillons, une brigade d’infanterie légère et un état-major composé de 90 officiers. Deux escadrons de forces spéciales sont également évoqués. Ce dispositif est accompagné d’appuis maritimes et aériens. Cette réunion a cependant été reportée sine die officiellement en raison de l’indisponibilité du président botswanais Mokgweetsi Masisi après un cas contact à la Covid. Quant au président sud-africain il comparaissait devant une commission anti-corruption dans son pays. La conférence de Paris devrait donner un nouvel élan à cette initiative pour le déploiement de cette force rapide.